Mettre fin à la logique de l’Etat mendiant !

Les chercheurs en sciences sociales se sont intéressés depuis longtemps au phénomène de la mendicité pour comprendre ses origines et ses manifestations. Les études sociologiques nous ont laissé des résultats importants pour mieux le comprendre, loin des positions éthiques ou des politiques sécuritaires qui cherchent à l’exclure de l’espace public. Ces résultats ont une grande importance dans la mesure où ils nous aident à définir les politiques publiques pour sortir de ces phénomènes qui constituent une atteinte à la dignité humaine.

Les origines de la mendicité et les comportements
Les études sociologiques ont démontré que le phénomène de la mendicité trouve ses origines dans des phénomènes économiques et sociaux profonds. Le passage à la mendicité chez les individus n’est pas un choix en faveur du gain rapide et de la paresse. Au contraire, il s’agit d’une décision difficile et pénible car il porte une atteinte à sa dignité et son amour propre. Le passage à la mendicité est la dernière étape dans la stratégie de survie des individus.
Pour ce qui est de la cause profonde de ce phénomène, il s’agit du contexte de fragilité économique et sociale qu’il subit depuis une longue période. Avant de passer à cet acte, les individus cherchent par tous les moyens, et pour une longue période, à échapper à ce qu’ils considèrent comme une chute. Certains réussissent à l’éviter et cherchent à assurer leur survie difficilement.
Les études sociologiques ont démontré que la mendicité est un phénomène social qui a des origines structurelles profondes. Ces origines remontent à la fragilité sociale et économique qui rend la reproduction ou la survie de l’individu en comptant sur ses propres forces, difficiles. Le passage à la mendicité après une forte lutte est une reconnaissance de cet échec. Les individus et les familles qui échouent sur une longue période à se procurer le minimum pour éviter la faim et assurer leur survie se trouvent dans l’obligation d’opérer cette transition pénible du point de vue psychologique et de faire appel à l’autre pour vivre.
Parallèlement à l’analyse des origines profondes de ce phénomène, les recherches sociologiques se sont employées également à comprendre les comportements qui l’accompagnent. Ces études ont montré que la mendicité ouvre un nouveau monde inquiétant et menaçant où disparaissent les règles et les lois du vivre-ensemble. La violence, le mensonge et la fin de tout engagement social et éthique sont les caractéristiques de ce nouveau monde.
La longue tradition de recherche sur la mendicité a démontré que nous sommes en présence d’un phénomène dangereux pour deux raisons. La première est que ce phénomène est le résultat d’une fragilité économique et sociale où la survie n’est plus possible sur la base des seules forces propres. La seconde raison est que ce phénomène s’accompagne de comportements qui remettent en cause les règles de la vie civile et du vivre en commun pour ouvrir un nouveau monde dominé par la violence et la loi de la jungle.

Quelques éléments sur l’Etat mendiant
A notre connaissance, la notion d’Etat mendiant n’a pas été utilisée par le passé dans la littérature politique ou dans les recherches économiques et sociologiques. Nous avons voulu introduire cette notion pour souligner le caractère dangereux de certaines pratiques des pouvoirs publics qui, si elles se poursuivaient, nous conduiraient vers la posture de l’Etat mendiant. Notre objectif dans cette réflexion est de couper court à ces pratiques et de revenir à la tradition originelle de l’Etat national qui est de compter sur ses propres ressources et ses capacités internes dans la production, l’investissement et la création de la richesse.
Pour définir cette notion de l’Etat mendiant, nous reviendrons aux travaux sociologiques sur la mendicité pour leur emprunter leurs démarches méthodologiques et le contenu de leurs notions et concepts. Le premier emprunt que nous ferons aux travaux sociologiques concerne l’origine de ce passage à l’acte et ce recours à la mendicité de la part des individus et des groupes sociaux. A ce niveau, il nous paraît important de souligner la proximité de ce phénomène entre les individus et les Etats, qui concerne la fragilité des situations économiques et sociales qui sont au cœur de cette posture, et qui peut devenir une politique étatique.
La plupart des pays, y compris les plus pauvres, mettent l’accent sur leurs ressources propres dans la croissance et la production de la richesse. Cette règle générale ne signifie pas l’absence d’un recours à l’autre et à la coopération internationale dans la dynamique économique, y compris de la part des pays riches. La majorité des pays ont tendance à s’adresser à l’extérieur pour se procurer les financements manquants, la technologie, les matières premières ou d’autres éléments de la production. Mais, l’effort interne reste le plus important et sa mobilisation est au cœur des politiques publiques dans tous les pays.
Les pratiques et les attitudes proches de la mendicité au sein des Etats apparaissent dans les moments de grande fragilité économique et de crises profondes. Lors de ces moments, les ressources internes des Etats se trouvent dans l’incapacité de répondre à leurs besoins, et leurs grands équilibres macroéconomiques connaissent une forte détérioration. En même temps, ces périodes sont marquées par un recul de la création de richesses, de la productivité des entreprises et de leur compétitivité. C’est au moment des grandes crises financières et économiques qu’apparaissent ces comportements proches de la mendicité, et que le recours à l’étranger et à l’autre pour échapper à ces situations devient la solution la plus facile.
Ces comportements s’accompagnent d’attitudes nouvelles comme, par exemple, prendre des engagements, y compris ceux qu’on est persuadé de ne pas respecter pour bénéficier de l’appui externe coûte que coûte. Ils sont également à l’origine de nouveaux sentiments comme celui de ne plus avoir honte de tendre la main à l’autre. Ces comportements sont aussi à l’origine d’une grande désorganisation dans le fonctionnement des institutions de l’Etat et dans la formulation des priorités.

