Migrations climatiques, parlons-en !

Tout un ballet diplomatique ! À Tunis, les leaders politiques délégués par Rome, Bruxelles et Amsterdam ont été suivis par les ministres de la sécurité de Paris et de Berlin, tous ont pour mission de stopper les flux migratoires en partance des côtes tunisiennes vers l’Europe, via l’Italie. Le discours est musclé, et tous les moyens sont bons…
Malgré les sourires et les fleurs de circonstance, le discours est intransigeant et pas mal policier ! Les communiqués de presse et les médias parlent de toutes sortes d’immigrants : les illégaux, les délinquants, les terroristes, les conquérants, les trafiquants ! Mais ils occultent sciemment les migrants climatiques, ces victimes oubliées. Incompétence, dissonances ou manigance ?
En politique, le Wording compte ! Les politiciens instrumentalisent leurs mots et calibrent leurs rhétoriques pour faire mousser les votes, pour faire valoir leurs agendas, alliances et pouvoirs.
Durant les derniers jours, l’opinion publique tunisienne a été bassinée par un discours incriminant l’émigration tous azimuts. Les politiciens parlent des migrants, comme une entité homogène, avec un réquisitoire dual, d’un côté les méchants (les migrants), et de l’autre les généreux donateurs de l’aide internationale (sous forme de dette avec des taux d’intérêt), pour dit-on aider la Tunisie à s’en sortir, de sa crise profonde où elle se trouve aujourd’hui!

L’omerta sur l’émigrant climatique
Dans ces va-et-vient diplomatiques, les médias tunisiens répètent en boucle, le même discours lissé et harmonisé dans les différents communiqués officiels, comme pour formater l’opinion publique et la dresser contre cette émigration « envahissante », « dangereuse » et presque « sauvage ».
C’est systématique, pour toutes ces délégations européennes, la notion d’émigrant climatique est bannie du discours, motus et bouche cousue!
Aucune conférence de presse, aucun communiqué et aucun débat médiatique n’a touché à ce type de migration, pourtant dominant, et dont les origines profondes sont déterminées principalement par les pays occidentaux, dit développés et plus grands émetteurs de CO2 et donc de réchauffement climatique.
Pour tous ces politiciens, Tunisiens comme Européens, on peut marquer plus de points politiques dans les opinions politiques en se présentant comme des héros dans la lutte contre les émigrants trafiquants, criminels, illégaux, bandits …
Ce type de discours haineux, biaisé et bien rodé procure des votes, et fait valoir des idéologies presque racistes, xénophobes, mais très souvent populistes et démagogiques. Plus on tape sur l’émigrant plus on récolte des votes.
Et c’est un fonds de commerce florissant pour les différents partis et idéologies de droite. En Europe, comme en Tunisie.

La migration climatique est grandissante
Avec les sécheresses, avec une augmentation fulgurante des catastrophes climatiques, les États enregistrent un nombre grandissant de mouvements de population. Il suffit de regarder les vagues de personnes migrantes ayant déferlé sur l’Europe les dernières années, ou l’afflux de migrants venus d’Amérique latine à la frontière canado-américaine pour en mesurer l’ampleur.
La dégradation de l’environnement ainsi que les phénomènes climatiques extrêmes ne sont pas étrangers à ces mouvements de population. En Afrique subsaharienne, en Tunisie ou dans le reste des pays du Maghreb, la désertification avance tous les jours un peu plus, les nappes phréatiques s’assèchent, le niveau de la mer monte de façon inquiétante. Les terres perdent leurs végétations et les sebkhas salées prennent la place des oasis et champs de blé.
Rien que pour ces dernières semaines, deux communautés et villages dans le Sud tunisien ont été envahis par plusieurs dunes de sable (dans les gouvernorats de Kebili et Tozeur).
En Afrique subsahariennes, plusieurs zones oasiennes, jadis arrosées et prospères sont devenues impraticables, incultivables, coupant les vivres à des dizaines de milliers d’humains, poussés progressivement à l’émigration.
Les pays pauvres en Afrique subsaharienne affichent une grande vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes, affectant les conditions de vie des habitants.
Les changements climatiques sont à l’œuvre et les flux migratoires liés vont exploser de plus en plus, forçant de nombreux États à se défendre …en multipartismes les ceintures et lignes de défense.

Deux migrants sur trois sont des migrants climatiques
Les experts internationaux du GIEC estiment que des centaines de millions d’êtres humains pourraient migrer en raison des changements climatiques d’ici 2050.
Les dernières années, plus de 30 millions de nouveaux migrants climatiques ont été dénombrés à la suite de catastrophes naturelles, relève l’Organisation internationale pour les migrants.
Cela représente environ deux migrations sur trois.
Mais les confusions conceptuelles sont encore omniprésentes, dans les lexiques quand on traite de la notion de réfugiés climatiques.

