Migration irrégulière : L’Europe cherche des « pays tiers »

Le concept de « Pays tiers » figure déjà dans la Loi européenne sur l’immigration, mais quinze pays européens plaident pour « des solutions nouvelles » en vue de durcir le pacte migratoire européen. Ils suggèrent que des accords sur l’immigration soient conclus avec tous les pays tiers se trouvant le long des routes migratoires, où les migrants peuvent être transférés et où des solutions durables pourraient leur être trouvées. La Tunisie se placerait ainsi au premier rang des pays tiers africains du fait qu’elle représente le point de départ numéro un des migrants subsahariens irréguliers vers les côtes européennes. Même si l’Italie a fini par opter pour l’Albanie, face à la résistance de la Tunisie, l’affaire des transferts des migrants n’est qu’à ses débuts.

La chroniqueuse et avocate Sonia Dahmani, sous mandat de dépôt pour propos médiatiques critiques envers la Tunisie, avait mis en doute la bonne foi de la Cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, dans la série de discussions menées avec l’Exécutif tunisien, le président Kaïs Saïed en l’occurrence, à propos de l’accord sur l’immigration clandestine (2023), accusant la dirigeante européenne d’œuvrer pour faire de la Tunisie la Lampedusa de l’Afrique et l’Exécutif tunisien de faire preuve de complaisance.
Une mise en doute malgré deux faits irréfutables : d’un, les multiples et successives déclarations de Kaïs Saïed, dans lesquelles il réitérait le refus  de la Tunisie de devenir le garde-frontière de l’Europe ou une terre d’accueil et/ou d’installation des migrants irréguliers subsahariens. Et de deux,  les tensions et les violences qui secouent depuis des mois le gouvernorat de Sfax, plus précisément les délégations d’Al Amra et de Jebeniana, le point de concentration par excellence des migrants subsahariens candidats aux traversées méditerranéennes clandestines vers les côtes italiennes.
Dès le début des discussions avec l’Italie puis avec l’Europe qui ont abouti à la signature d’un partenariat stratégique Union européenne-Tunisie, les ONG en Tunisie ont dénoncé des pressions exercées par l’UE sur la Tunisie en vue d’imposer sa politique ultra-sécuritaire en matière d’immigration. Les événements chaotiques qui ont suivi en lien avec les migrants subsahariens irréguliers-flux incessants par centaines de migrants et occupations illégales d’espaces publics et privés, affrontements avec la population locale et avec les forces de l’ordre, éloignement de migrants sans prise en charge sociale…- démontrent, quant à eux, le contraire. La Tunisie est même livrée à son sort face aux flux incessants de migrants et dans la gestion de cette crise migratoire inédite dont la recrudescence rapide laisse soupçonner des complicités étrangères, notamment des pays qui ne voudraient pas que ces migrants foulent leurs sols. 

Transfert des migrants vers des pays hors du bloc européen
Dans une récente lettre adressée à la Commission européenne, quinze pays de l’UE, dont l’Italie, la Grèce, le Danemark et la République tchèque, ont plaidé pour l’adoption de nouvelles solutions en vue de durcir davantage le pacte migratoire européen au niveau du contrôle de l’immigration, l’objectif étant de transférer plus facilement les migrants vers des pays tiers hors de l’Union européenne, y compris lors d’opérations de sauvetage en mer, où (dans les pays tiers) des solutions durables pourraient être trouvées pour ces migrants. Les Quinze citent, dans leur lettre, comme exemple, l’accord conclu par l’Italie avec l’Albanie. Cet accord stipule l’envoi de migrants secourus dans les eaux italiennes dans ce pays candidat à l’UE, afin que leurs demandes d’asile y soient traitées. L’application du concept de « Pays tiers » figure déjà dans la Loi européenne sur l’immigration, mais pour ces quinze pays européens, elle doit être réévaluée, endurcie. Plus précisément, ces pays suggèrent que des accords soient conclus avec tous les pays tiers se trouvant le long des routes migratoires, prétendant que ces « partenariats globaux » seront « mutuellement bénéfiques et durables ». Les quinze pays signataires sont : l’Italie, la Grèce, Chypre, Malte, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
Le concept du transfert de Lampedusa vers des pays tiers existe donc bel et bien et est bien défini dans cette lettre, mais la Tunisie en est visiblement exempte puisque c’est l’Albanie qui est citée dans l’accord établi avec l’Italie et non la Tunisie. Il reste que la proposition des quinze pays européens de signer l’accord avec les pays qui se trouvent sur les routes migratoires ne devrait pas exclure la Tunisie du fait que la loi européenne sur l’immigration prévoit qu «’un immigrant arrivant dans l’UE peut être envoyé dans un pays extérieur au bloc où il aurait pu demander l’asile, à condition qu’il ait un lien suffisant avec ce pays tiers ». Ce qui place la Tunisie au premier rang de ces pays tiers du fait qu’elle représente le point de départ numéro un des migrants clandestins vers l’Europe. L’affaire est donc à suivre.
La position hostile de la Tunisie contre l’installation de centres d’accueil pour migrants irréguliers ne souffre donc plus aucun doute, du moins dans l’état actuel des choses. A preuve : le transfert devant la justice de responsables d’associations accusés d’encourager les flux migratoires clandestins de migrants subsahariens et l’émission de mandats d’arrêt à leur encontre. Par ailleurs, près de trois mille migrants ont bénéficié du retour volontaire vers leurs pays d’origine, avec la collaboration de ces derniers, sans oublier le déplacement de milliers de migrants d’Al Amra et de Jebeniana vers d’autres destinations non révélées.

