Migration et radicalisation islamique au coeur de la  visite de Castex en Tunisie 

Le Premier ministre français Jean Castex va travailler à resserrer les liens avec un pays traversé par une crise politique, sociale, économique, migratoire et sanitaire.
Deux mois après le report polémique d’un séminaire gouvernemental en Algérie, le Premier ministre français est attendu, pour sa première sortie internationale d’envergure, dans le plus petit État du Maghreb pour le 3e « Haut conseil de coopération » (HCC) franco-tunisien qui suit ceux de 2017 et 2019. Depuis la dernière édition, l’exécutif a changé en Tunisie avec l’élection à la présidence en octobre 2019 de Kaïs Saïed – un universitaire indépendant – puis la nomination en juillet 2020 comme chef du gouvernement de Hichem Mechichi. En toile de fond, d’importantes turbulences politiques mettent aux prises le sommet de l’État et le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, principale force d’un Parlement morcelé.
*Un cadre délicat
Cette visite, qui intervient donc dans un contexte politique tendu et incertain, doit s’articuler autour de « quatre grandes priorités », selon Matignon. D’abord « la crise sanitaire » évidemment, alors qu’un rebond de l’épidémie à l’entrée du printemps a suscité localement des craintes de pénurie d’oxygène. De l’aide matérielle devrait être apportée sachant que la France s’est engagée à livrer prochainement des unités autonomes de production d’oxygène dans trois hôpitaux tunisiens. Les questions de « partenariat économique » et de « soutien » seront le cœur le plus visible des échanges, avec la signature d’accords, un détour par le chantier du réseau ferroviaire rapide de Tunis, et une rencontre sur le thème du numérique co-organisée par le patronat tunisien (Utica) et français (Medef).
Mais il sera difficile d’éviter d’évoquer l’urgence de la situation de la Tunisie dont l’économie est exsangue : lourdement endettée, souffrant d’un modèle de développement à bout de souffle basé sur une main-d’œuvre bon marché, elle espère du Fonds monétaire international (FMI) un nouveau prêt sur trois ans en contrepartie de promesses de réformes.
*Des limites économiques
Si la France s’est engagée l’an passé à prêter 350 millions d’euros pour appuyer la transformation du pays jusqu’en 2022 (100 millions ont pour l’heure été versés), ce n’est « ni assez, ni le bon vecteur », estime auprès de l’AFP l’essayiste Hakim Karoui, auteur en mai d’une note pour l’Institut Montaigne sur la stabilité du Maghreb. « Il faut des dons », autour « d’un ou deux milliards d’euros », portés par une initiative européenne dans le cadre du plan de relance, afin de « passer le pic Covid », insiste M. Karoui, soulignant que la faiblesse annoncée de la saison touristique, un des piliers de l’économie tunisienne qui représente autour de 14 % du PIB, assombrissait les perspectives. « On va se retrouver à l’automne avec des gens qui n’ont pas reconstitué leurs revenus. Il ne faudra pas dire qu’on n’a pas vu venir la crise sociale et politique », prédit-il. Ces secousses internes ont par ailleurs des conséquences directes pour l’Union européenne qui est actuellement en discussion avec la Tunisie pour un accord d’aides économiques en échange d’efforts pour empêcher le départ de migrants. À l’heure actuelle, 15 % des migrants arrivant par la mer en Europe sont de nationalité tunisienne, constituant le plus gros contingent.
« Les questions de lutte contre le terrorisme » s’inviteront aussi dans les échanges, assure Matignon. Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin, présent dans la délégation, était déjà venu évoquer le sujet en novembre, dans la foulée de l’attentat qui a fait trois morts dans la basilique de Nice, commis par un Tunisien de 21 ans fraîchement débarqué en Europe. Paris souhaite expulser une poignée d’individus vers la Tunisie, sur quelques dizaines fichés pour radicalisation, mais les négociations patinent sur ce qui s’apparente à un « bâton merdeux », selon M.  Karoui. « Les Tunisiens disent à la France : ils se sont radicalisés chez vous », résume-t-il. À l’image de l’auteur de l’attaque dans le commissariat de Rambouillet en avril, arrivé en France en 2009.
Enfin, la visite doit servir à préparer le prochain Sommet de la francophonie qui se tiendra en Tunisie en novembre 2021 et à sceller de nouveaux accords « entre établissements de formation français et tunisiens ».
(Le Point, avec AFP)

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