De quelques comportements de mendicité
Comme nous l’avons souligné, l’objectif de cette contribution est de souligner ces comportements qui commencent à se rapprocher dangereusement de la mendicité et dont l’accumulation nous conduirait à l’Etat mendiant.
A ce niveau, je souhaite souligner une accélération du phénomène à deux niveaux. Le premier concerne le domaine de la santé publique, particulièrement celui de la lutte contre la pandémie du Covid-19. Nous avons commencé à enregistrer un développement des attitudes de facilité du recours à l’extérieur et la marginalisation de nos moyens et de nos ressources internes. Il faut souligner que nos moyens nationaux, particulièrement nos hôpitaux et notre personnel médical, ont joué un rôle majeur dans la protection de la santé de nos concitoyens face au virus.
Cependant, on a enregistré une tendance à recourir à l’étranger dans d’autres domaines. Ainsi, en est-il du financement nécessaire pour se procurer les vaccins et le matériel médical nécessaire avec la recherche des financements auprès des institutions internationales qui s’est substituée à nos ressources propres. Nous avons été surpris par les cris de détresse lancés par le personnel médical confronté à l’absence de moyens financiers dans les unités hospitalières.
On aurait dû mettre l’accent sur nos propres ressources en dépit de la crise financière aiguë que nous traversons. Les questions financières et la gestion des finances publiques, y compris dans les moments de crises profondes, sont avant tout des questions de priorité que le pouvoir politique et les institutions de l’Etat doivent établir. La lutte contre la pandémie, comme la lutte contre le terrorisme il y a quelques années, doivent rester des priorités pour lesquelles il faut mobiliser tous les moyens nécessaires.
Nous avons également constaté les mêmes attitudes dans l’accès aux vaccins. Ainsi, au lieu de s’adresser aux grands laboratoires pour des achats directs, nous avons décidé de nous adresser aux grandes institutions multilatérales, plus particulièrement l’OMS dont les priorités s’adressent surtout aux pays les moins avancés.
Nous rencontrons les mêmes attitudes au niveau financier où nous avons multiplié les contacts et les interventions auprès des Etats et des institutions financières internationales et dans des conditions difficiles pour bénéficier de leurs soutiens financiers.
Notre pays traverse des crises sans précédent et d’une gravité que nous n’avons jamais connue par le passé. Ces crises nous ont poussés à nous adresser à l’extérieur pour nous aider à nous en sortir. Ces comportements ont créé des attitudes de refus auprès de larges fractions de la population dans la mesure où ils s’inscrivaient de plus en plus dans une logique de mendicité.
Nous devons faire attention à cette logique dont l’accumulation pourrait nous conduire à l’Etat mendiant. Il est urgent de revenir à la philosophie qui a constitué le fondement de l’Etat national et qui a cherché à donner la priorité à nos ressources internes et à nos propres moyens dans la construction de la nation.

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