La position ferme de la Tunisie
La fermeté avec laquelle est gérée la crise migratoire par les autorités tunisiennes est incompatible avec les orientations du projet européen basé sur la collaboration de pays tiers dans la solution migratoire finale, ce qui a suscité « la préoccupation » de la France, de l’Union européenne et des Etats-Unis qui ont protesté, à travers la publication de communiqués, contre les arrestations d’activistes de la société civile, d’avocats et de journalistes en lien avec la gestion de la crise migratoire en Tunisie. Protestations que le président Kaïs Saïed a fustigées en indiquant que l’Occident n’a plus de leçons à donner aux autres pays en termes de liberté d’expression après son  bâillonnement dans les universités américaines et européennes et les lourdes sanctions prises à l’encontre des voix libres qui défendent la Palestine contre la colonisation israélienne et le massacre des civils gazaouis par l’armée israélienne. Et, en ordonnant au secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de convoquer les ambassadeurs des pays concernés pour leur faire part du rejet de l’ingérence étrangère dans les affaires internes de la Tunisie et de l’attachement des Tunisiens au respect de la souveraineté nationale. Attachement réitéré dimanche 19 mai courant par les partisans de Kaïs Saïed venus par centaines manifester sur l’avenue Habib Bourguiba pour exprimer leur opposition à toute ingérence étrangère et leur soutien à Kaïs Saïed dans le contexte actuel de tensions politiques internes et, aussi, pour un nouveau mandat présidentiel, alors que le président sortant n’a pas encore annoncé sa candidature pour le scrutin prévu à l’automne prochain.
Les partenaires occidentaux de la Tunisie ne devraient pas, en effet, s’inquiéter pour la démocratie tunisienne et pour l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie car c’est le choix que les Tunisiens ont fait et qu’ils ont obtenu au prix de leur sang. Ce qui préoccupe toutefois les Tunisiens, c’est la sélectivité de l’inquiétude des Occidentaux qui n’ont pas exprimé leur préoccupation quand la Tunisie était frappée par le terrorisme ou leur soutien en ces temps de grave crise financière.  Il n’en demeure pas moins que les Tunisiens sont parfaitement conscients des menaces qui pèsent sur la liberté d’expression en Tunisie sous la houlette du décret-loi 54. Ce pourquoi des appels à amender ce texte ou à, carrément, l’annuler sont lancés par différentes sources, notamment par des députés qui proposent une initiative législative d’amendement du décret-loi, en particulier son article 24 qui prévoit « une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et une amende jusqu’à 50 mille dinars pour quiconque diffuserait de fausses informations ; ce montant est doublé si la déclaration offensante concerne un représentant de l’Etat ». De même, des débats non officiels tentent d’aplanir les divergences qui apparaissent entre les défenseurs de la liberté d’expression sans limite et sans tabou et ceux qui optent pour des garde-fous contre la diffamation, les fake news, les rumeurs et autres campagnes de diabolisation, c’est-à-dire une liberté d’expression responsable, respectueuse de l’intégrité morale des personnes.

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