Mégaprojets : Mirages ou réalité ?

Depuis 2008, trois mégaprojets de développement promus par des investisseurs prestigieux originaires des pays du Golfe ont été annoncés à grands renforts de publicité dans le Grand Tunis.

Ces projets devaient changer le visage de la capitale, créer un effet d’entrainement sur plusieurs secteurs d’activité, dynamiser l’économie tunisienne et créer des dizaines de milliers d’emplois pour les diplômés du supérieur. Des conventions ont été signées par l’Etat accordant plusieurs avantages aux promoteurs et en même temps des obligations pour la Tunisie.

Sept ans après, il convient de faire un premier bilan sur l’état d’avancement de ces projets qui soulèvent de plus en plus de polémiques et provoquent des contestations de la part de l’opinion publique et des promoteurs tunisiens.

Où se situe la problématique des mégaprojets ?

A la fin des années 2000, il est apparu clairement que le modèle de développement adopté par la Tunisie touchait à sa fin en termes de taux de croissance économique, de création d’emplois pour les diplômés du supérieur, ainsi qu’en termes de création de la valeur dans l’économie et l’industrie tunisiennes.

En effet, les taux de croissance du PIB réalisés à l’époque n’arrivaient pas à dépasser 4 à 4,5% par an ce qui ne permettait pas d’absorber les 80.000 jeunes qui arrivaient chaque année sur le marché de l’emploi d’où l’augmentation sensible du taux de chômage qui était déjà élevé.

Par ailleurs notre pays souffrait à l’époque, et il souffre encore, d’un manque flagrant d’investissements massifs d’origine extérieure susceptibles de provoquer un effet de levier vis-à-vis d’une économie en léthargie.

Il faut dire qu’il y avait de grandes réserves foncières inexploitées à la porte de la capitale, susceptibles d’abriter de grands projets d’aménagement du territoire : il s’agit en fait de sites naturels de grande valeur, compte tenu de leur proximité stratégique et immédiate de la capitale, de l’aéroport Tunis-Carthage, des sites historiques et culturels de Carthage et de Sidi Bou Saïd, ainsi que des sites touristiques : plages et ports de plaisance.

Edifiés par la réussite du projet d’aménagement des Berges du Lac-Nord El Bouheïra, plusieurs investisseurs émiratis qui disposent de capitaux importants accumulés suite aux activités découlant des pétrodollars, et autres opérations immobilières et boursières, ont conçu des projets intégrés et séduisants qui ont abouti à la signature de conventions avec l’Etat tunisien.

Le principe étant le suivant : l’Etat tunisien concède de vastes terrains gratuitement ou à bas prix et accorde plusieurs avantages d’ordre fiscal aux promoteurs et en même temps doit réaliser et financer les infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de ces « nouvelles villes ».

Il doit amener l’eau potable, l’énergie électrique et le gaz, assurer l’évacuation des eaux usées ainsi que les connections télécoms jusqu’aux limites du périmètre du projet.

En contre partie les promoteurs s’engagent à investir et à financer les différentes composantes du projet soit directement soit indirectement en faisant appel à d’autres entreprises qu’ils s’engagent à faire venir.

Il y a toujours une composante immobilière, touristique et commerciale de grand standing qui garantit la valeur ajoutée de l’ensemble : hôtels et logements luxueux, terrains de golf, port de plaisance, centres commerciaux, établissements de loisirs,… Mais aussi implantations d’établissements financiers, sociétés de services à haute valeur ajoutée, activités tertiaires, de quoi favoriser l’intégration de notre pays dans la mondialisation.

Il faut dire que l’Etat tunisien a gardé un droit de regard sur les composantes du projet, c’est ainsi que les modifications à introduire par rapport au projet initial doivent être approuvées par les services des ministères tunisiens à travers les permis de bâtir et les plans d’aménagement.

C’est conformément à ce schéma global que trois mégaprojets ont été approuvés par les autorités tunisiennes : Sama Dubaï sur les rives du Lac sud de Tunis y compris l’ancien port de commerce de Tunis, Tunis Sport City, projet Boukhater sur les rives nord du lac de Tunis et le port financier de Raoued sur les rives de Sebkhet Ariana.

Difficultés et péripéties multiples

Si les conventions avaient été exécutées conformément au calendrier établi en respectant scrupuleusement les composantes du projet, il n’y aurait pas eu de problème majeur même si les critiques et contestations de uns et des autres sont souvent fondées.

En effet est-il légitime de brader 850 ha situés au cœur de la capitale y compris un port déjà construit au prix d’un dinar symbolique, au profit d’un investisseur émirati ?

Notre pays a-t-il les moyens financiers et les ressources matérielles pour financer les infrastructures nécessaires pour faire face à la consommation de ces trois nouvelles villes en matière d’eau potable, d’énergie électrique, de routes, d’aéroports,…

Les retombées économiques et financières ainsi que les impacts sur la création d’emplois seront-elles rentables et suffisamment à la hauteur des attentes de la nation et des sacrifices consentis par la collectivité nationale ?

En fait il y a eu entre-temps deux évènements-obstacles majeurs : la crise financière et économique mondiale de 2008 et la Révolution tunisienne de janvier 2011.

