«Nous sommes pour un État tunisien, moderne, appartenant au 21e siècle et non au passé, un État qui essaye de rejoindre les États développés» déclarait le président fondateur du mouvement Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, devant quelques 3.000 personnes venues à Nice le 11 octobre dernier pour assister au meeting organisé par l’association «EuroMéditerranéen Contact» dans le cadre des campagnes législatives et présidentielle. Rassemblés de Lyon, Nice, Grenoble, Toulon, Toulouse, Marseille, Paris (…) les Tunisiens de l’étranger se mobilisent et se livrent corps et âme — tout comme leurs concitoyens en Tunisie — à la campagne. Ce soir-là, tous les candidats de Nidaa Tounes à l’étranger se tenaient par ailleurs aux côtés de leur « président.»
Le matin même, Béji Caïd Essebsi avait inauguré le bureau de Nidaa Tounes à Nice. Dans une ambiance tunisienne qui tranchait avec l’architecture et le décor français aux alentours du local situé dans le centre-ville de Nice, des Tunisiens, étudiants, fonctionnaires, militants de Nidaa Tounes et indépendants, jeunes et moins jeunes, s’étaient rassemblés attendant l’arrivée de Béji Caïd Essebsi.
Lors de l’inauguration, le président fondateur de Nidaa Tounes n’a pas manqué de saluer «tous les Tunisiens», car, a-t-il déclaré, «être candidat à l’élection présidentielle signifie rassembler tous les Tunisiens». Outre le local de Nice, Nidaa Tounes a par ailleurs ouvert des locaux à Lyon, Grenoble, Marseille et Toulouse.
Plus tard dans la journée, lors d’une conférence de presse, Béji Caïd Essebsi soulignait le choix devant lequel se trouvent les Tunisiens aujourd’hui, entre deux projets sociétaux et rappelait la crise qu’a dû traverser la Tunisie ces trois dernières années. «Nous avons connu une crise multiforme, sécuritaire, sociale, économique et même politique» a-t-il déclaré tout en évoquant l’issue de la crise ainsi que l’indépendance relative du gouvernement de Mehdi Jomâa. «La crise politique est en train de s’estomper, car nous avons évolué depuis, nous avons une Constitution consensuelle, tout le monde s’est réuni autour de cela et nous avons aussi créé un gouvernement constitué de technocrates, c’est-à-dire indépendant. Théoriquement, il l’est, car personne n’est indépendant, mais relativement indépendant et cela fait presqu’une année que le gouvernement des islamistes est tombé pour être remplacé par le gouvernement de technocrates. Nous avons un processus électoral en marche, il y aura des élections pour les législatives en Europe et à l’étranger les 24, 25, 26, en Tunisie seulement le 26.»
Béji Caïd Essebsi a aussi évoqué la priorité de la sécurité et l’importance d’une stratégie élaborée en accord avec la Libye, le Mali, l’Algérie, l’Égypte et le Niger dans la lutte contre le terrorisme. Il évoque les deux projets sociétaux entre lesquels devront choisir les Tunisiens. «les Tunisiens vont devoir trancher entre deux projets : celui que nous proposons est un État du 21e siècle qui vit avec son temps, un État de progrès, de modernité et surtout un État qui essaye de rattraper le retard qu’il a sur les pays développés. Il y a un autre projet, qui a une référence religieuse, nous, nous sommes pour l’État civil et notre parti a justement initié ce projet-là depuis deux ans et tout le monde a pensé que peut-être il fallait que je continue à le défendre et peut-être que je serai le meilleur défenseur, mais en tout cas, on verra à l’usage, quant à l’âge, vous savez on meurt à tout âge, mais je ferai mon maximum pour que la Tunisie puisse profiter du reste de ma vie et de mon expérience pour faire avancer ce processus démocratique, j’espère que j’arriverai à un point de non-retour dans ce processus-là.»
