Message crucial du Général

Par Khalil Zamiti  

Après l’adieu aux armes du général, homme de l’option démocratique, la coloration politique du successeur sur les hauteurs des trois armées pourrait envoyer un signe guetté par les deux clans de la bipolarisation. Mais la position prise par le général quant à la nature du 14 janvier, jette un pavé dans la mare des affairés à nier l’existence même de la Révolution. L’actuelle dégradation de la situation économique et sécuritaire donne lieu à deux interprétations contraires. Les mêmes observations signifieraient soit un processus inhérent à tous les grands chambardements, soit l’échec de la Révolution. Aujourd’hui deux nouveaux signaux contradictoires ajoutent leur confrontation à la première opposition. Les uns expliquent le “dégage” par les intrigues de l’entourage et les autres l’imputent au raz de marée  d’un peuple excédé par les outrances du palais. Au thème de la révolution populaire et de son éclat, le conseiller du président provisoire oppose la thèse du coup d’État.

Mais les outrés par ce rabat-joie donnent de la voix. La révélation d’Aziz Krichène étonne et soulève la question de ses raisons, car, en politique, il n’y a pas d’énonciation gratuite.

La fragilisation politique de Marzouki, sa chute vertigineuse dans les sondages et la réclamation de son limogeage l’inciteraient à jouer le tout pour le tout face à une Troïka aux abois. 

 

Un argument pour Obama

Cependant une autre hypothèse focalisée sur la dynamique externe contribue à éclairer nos lanternes. La “bombe” lâchée par le conseiller présidentiel intervient dans le sillage de l’outrage infligé à l’allié américain. L’attaque de l’ambassade et le sursis concédé aux surpris en flagrant délit, incitent la diplomatie américaine à mieux concevoir sa relation avec Ennahdha. Car maintenant l’islamisme au pouvoir donne à voir une arme à double tranchant.

L’accord sur la protection des intérêts israélo-américains paraît peu compatible avec l’irruption de l’islamisme intransigeant au flanc de l’islamisme conciliant. Le premier préconise l’imposition du Califat dans l’immédiat et le second prône l’institution du même système à plus long terme.

Dans ces conditions, la justice nahdhaouie cultive le flou, tant elle tâche de ménager la chèvre et le chou. Fourvoyée au cœur de ce dilemme, la diplomatie américaine voit planer sur sa tête le spectre de Ben Laden. Car une fois l’objectif commun atteint, l’évacuation des Russes inaugure la réorientation du combat taliban contre le grand Satan. Pour celui-ci, le grand Moyen-Orient passe par sa démocratisation. Au congrès du parti Ettahrir son président, Ridha Belhaj remet en question pareille orientation : «La force vient toujours des mobilisations populaires et il n’est donc pas nécessaire de participer au processus démocratique pour modifier les choses et atteindre les objectifs.»

Avec ou sans élections, nous atteindrons les hauteurs de l’État pour instaurer nos lois. Dans ce chassé-croisé, le conseiller de Marzouki fournit aux américains l’argumentation requise par un surcroît de pression sur leur allié du moment jugé trop laxiste envers les salafistes.

 

L’action et l’intention

En effet, au cas où, pour son accès au pouvoir, Ennahdha aurait mis à profit un coup d’État, elle perdrait l’aura liée au succès assuré par l’implosion de la Révolution.

Cette fragilisation la rend moins souveraine et encore plus soumise aux injonctions américaines. Ce grain apporté au moulin américain par l’ancien gauchiste maintenant campé au palais à titre de conseiller, soulève un problème difficile à élucider. La «bombe» lâchée par le vieux traducteur de Gramsci visait-elle cet effet pro-américain en pleine connaissance de cause ? L’interrogation lève un coin du voile sur la relation établie entre l’action et l’intention.

Mais dans tous les cas de figure chaque initiative échappe à son auteur et interfère avec une foison de rétroactions dont l’ensemble informe l’ample transformation.

L’aide accordée à l’opposition syrienne bute sur l’éventuelle tombée des armes sophistiquées entre les mains d’islamistes où américains et européens subodorent le risque «terroriste». Que faire devant l’insoutenable, ne rien faire ?

 

Comment peuvent advenir les guerres ?

En Tunisie, Ridha Belhaj, l’homme du jour, et Abou Iyadh le fugitif de la nuit, proclament le rejet de la démocratie. À leur tour les démocrates fondent le triomphe de la Révolution sur les prochaines élections. Les deux camps, bourrés de bonnes intentions, pourraient avancer vers l’enfer de la guerre au nom de grands sentiments.

À l’échelle universelle, nous mimons l’astrologue avec l’œil braqué sur les étoiles et le pied dirigé vers le puits infernal.

L’avantage de la croissance économique nourrit le désavantage inhérent à la destruction de l’environnement. Descartes en France et Locke en Angleterre perçoivent, dans l’homme, le maître de lui-même et de l’univers, nonobstant leur antagonisme doctrinaire.

À Tunis, les services de sécurité mobilisés autour du Chaambi durant plus d’un mois, peinent à arracher ce clou.

Du coup, le doute envahit le territoire de plus en plus évacué par l’espoir légué sur les traces du 14 janvier, quand l’histoire joue à saute-mouton.

Le conseiller n’avait ni tort ni raison avec sa révélation du secret si cher à Polichinelle.

Ben Ali songeait, peut-être, à immoler quelques profiteurs sur l’autel de son pouvoir menacé. Aussitôt l’insurrection populaire déclenchée de manière spontanée, une part de l’entourage présidentiel met à exécution le processus mijoté auparavant pour dégager le devenu gênant. Mais la bourrasque emportera le boss et ses comploteurs inconséquents. Pour dégager le paria, le complot, sans contexte approprié ne suffit pas, «c’est la loi» disait Nietzsche à propos du moment où «pour construire un sanctuaire il faut qu’un sanctuaire soit détruit.»

Par son accélération, l’Histoire paraît jouer à saute-mouton lors du coup d’État combiné à la Révolution. Pour cette raison, celle de la transformation rapide, l’air du temps favorise les spéculations prises au piège de la confusion. Quand bien même le coup d’État et la dynamique externe étaient là, l’éjection de l’usurpateur sera l’œuvre magistrale d’une authentique Révolution. Tels furent le témoignage principal et le message crucial du général.

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