Ministère de la justice : un centenaire sans une seule guirlande

 J’ai attendu, avec un peu d’espoir, le dernier jour de 2021 pour voir si finalement le ministère de la justice allait commémorer, d’une manière ou d’une autre, son centenaire; en effet, nous sommes censés fêter en 2021 la création, 100 ans plus tôt, de ce ministère régalien.
Il est particulièrement consternant pour ne pas dire choquant que cette commémoration ait été totalement ignorée par le ministère lui-même. Comment expliquer que l’histoire d’un ministère-clé de l’édifice étatique soit à ce point occultée?
Je voudrais rappeler à ces oublieux que ce ministère possède un passé glorieux et qu’il aura fallu le combat des nationalistes tunisiens dès le début du 20 e pour que ce ministère voit le jour et soit confié à une personnalité tunisienne. Jusqu’en 1921, les autorités du protectorat géraient le service public de la justice directement et sans partage et il ne fut pas simple de les convaincre d’autoriser la création d’un ministère de la justice tunisien et encore moins que son chef hiérarchique soit une personnalité tunisienne.
C’est à Tahar Kheireddine, le fils du grand réformateur Kheireddine Bacha, qu’échut l’honneur d’être le premier ministre de la justice de l’histoire tunisienne. Pendant plus de 13 ans ce personnage, dont la seule filiation était en soi un symbole, a déployé une énergie formidable dans le but de faire du ministère de la Justice un jalon important sur le chemin de la création d’un État tunisien indépendant.
D’autres illustres personnalités lui ont succédé à ce poste prestigieux tels que Abdeljelil Zaouche, Salah Farhat, Salah Ben Youssef, Ahmed Mestiri, Mongi Slim pour ne citer que ceux là.
Même si, plus récemment, certains de ceux qui ont dirigé ce ministère n’ont pas contribué à redorer son blason, rien ne justifie ni n’explique que son centenaire passe totalement inaperçu. J’ai consulté le site du ministère pensant y trouver au moins l’évocation de sa naissance si importante 100 ans plus tôt. Que nenni, pas un mot et pas la moindre allusion à cet événement majeur.
Pourtant, il y a quelques années, le ministre de la justice de l’époque, Omar Mansour, pour ne pas le citer, m’a reçu, et sur ma suggestion, a sérieusement envisagé de préparer à l’avance et dignement la commémoration du centenaire de son ministère. Il était question, alors, d’organiser un séminaire international, une exposition et d’autres festivités pour marquer le centenaire de cette vénérable institution .
Malheureusement, son remplacement dans les mois qui ont suivi notre rencontre n’a pas permis à ce projet de voir le jour et aucun de ses successeurs n’a semblé se préoccuper de sa concrétisation.
C’est en continuant à occulter notre histoire, que dis-je à la mépriser, que nous risquons de nous enfoncer dans la médiocrité et dans le déni: un peuple qui tourne le dos à son passé n’a pas d’avenir.
La défense de notre identité, de nos valeurs et de notre fierté de Tunisien suppose le respect de notre histoire et de celles de nos institutions.
En 1997, le Barreau tunisien a fêté son centenaire en grande pompe et cette commémoration a été une occasion idéale pour mettre en valeur le rôle de cette institution depuis sa création; un tel exemple aurait pu inspirer le ministère de la Justice d’autant qu’il ne manque ni de têtes ni de bras.
Notons que le magazine « Réalités » a tenté, vainement, de faire sortir tout ce beau monde de sa torpeur en évoquant il y a quelques mois dans ses colonnes le centenaire dudit ministère.
Les syndicats de la magistrature, si friands pourtant de tapage médiatique et d’apparitions audiovisuelles, auraient pu suppléer la carence de leur ministère de tutelle et prendre l’initiative d’une telle commémoration. Empêtrés qu’ils sont dans leurs querelles intestines, le temps leur aura sûrement manqué…

*avocat et éditorialiste

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