Toujours lors de la conférence, le président de Nidaa Tounes a quelque peu rappelé son cursus politique comme ambassadeur en France, connaissant donc les problèmes des Tunisiens à l’étranger, ainsi que l’accord qu’il a signé lui-même instaurant la double nationalité pour les Tunisiens résidents en France. «Nous faisons en sorte que les Tunisiens à l’étranger ne se sentent pas en dehors de leur pays et se sentent les égaux des Tunisiens vivant en Tunisie. J’ai eu l’honneur et la chance d’avoir été celui qui a signé les accords franco-tunisiens en matière de double nationalité. C’était en 71 et depuis, les choses ont beaucoup changé, vous savez, maintenant le Tunisien qui a la double nationalité peut se présenter aux élections législatives et même à la présidence de la République.»
Avec subtilité, Béji Caîd Essebsi n’omet pas de poser le parallélisme entre le projet moderne de son mouvement et le projet islamiste, hostile à la femme en soulignant que «la femme tunisienne maintenant peut se présenter à la présidence de la République et nous avons deux femmes dans le lot des candidats. C’est vous dire que nous avons progressé, j’espère que c’est du progrès, car il y a beaucoup qui pensent le contraire et que cela n’est pas une bonne chose.»
Quant à son âge, il rassure, «l’âge ne me dérange pas, la jeunesse est un état d’esprit, je n’ai pas l’Alzheimer, j’ai même une très bonne mémoire, avec l’expérience au service de la Tunisie, les Tunisiens en bénéficieront.»
En marge de la conférence et concernant les divergences au sein de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi nous déclarait «il ne faut pas penser à une crise entre destouriens et la gauche, etc. C’est une crise pour le pouvoir. Parce que tout le monde veut se placer, tout le monde veut être sûr d’être bien placé le jour J, qu’ils font partie du bureau exécutif de Nidaa Tounes ou du Conseil national, ils veulent se placer.» Et il assure, quant à la résolution des crises, que «les problèmes ont été réglés. Et puis après les élections législatives et présidentielle, nous allons être confrontés à organiser, impérativement, un congrès. Ce congrès va déterminer quels sont les dirigeants, ceux qui sont les plus aptes à diriger le parti.»
Nous lui avons aussi demandé ce qu’il répondrait aux personnes qui disent que Nidaa Tounes se présente aux élections au nom des démocrates, mais sans fonctionnement démocratique, car il n’a pas tenu son congrès et présenterait des têtes de listes nommées et non élues, ce à quoi il a répondu «d’abord je ne pense pas que tous les partis qui se présentent aux élections aujourd’hui sont totalement démocratiques étant donné qu’ils n’ont pas tous non plus organisé leur congrès. Nidaa Tounes a une situation très spéciale étant donné que le mouvement est un parti récent, il a été constitué le 16 juin 2011, cela veut dire après les élections du 23 octobre, un parti qui a pris une ampleur assez importante sur la scène politique.»
Le meeting
La salle Acropolis, dans laquelle Sarkozy avait également tenu son meeting, affichait complet. La foule venue de toute la France scandait des slogans soutenant leur candidat favori, Béji Caïd Essebsi. Lors de la distribution des drapeaux tunisiens, l’exaltation atteignit son comble. Répondant à l’invitation d’Euro Méditerranéen Contact, Béji Caïd Essebsi, s’est rendu à l’étranger, tout comme l’ensemble des têtes de liste de Nidaa Tounes, pour motiver les Tunisiens, «pour voter, ainsi que pour voter pour le progrès et le modernisme»
La tête de liste de Nidaa Tounes à France sud (France 2), Kamel Dhawadi, entama le meeting en soulignant que «le mouvement est la solution pour la Tunisie et il gagnera, si Dieu le veut, les prochaines élections.»
