La Tunisie termine une année 2018, il est vrai mouvementée, tendue et riche en rebondissements inattendus, sur une fausse note. Les élus de la nation donnent le mauvais exemple, le faux tempo. Ils ont donné de surcroît un argument massue de leur insouciance et de leur insoutenable légèreté s’agissant de leur implication, pleine et inconditionnelle, à consacrer les objectifs pour lesquels ils ont été élus.
Ils ont fait preuve, d’abord, de leur irresponsabilité et manque de maturité, en rejetant le 13 décembre dernier, à la grande surprise de tout le monde, une réforme essentielle, celle des retraites dans le secteur public. Le comble réside dans le fait que ce rejet est survenu après qu’ils ont adopté séparément tous les articles de ce projet de loi. Il y a certainement anguille sous roche. Comment expliquer cette volte-face soudaine et l’absence de quorum pour que cette réforme, dont dépend la viabilité du système de sécurité sociale, passe ? S’agit-il d’un autre épisode de la guerre de tranchées qui oppose depuis maintenant quelque temps les deux têtes du pouvoir exécutif et d’un moyen traficoté, à la dernière minute, pour accroître les difficultés d’un pays qui n’a cessé, huit ans durant, de souffrir de l’immaturité de sa classe politique et de son incapacité à discerner l’essentiel de l’insignifiant ? A qui peut profiter ce blocage ? Dans tous les cas de figure, ce sont les Tunisiens qui vont payer les pots cassés de ce règlement de comptes entre adversaires politiques prompts à utiliser toutes les armes de destruction pour enfoncer davantage le pays dans le doute, la crise et les difficultés.
Ensuite, ils ont fourni la preuve de leur insoutenable légèreté, en prenant un congé de deux semaines, pour profiter pleinement des fêtes de fin d’année. L’annulation de toutes les plénières jusqu’au début de janvier prochain ne surprend pas outre mesure, quand on sait que le taux de présence des députés aux séances plénières n’a pas dépassé, en novembre dernier, les 19% et quand on se rend compte que pas moins de 92 projets de loi continuent à moisir dans les tiroirs de l’ARP. Nos députés se soucient comme d’une guigne des priorités nationales, eux qui ne cherchent qu’à faire le cirque dans un hémicycle où les luttes de position l’emportent largement sur la volonté de conduire le changement.
Alors que le moment est plus que jamais à l’accélération de la résolution de certains dossiers brûlants dont dépend en grande partie le bon déroulement des prochaines échéances électorales, à l’instar de l’élection d’un nouveau président de l’ISIE, du renouvellement du tiers de ses membres ou la finalisation de la mise en place de la Cour constitutionnelle, qui accuse un retard de plus de quatre ans, nos élus ont préféré se dérober à leurs devoirs. Ils ont assez travaillé et participé par leur impertinence et leur incongruité à vicier non seulement la vie publique mais, aussi et surtout, à rendre encore plus béant, le fossé de manque confiance qui les sépare des Tunisiens. Avec leur nonchalance, ils confondent tout et ne s’aperçoivent pas de leur manquement à leurs devoirs, lequel est en train d’hypothéquer davantage le processus de transition du pays, les prochaines élections, tout en ajoutant à l’imbroglio qui sévit dans le pays depuis maintenant presque un an, une dose supplémentaire de doute et de brouillard.
Il faut dire que l’insouciance des députés n’étonne guère et ne perturbe plus outre mesure. Au regard de la guerre larvée qui oppose les deux têtes du pouvoir exécutif, qui ne daignent même plus sauver les apparences dans la gestion de leur différend qui fait les choux gras de toutes les discussions et débats. Une dérive qui est en train de les empêcher de faire prévaloir la raison de l’Etat, ou de cohabiter en bonne intelligence. Les deux têtes du pouvoir se plaisent même à un jeu dangereux, en animant les polémiques par le biais de leurs conseillers qui n’arrivent pas à saisir qu’on ne gère pas de cette façon les affaires du pays, et qu’on ne doit pas verser dans ce genre de travers quand on est en charge de la sécurité, de la stabilité et du développement d’une nation épuisée par les guéguerres et les surenchères de toutes sortes.
Peut-on s’étonner dès lors de voir le pays paralysé, ses institutions fonctionner à l’inverse, les rumeurs empester la vie publique et les guerres entre les différents partis politiques prendre une tournure grave ?
Dans ce tumulte, l’on se demande quelle place est donnée à la défense des intérêts des Tunisiens. La conscience des défis qui pointent à l’horizon fait cruellement défaut chez les différents acteurs, plus que jamais obnubilés par le pouvoir et le contrôle des institutions de l’Etat, plus que par toute autre chose. Que peut-on attendre de l’année 2019 ? Au train où vont les choses, pas grand-chose. Les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets ? Espérons quand même qu’il y aura des élections libres et transparentes, que le pays retrouvera, enfin, les chemins qui mènent à la stabilité, à la croissance et à la paix sociale. n