La crise financière qui a éclaté en 2008 avait pour origine les “subprimes” avec effondrement des valeurs immobilières aux USA, elle s’est répercutée à travers les marchés financiers et les banques aux autres pays d’Europe et du Moyen-Orient. La Bourse de Dubaï a été également touchée et, semble-t-il, plusieurs investisseurs émiratis en ont payé les frais.

Il est vrai également que les perturbations sociales et l’instabilité politique qui ont suivi le 14 janvier 2011 n’étaient pas favorables à la réalisation de grands projets.

Le port financier de Raoued : un chantier actif

Le projet du port financier de Raoued est, parmi les trois mégaprojets, celui qui a connu le taux d’avancement le plus élevé malgré la succession de crises économiques depuis 2008.

Le promoteur c’est Beït Ettamouil Al Khaliji dont le président du Conseil d’administration est M. Esam Yussuf Janahi. Le projet s’étend sur 523 ha avec un investissement global de 5 milliards de dollars US.

En effet ce projet consiste à édifier entre les Berges de la Sebkha de l’Ariana et les rivages de la mer de Raoued, sur une superficie totale de 523 ha, toute une ville intégrée comportant plusieurs composantes.

D’abord une composante touristique et immobilière avec un port de plaisance et une marina, des résidences luxueuses et des hôtels. Ensuite un complexe commercial de grand standing et un terrain de golf. Le plus intéressant pour notre pays c’est l’implantation d’institutions financières internationales, de société de services et de centres d’affaires ainsi que des instituts universitaires destinés à l’accueil de 4000 étudiants focalisés sur les filières commerciales, financières et de gestion d’entreprises.

Le promoteur se propose de construire 200.000 mètres carrés de bureaux destinés à attirer et à accueillir ces sociétés grâce aux avantages fiscaux accordés par l’Etat tunisien, ce qui permettra la création de plusieurs milliers d’emplois pour les diplômés du supérieur.

Les investissements prévus pour la réalisation de ce projet qui comporte plusieurs étapes, sont évalués à 2 milliards de dinars dont 150 MD destinés à l’aménagement de la Sebkhat Ariana.

Il faut dire qu’outre la cession de terres domaniales au profit du promoteur à un prix symbolique, les autorités tunisiennes ont exproprié des lots de terrains appartenant à des privés et nécessaires à la réalisation du projet.

Cela a permis au promoteur d’achever les études techniques et d’engager résolument les travaux d’infrastructures relatifs à la première étape. Actuellement le chantier est très avancé et bientôt les travaux de construction seront entamés.  Parallèlement à cela, le promoteur est en train de nouer des accords avec plusieurs partenaires pour entreprendre la réalisation de certaines composantes du projet telles que la construction de logements et l’édification des installations touristiques et établissements commerciaux.

Tunis Sport City : la révision du projet initial en suspens

Le Groupe Boukhater s’était porté promoteur d’un projet original focalisé sur l’aménagement de terrains de sports et la création d’académies sportives sur un site naturel diversifié fait de bois et de terrains situés sur les berges nord du Lac de Tunis. C’est ainsi que 800 hectares ont été acquis à un prix bonifié et que le projet a connu un début d’exécution en 2009-2010.

Le projet comporte bien sûr une composante immobilière de luxe importante ainsi que des complexes commerciaux de grand standing.

Le promoteur a construit un vaste hall d’exposition pour les maquettes relatives aux logements en même temps qu’un bureau de vente sur plans une fois les études techniques achevées.

Des contrats ont été signés avec des entreprises locales pour les travaux de réalisation des infrastructures : canalisations pour les amenées de fluides, évacuation,… ainsi que la construction de routes pour la première tranche du projet.

Cette première tranche concerne évidemment la partie immobilière, celle qui permet d’encaisser les premières recettes.

Les travaux de VRD ont même commencé, mais les événements du 14 janvier 2011 ont provoqué l’arrêt des travaux. Nous croyons savoir que le promoteur aurait l’intention de reprendre les travaux en apportant des modifications draconiennes à son projet initial. Une réduction substantielle des composantes sportives et des investissements prévus, soit 50 milliards de dollars, apparaît. Cela surprend les autorités tunisiennes car il n’est pas conforme à la convention.

En effet il ne s’agit plus de plusieurs terrains de sports et d’académies sportives pour accueillir en stages les grands clubs internationaux. Certes le terrain de golf existe encore mais l’envergure du projet a été réduite de façon sensible.

Il y a des négociations entre les deux parties car les avantages fiscaux et autres accordés par les autorités tunisiennes ont été faits en fonction des composantes du projet.

Il faut croire que, désormais, seules les composantes immobilières et touristiques intéressent le promoteur.     

Les portes de la Méditerranée : un projet mort-né ?

Il faut dire tout d’abord que le site consacré à l’implantation du projet est exceptionnel : 1000 ha en plein cœur de la capitale, y compris la façade maritime dont l’ancien port commercial de Tunis doté de ses infrastructures de base.

