Dans un contexte où la liberté de la presse est mise à mal et où les médias tunisiens font face à des défis sans précédent, les structures professionnelles du secteur ont lancé un cri d’alarme à l’issue d’une réunion tenue au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) mercredi dernier.
Réunissant en urgence les principaux acteurs de la presse tunisienne, cette rencontre a permis de mettre en lumière les multiples problèmes auxquels est confrontée la profession dans le pays.
L’un des points majeurs soulevés lors de cette réunion est le retard considérable dans la réforme des institutions médiatiques publiques. En effet, ces dernières peinent à s’adapter aux enjeux contemporains en matière de gouvernance, d’organisation et de financement, mettant ainsi en péril leur capacité à remplir leur mission d’information du public.
Par ailleurs, les représentants des médias ont pointé du doigt la fragilité croissante des institutions journalistiques privées, certaines étant même contraintes de fermer leurs portes en raison de difficultés financières. Cette situation précaire menace la diversité et la qualité du paysage médiatique tunisien, dans un contexte de marché publicitaire limité et désorganisé, ce qui nuit à la concurrence libre et équitable pour les ressources publicitaires essentielles à la pérennité des institutions médiatiques privées, associatives et publiques, en plus de l’absence d’une réglementation publicitaire conformément aux normes internationales.
Les conditions de travail des journalistes ont également été au cœur des discussions. Les professionnels des médias font face à des licenciements massifs, à des contrats précaires et à un manque de protection sociale, compromettant ainsi leur indépendance et leur capacité à exercer leur métier dans des conditions optimales.
En outre, les intervenants ont exprimé leur préoccupation quant au recul de la liberté de la presse en Tunisie, accentué par l’utilisation de lois et de réglementations jugées anticonstitutionnelles, tel que le décret 54, qui renforce la censure et entrave le travail des journalistes. “Un cadre législatif incomplet et inefficace, entravant le travail de l’instance de régulation et ouvrant ainsi la porte au chaos total en matière de contenus journalistiques”, souligne le communiqué de presse.
La même source pointe du doigt aussi une approche bureaucratique des gouvernements successifs à l’égard du secteur des médias, leur refus de s’engager dans une approche réformatrice stratégique et leur tendance à ignorer et à marginaliser le secteur, ainsi qu’à restreindre l’accès à l’information par le biais de directives restrictives, les responsables publics se repliant sur eux-mêmes et refusant de collaborer avec les journalistes et leurs institutions, préférant recourir de manière injustifiée aux réseaux sociaux.
Sur cette base, les structures professionnelles du secteur des médias expriment ce qui suit :
-La nécessité d’accélérer la réforme du secteur des médias publics afin qu’il devienne le moteur des médias tunisiens par le biais d’approches participatives et efficaces, loin des solutions unilatérales et palliatives, touchant à sa gouvernance interne, son organisation, son financement et son indépendance éditoriale, y compris la révision de la composition de ses conseils d’administration et la révision de ses systèmes fondamentaux pour les aligner sur les accords sectoriels et internationaux.
-L’appel à l’exécutif à ouvrir ses portes aux structures professionnelles et à établir un dialogue avec elles afin de construire une approche participative visant non seulement à élaborer une politique publique pour le secteur des médias, mais aussi à travailler de manière urgente pour atténuer un effondrement généralisé ayant des conséquences catastrophiques sur la situation générale du pays et sur l’état de la paix sociale.
-La nécessité pour les pouvoirs exécutif et législatif de comprendre les rôles et les objectifs des médias, étant donné que les médias privés, publics et associatifs représentent un service public souverain offrant un service public à tous les citoyens. A cet égard, l’État doit garantir leur qualité, leur pérennité et leur diversité, et les aider à surmonter leurs crises financières par divers moyens, notamment la redistribution de la publicité publique selon des critères de qualité et de service, ainsi que les aides fournies par l’État aux institutions médiatiques, telles que les aides financières directes et les réductions de TVA et de publicité privée.
-La protection des journalistes contre les politiques de marginalisation, qui auraient des conséquences catastrophiques sur le niveau d’innovation dans les contenus et les politiques éditoriales en général, et sur l’engagement à défendre une profession basée sur les valeurs universelles de la liberté de la presse et du droit des Tunisiens à un journalisme professionnel fort qui remplit ses rôles réels.
-L’appel à l’Office National de la Télédiffusion à tenir compte de la situation financière et économique difficile et exceptionnelle des médias audiovisuels privés, associatifs, régionaux et spécialisés en ce qui concerne les dettes qu’ils ont contractées au titre des redevances de diffusion pour le compte de l’Office.
-L’appel au président de l’Assemblée des représentants du peuple à adopter une attitude positive à l’égard de l’initiative législative concernant le Fonds de soutien à l’indépendance et à la qualité des médias et à la transmettre en urgence à la commission compétente pour examen, compte tenu de la nécessité urgente du secteur des médias.
-Mettre fin aux persécutions de l’instance de régulation pour des raisons injustifiées et illégitimes, et s’engager dans une approche respectueuse de la régulation audiovisuelle en tant que garant de la diversité, de la qualité et de l’organisation du paysage médiatique conformément aux normes internationales.
-Mettre fin à la politique de poursuite des journalistes, à leur intimidation et à leur emprisonnement, et cesser de les poursuivre selon des lois qui contredisent l’essence même du métier de journaliste et des méthodes réglementaires, telles que le décret 54, la Loi sur les communications et la Loi antiterroriste, et adopter le décret 115 comme seul mécanisme de suivi.
Dans ce communiqué, les professionnels des médias soulignent donc l’importance d’un dialogue ouvert et constructif entre les différentes parties prenantes du secteur, dans le but de trouver des solutions durables aux défis auxquels est confrontée la presse tunisienne.
Cette réunion d’urgence témoigne aussi de l’urgence de la situation et de la nécessité d’une action collective pour sauvegarder la liberté de la presse en Tunisie et garantir le droit à une information pluraliste et indépendante pour tous les citoyens.
Les structures signataires :
Le Syndicat national des journalistes tunisiens
La Fédération générale de l’information relevant de l’UGTT
La Chambre syndicale des propriétaires de chaînes de télévision privées
L’Union Tunisienne des Médias Associatifs
Le Conseil de Presse
L’association d’appui au Conseil de Presse
La Fédération tunisienne des directeurs de journaux
La Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle
Le Syndicat national des radios privées
M.BB