Béji Caïd Essebsi a ensuite mis l’accent lors de son discours sur la férocité de la bataille électorale et sur l’animosité de ses adversaires. «On livre aujourd’hui une bataille électorale cruciale, car elle marquera la différence entre deux époques. Cette bataille est malheureusement impitoyable, car nous avons formé Nidaa Tounes suite aux élections du 23 octobre 2011 qui a alors prouvé que la scène politique n’était pas équilibrée et nous voulons ramener cet équilibre. Il existait un parti qui a été organisé et discipliné et qui a raflé 89 sièges. Et puisque nous aspirions à un processus démocratique pour notre pays après plus de vingt ans de pression et de frustration, nous savons que le processus démocratique ne réussira qu’en obéissant à deux conditions : un État de droit et juste et l’existence de conditions favorables pour l’alternance au pouvoir. Il n’y a pas de démocratie sans l’alternance au pouvoir. Cette dernière ne peut être possible si la scène politique n’est pas équilibrée. Il faut cet équilibre et c’est pour cela que nous avons créé Nidaa Tounes. Cela dit, la scène politique n’est plus comme celle du lendemain du 23 octobre et l’alternance sera possible avec la bataille électorale que nous entamons aujourd’hui. Notre classement en tête des sondages depuis un an et demi nous a, néanmoins, valu l’animosité des adversaires qui nous attaquent d’une façon impitoyable voulant renverser les choses au sein de Nidaa Tounes. Ils ont mené une campagne de diffamation évoquant des différends et des crises au sein du mouvement, les médias ont nourri cela. Mais nous l’avons surmonté.»
Il a aussi rassuré les sympathisants de son mouvement de ses projets modernistes et de sa victoire, déclarant «Nidaa Tounes est sur pied, on entrera dans la bataille et on la remportera, si Dieu le veut. On la remportera grâce à votre soutien à tous et grâce à votre présence le jour des élections. Il existe deux projets : voulez-vous le projet des personnes qui étaient au pouvoir depuis trois ans et ont conduit la Tunisie à sa situation actuelle, ou voulez-vous ce projet réformiste qui continuera l’œuvre nationaliste entamée depuis Kheireddine Pacha jusqu’à Bourguiba ? Nous sommes pour un État tunisien, moderne, appartenant au 21e siècle et non au passé, un État qui essaye de rejoindre les pays développés. Espérons qu’on dépasse aussi l’héritage de la Troïka qui nous a menés à une crise politique, économique, sécuritaire et sociale. On a commencé à sortir de la crise politique, car nous avons fait partir le gouvernement d’Ali Laarayedh et ramené un gouvernement de compétences. Mais le chemin est encore long et on doit s’assurer après les élections que la Tunisie de demain sera celle des jeunes, des femmes et du développement»
Communication politique
Le président de Nidaa Tounes, n’a pas omis de parler d’unité. Dans une période caractérisée par la division depuis la campagne du 23 octobre 2011. Ennahdha, accusé jusqu’à sa démission du gouvernement d’avoir divisé le peuple, prône le consensus et le rassemblement depuis le dialogue national. Ainsi, le fit aussi Béji Caïd Essebsi soulignant l’importance d’être unis, rassemblés et solidaires. Il empiète même sur le terrain religieux que s’approprie Ennahdha depuis son ascension et entama son discours, versets coraniques à l’appui.
Lors du meeting, un court-métrage a été diffusé, rappelant l’évolution du soulèvement du 17 décembre 2010 jusqu’au 14 janvier 2011. Projetant des photos de martyrs, d’émeutes… Le film évoque ensuite la démission de Mohamed Ghannouchi et la nomination de Béji Caïd Essebsi, avec quelques-unes de ses déclarations et de ses prises de positions lors d’une période incertaine de l’histoire moderne de la Tunisie, ainsi que la passation du pouvoir au lendemain du 23 octobre. Jusqu’ici le film évoquait un processus démocratique, une passation, première en son genre dans l’histoire de la Tunisie et l’aspiration à un avenir meilleur. Mais la deuxième partie contrastait avec tout cela : projection des assassinats politiqwues commis à l’ère de la Troïka, les familles effondrées des soldats massacrés, la répression à la chevrotine du gouvernement Ali Laarayedh (…) et l’on passa ainsi du tableau de l’espoir et de l’aspiration à une scène tunisienne chaotique sur plusieurs plans. Le film était un véritable appui visuel au parallèle établi par Béji Caïd Essebsi entre son projet et celui de la Troïka, mais aussi entre ses réalisations à la tête du pouvoir et celles de ses adversaires politiques ayant déjà gouverné…
Hajer Ajroudi