La situation actuelle que vit notre pays donne à la formule prononcée il y a bien longtemps par l’homme politique français Edgar Faure, exprimant l’impasse que connaît son pays, « voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter», tout son sens, lui conférant de surcroît une actualité qu’on croyait perdue.
En effet, depuis des mois, la question qui hante l’esprit des Tunisiens, sans trouver de réponse, concerne la recherche d’une voie de sortie du pays d’un immobilisme asphyxiant qui ne cesse de le tirer vers l’arrière et de l’enfoncer dans les abysses d’une crise sans précédent. Au moment où le pays est en train d’aller droit dans le mur, l’absence d’une réaction appropriée de la classe politique et dirigeante, provoque de la frustration et plonge les Tunisiens dans un scepticisme assassin. Cela est d’autant plus embarrassant que, plus la crise politique perdure, plus ses effets se font ressentir sur la vie économique et sociale et plus le doute s’installe. Alors que le temps est compté pour un pays qui se trouve à la croisée des chemins et qui peine à chercher à faire sortir sa vie politique d’un engrenage pesant, soutenir son économie et apaiser les tensions sociales, on continue, par insouciance et un tantinet d’incompétence, à s’évertuer à jouer le flou artistique, le pourrissement.
Par l’incompétence des uns, la couardise des autres et le calcul politicien d’une certaine classe politique et d’organisations de la société civile, le temps semble suspendre son vol. En effet, face à des pressions qui s’accroissent et des tensions qui gagnent en intensité, on ne voit rien bouger, pas même les prémices d’un changement, Bien au contraire, on a l’impression qu’on fait tout pour que perdure le statu quo, pour rendre chimériques toute réforme profonde et tout apaisement de la situation sur le front social. Face à la violence des turbulences, on préfère amplifier les guéguerres improductives et le pourrissement de la situation que chercher à sauver le bateau qui risque à tout moment de couler.
Quand il s’agit de résoudre des questions essentielles, d’affronter une réalité complexe, de consentir des sacrifices, fussent-ils douloureux, ou d’opter pour des compromis, classe politique et acteurs sociaux se trouvent souvent aux abonnés absents, préférant esquiver ces questions en versant dans les surenchères inutiles, et en entretenant ainsi les polémiques qui sont la source de la désaffection des Tunisiens de la politique et de leur perte de confiance dans les institutions républicaines.
Au moment où on a le plus besoin d’un message fort, d’arguments convaincants pour mobiliser toutes les énergies et restaurer la confiance, on s’aperçoit que le débat vire vers l’infiniment superflu, que ce soit à la présidence de la République, au gouvernement, à l’ARP, dans les partis politiques et dans les organisations de la société civile.
Alors qu’on a hâte d’attendre une action énergique, une piste sérieuse de sortie de crise ou un discours cohérent et mobilisateur, on nous verse dans l’infiniment insignifiant, dans les questions dérisoires et les sujets qui divisent et désorientent.
Conformément à cette logique de l’absurde, on est confronté à des situations burlesques, voire kafkaïennes où les dirigeants d’un même camp éprouvent un malin plaisir à s’entredéchirer et à étendre leur linge sale en public. L’interview du président de la République, diffusée dimanche dernier sur la chaîne Nessma, en a fourni une preuve tangible. En reniant la personne dont il a été à l’origine de la nomination et en la rendant seule coupable de tous les maux dont souffre actuellement le pays, le président de la République, loin de présenter une piste de sortie, a compliqué davantage la donne.
Il en est de même de la crise qui risque de faire éclater en lambeaux Nidaa Tounes, que Béji Caïd Essebsi impute à des mains non innocentes qui cherchent à détruire ce parti sans pour autant aller jusqu’au bout de son analyse et reconnaître l’impertinence de son fils qui a fait fuir la majorité des figures fondatrices de cette formation politique.
Dans l’autre sens, Youssef Chahed a trouvé l’astuce pour se débarrasser de Hafedh Caïd Essebsi, en exploitant à fond la carte qui lui permet de rester à son poste à la kasbah.
Pour satisfaire l’ego de l’UGTT, le président du gouvernement se montre prêt à sacrifier un certain nombre de ses ministres, qui n’ont d’ailleurs brillé ni par leur compétence, ni par leur faculté à gérer leurs dossiers en appliquant à la lettre toutes leurs demandes. Pour lui, le plus important consiste à préserver son poste et au diable les engagements pris vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux pour mettre un terme à l’envolée de la masse salariale, la solution des dossiers épineux des caisses de sécurité sociale, l’endettement abyssal des entreprises publiques et la maîtrise de l’inflation.
Au fur et à mesure que le bateau coule, tous les acteurs feignent de se concentrer sur l’essentiel. On préfère l’immobilisme car, quand bien même il serait porteur de risques, on le préfère au mouvement qui exige un haut degré de responsabilité et d’exigence.