L’ensemble du projet se trouve en bordure du Lac-sud de Tunis qui a été déjà assaini aux frais de l’Etat tunisien pour un coût de 100 millions de dinars au prix des années 2000.

L’Etat a cédé sa part soit les 840 ha de terres domaniales au prix symbolique de 1D et s’est engagé à exproprier le reste auprès des particuliers.

Le projet qui a fait l’objet d’une convention signée par l’Etat tunisien et approuvée à l’époque par la chambre des députés est très ambitieux et comporte plusieurs composantes.

Aménagement et équipement du port commercial en port de plaisance pouvant accueillir plus de 1200 anneaux, construction d’immeubles de grande hauteur aussi bien pour accueillir les entreprises de services étrangères que pour servir de logements, aménagement d’espaces verts, de loisirs et de terrains de sports et implantation de complexes commerciaux de grand standing.

Il s’agit d’investissements ambitieux à réaliser en plusieurs étapes pour le lancement du projet en grande pompe, le promoteur avait fait construire à une vitesse record de 90 jours, une sorte de hall d’exposition abondamment éclairé grâce à des baies vitrées pour la pose de la première pierre en 2010. Il faut dire que d’anciennes constructions bordant les quais du port de Tunis ont été détruites et déblayées pour dégager le site.

A part cela le projet n’a pas avancé d’un iota depuis la signature de la convention. Ce qui est surprenant c’est que la convention n’a pas été dénoncée par les autorités tunisiennes bien que les délais impartis soient dépassés.

Il y a lieu de constater que des terrains implantés dans un site stratégique restent abandonnés sans mise en valeur ni exploitation depuis des années alors que le pays a besoin plus que jamais d’investissements et de dynamisation de l’activité économique. Il faut dire que les investisseurs ne manquent pas pour prendre la relève d’une partie du projet dont des Tunisiens.

A quelles conditions ? Cela reste à préciser.

Ainsi Sama Dubaï ne semble pas avoir abandonné le projet. A-t-il l’intention ou a-t-il les moyens d’honorer ses engagements ? Qui empêche la déchéance d’un promoteur qui a failli à ses engagements ? Il y a là une énigme à élucider

Cession d’un terrain domanial en suspens

La société d’études et de promotion de Tunis-Sud est une société étatique créée pour aménager et mettre en valeur des espaces destinés à accueillir des activités économiques et à créer des milliers d’emplois dans une zone où les besoins se font sentir grâce à sa proximité du port de Radès. Il s’agit de la zone située entre Mégrine et Radès, proche du lac sud de Tunis.

Selon une déclaration de Moncef Sliti, PDG de la SEPTS, il s’agit du projet d’aménagement d’une zone logistique et technologique sur une superficie de terrain domanial de 127 hectares.

En effet il y a une forte demande d’acquisition de lots de terrains à caractère économique : industriel, logistique et de services susceptibles de créer 9000 emplois.

Cela implique en fait de créer également des lots à usage résidentiel pouvant loger 15.000 habitants pour préserver le caractère intégré de la zone.

Ce projet reste en attente de l’agrément à donner par le gouvernement, qui se fait attendre, afin de mettre en marche la procédure de cession du terrain par le ministère des terres domaniales. Il est à remarquer qu’il s’agit du caractère privé du domaine de l’Etat. Le coût total de l’investissement est évalué à 257 MD avec un chantier susceptible de durer plusieurs années voire dix ans et une réalisation en plusieurs étapes.

La vente des lots de terrains aux promoteurs pourrait rapporter 336 MD selon la SEPTS.

SAMA Dubaï :Se désister ou être déchue ?

Anis Ghedira, Secrétaire d’Etat à l’habitat a effectué récemment une visite de travail sur les lieux au Port de Tunis et sur les Berges du lac sud, à savoir le site sur lequel devait se réaliser le projet “Les Portes de la Méditerranée” promu par SAMA Dubaï.

A cette occasion il a déclaré “nous allons discuter avec SAMA Dubaï, promoteur du projet, pour qu’elle respecte ses engagements et poursuive les travaux d’aménagement et de construction. Sinon nous allons explorer d’autres pistes, dont la cession du projet au profit de l’Etat tunisien ”.

Au cours de la même visite le Secrétaire d’Etat à l’Habitat avait annoncé que plusieurs autres investisseurs privés ont fait part de leur intérêt à investir dans ce projet.

M. Ghedira a poursuivi dans sa déclaration à l’Agence TAP “qu’il est inadmissible de ne pas tirer profit de ce patrimoine foncier dont la valeur est passée de 15 milliards de dinars en 2008 à 25 milliards de dinars actuellement”.

Il y a lieu de rappeler que le projet initial des « Portes de la Méditerranée » devait créer 150 à 200.000 nouveaux emplois ainsi que des zones résidentielles pouvant accueillir 200.000 habitants. L’ancien port commercial de Tunis, moyennant quelques aménagements, devait être reconverti en port de plaisance pouvant accueillir 1200 anneaux et réconcilier ainsi les habitants de la capitale avec sa façade maritime.

Rappelons que l’Etat a assaini pour un montant de 100 millions de dinars le lac-sud de Tunis qui était pollué par les rejets industriels.

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