Réfugiés, exilés, migrants… quelle différence?
Voilà des termes souvent utilisés comme des synonymes pour définir les personnes qui quittent leur milieu de vie, pour fuir les méfaits des changements climatiques. Pourtant, ces termes renvoient à des réalités bien différentes.
Le terme «réfugié» trouve son ancrage dans la Convention relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, adoptée en 1951.
Il désigne toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
Plus général, le terme migrant désigne quant à lui « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale ».
Si plusieurs ont tenté d’utiliser le terme réfugié pour définir les personnes qui quittent leur milieu de vie en raison des changements climatiques, cette utilisation est un peu abusive.
En effet, les changements climatiques ne constituent pas nécessairement un motif de persécution comme l’entend le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. De plus, la notion de réfugié renvoie aux déplacements inter-frontaliers de population, alors que les migrations climatiques se manifestent parfois sous forme de déplacements internes.
Cette inéquation entre la Convention de Genève et la situation des migrants climatiques soulève un enjeu de taille, soit l’absence de protection qui leur est offerte. Aucun outil juridique ne protège actuellement les droits de ces individus, alors en proie à des situations d’injustice et de non-respect de leurs droits fondamentaux.

Éthique et solidarité internationale
Un grand paradoxe entoure les changements climatiques : les États ayant généré le plus d’émissions de gaz à effet de serre pour assurer leur développement ne sont généralement pas ceux qui seront les plus directement touchés par les effets des changements climatiques. Les pays pauvres et mal-gouvernés, comme la Tunisie, subissent de plein fouet les méfaits des migrations climatiques.
Les ¾ du pays sont situés dans les zones dites arides ou semi-arides, et plus de la moitié du pays est pris sous l’emprise de la désertification. Ce phénomène ravageur, fait avancer les dunes de sable sur les terres arables, fait tarir les sources d’eau et générèrent une déperdition continue du couvert végétal.
Il est du devoir des gouvernements européens de mettre en place les mesures pour assurer une migration sûre et sécuritaire. Une bonne partie des migrants en partance de la Tunisie est d’origine climatique.
En l’absence d’une réponse coordonnée et adaptée facilitant les migrations volontaires, les conséquences peuvent être importantes. Urbanisation croissante, pression sur les infrastructures, conflits tribaux, dégradation de l’environnement ne sont que quelques risques que courent les pays situés dans les couloirs des flux migratoires, pour des raisons géographiques ou encore socio-économiques fragiles, pour devenir des terres de transit ou de départ des personnes migrantes, dans le contexte de déplacements forcés …pour survivre.
Si l’avenir ne laisse présager aucun répit quant à l’afflux de migrants climatiques, il est impératif que les gouvernements soient saisis de la question afin d’agir de façon responsable et solidaire pour faciliter les migrations volontaires et réduire les migrations forcées liées aux changements climatiques.

Kaïs Saïed et la Conférence de Paris
D’ici la fin de la semaine, une conférence internationale est conduite par la Banque mondiale à Paris, pour traiter des changements climatiques et surtout pour mobiliser les fonds requis pour contrer le fléau et faciliter les adaptations requises.
Kaïs Saïed y sera! Seul ou avec des experts tunisiens ou membres de la société civile, on ne le sait pas encore ?
Le président ne doit pas continuer à occulter le problème et les méfaits des migrations climatiques en Tunisie. Il doit mettre à jour son discours, pour laisser la politique politicienne de côté !
Sur le total des 200 000 migrants partis de Tunisie (toutes nationalités confondues), les migrants climatiques constituent facilement les 2/3. Des personnes sinistrées demandant de l’aide, plutôt que des personnes nécessairement « criminelles » et « dangereuses » pour être systématiquement pointées du doigt.
Certes, la migration climatique corrèle fortement avec la migration économique, la pauvreté constitue un dénominateur commun.
La priorité absolue de la communauté internationale consiste à renforcer les capacités d’adaptation des populations les plus vulnérables aux changements climatiques. Ces populations sont souvent dépendantes du secteur agricole et de ses aléas climatiques. La résilience commence mettre en place des systèmes productifs plus flexibles et plus résistants aux épisodes de sécheresses.
Dans tous les cas, la migration climatique est appelée à connaitre une croissance exponentielle. Elle va constituer un autre choc majeur pour la Tunisie et pour les pays de l’Afrique subsaharienne.
La migration climatique, Kaïs Saïed doit en parler davantage, plutôt que de continuer à l’occulter pour des desseins politiques.

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