Ce mardi 10 juin, dans le cadre d’une conférence organisée à Tunis, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT) ont présenté la 2ème phase du rapport Miqyes, complétant la publication d’une étude sur l’état de santé des PME en février dernier. Cette nouvelle enquête, élaborée en collaboration avec l’institut de sondage One-to-One, a recueilli les déclarations de 233 entreprises tunisiennes quant à leur engagement environnemental et leurs pratiques en direction du développement durable. Une initiative soutenue dans le cadre du projet « Économie verte et autonomisation économique des femmes en Tunisie » (GEWEET), un programme conjoint entre le Canada, le PNUD, et le ministère de l’Économie et de la Planification.
Mise en place de critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), réalisation de bilans carbones, utilisation des énergies renouvelables, stratégies de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), ou encore actions pour la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) : les réponses ont permis de dresser un état des lieux éclairant sur la question. Ainsi, elle renseigne sur les avancées des entreprises à l’heure actuelle, leurs engagements futurs, ainsi que les principaux qui les freinent à prendre de plus amples dispositions.
La nécessaire mobilisation des entreprises et de « toutes les parties prenantes »

Céline Moyroud, Résidente du PNUD en Tunisie
Si la question du rapport aux entreprises tunisiennes aux engagements environnementaux est posée, c’est que la Tunisie se doit de remplir des objectifs de transition écologique. Après s’être engagé dans l’Accord de Paris, le pays s’est doté lui-même d’une stratégie bas carbone, en se fixant de réduire de 45% ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, par rapport à l’année référence 2010. Dans ce cadre, les sociétés à l’échelle nationale sont mobilisées, comme l’a rappelé Céline Moyroud, Résidente du PNUD en Tunisie : « Les entreprises tunisiennes sont appelées à adopter des stratégies de décarbonation de leurs chaînes de valeur, à investir dans les technologies propres, à améliorer leur efficacité énergétique et à repenser leur modèle de production et de consommation. »
« Il faut une implication de toutes les parties prenantes : entreprises, sociétés civiles, pouvoirs publics », a précisé quant à elle Lorraine Diguer, ambassadrice du Canada en Tunisie. Une manière d’indiquer que les entreprises ne peuvent surmonter ce défi sans accompagnement légal et technique. Un constat partagé par Hosn Eloujoud Ben Mustapha, vice-présidente de CONECT, lors de son intervention : « Les pouvoirs publics ont une responsabilité majeure, celle de créer les conditions d’un écosystème favorable à travers des politiques lisibles, des incitations pertinentes et une reconnaissance concrète des engagements responsables. »
D’après les résultats de l’enquête, une politique proactive en ce sens semble nécessaire : si la volonté des entreprises de s’engager sur l’aspect environnemental est généralement élevée, les réalisations concrètes ne donnent pas entière satisfaction.
Des promesses et des lacunes
« Le plus important, ce sont les faits, qui permettent de prendre des mesures concrètes », a insisté Lorraine Diguer. Miqyes 2 en fournit de nombreux. Certains témoignent d’une dynamique positive : 48% des entreprises ont des objectifs environnementaux et 79% des objectifs sociaux ; seulement 16% disent ne pas être engagés environnementalement ou vis-à-vis la société, seulement 19% affirment n’avoir aucun engagement en termes d’ODD, et 65% prévoient de renforcer leur engagement environnemental et social d’ici 5 ans.

Lorraine Diguer, ambassadrice du Canada en Tunisie
D’autres mettent en lumière les manquements des sociétés tunisiennes : 75% des entreprises n’ont pas fait de diagnostic ni d’outils énergétiques, tandis que 20% d’entre elles ont réalisé un bilan carbone. Aussi, 30% des sociétés interrogées n’utilisent aucun indicateur de performance et 20% des répondants ne pensent être soumis à aucune norme environnementale. Cet état des lieux illustre des lacunes de connaissance, et de mises en place concrètes d’outils de suivi.
Sur le volet énergétique, 7.6 % des entreprises utilisent les énergies renouvelables de manière significative pour leurs activités. Rien d’étonnant lorsqu’on se rappelle que le mix électrique tunisien est encore largement dominé par le gaz naturel.
Des données sur lesquelles s’est appuyée Hosn Eloujoud Ben Mustapha pour élaborer un bilan mitigé : « Malgré les contraintes structurelles qui pèsent encore sur le tissu entrepreneurial, un nombre toujours plus important d’entreprises tunisiennes s’engagent de manière concrète et résolue en faveur du développement durable. Cependant, notre enquête montre aussi que beaucoup reste à faire. L’adoption des énergies renouvelables demeure encore timide. La gestion durable de l’eau et des ressources naturelles n’est pas suffisamment priorisée. Et si les entreprises prennent soin de leurs collaborateurs, les dispositifs de suivi doivent encore se généraliser et s’améliorer. »

Hosn Eloujoud Ben Mustapha, vice-présidente de CONECT
Une situation ambivalente causée par la présence de deux principaux obstacles : D’abord, le manque de compétences en interne peut empêcher de prendre en charge efficacement les questions de développement durable au sein de l’entreprise. Mais c’est surtout la rareté des sources de financement qui freinent le plus clairement les sociétés tunisiennes dans leur engagement : 52% des initiatives ESG sont financées par l’intermédiaire de fonds propres, ce qui représente un risque non négligeable pour les dirigeants, et ce qui bloque la création de stratégies à long terme.
Niveau d’études, position géographique, spécialisation dans l’exportation : des facteurs déterminants
Le rapport Miqyes propose un état des lieux global. Cependant, il n’ignore pas la diversité des entreprises qui ont composé le panel de répondants au sondage. Selon les résultats de l’étude, plusieurs éléments favorisent ou non l’engagement sur les questions environnementales.
Plus une entreprise est ancienne et grande, plus elle dispose de moyens pour structurer ses pratiques RSE et ESG. Ainsi, les entreprises existant depuis plus de 20 ans et celles employant plus de 200 salariés se distinguent. La présence de départements dédiés au sein des sociétés peut également permettre un engagement plus fort.

Youssef Meddeb, PDG de l’Institut One-to-One
Néanmoins, la disparité de résultats se constate en particulier sur trois points. Le premier est le niveau d’études : « 73% des gérants des entreprises engagées, ont un minimum de bac de 5. Ce qui contraste avec les tendances au sein des PME, puisque 35% des dirigeants ont ce niveau de diplôme », a indiqué Youssef Meddeb, PDG de l’Institut One-to-One.
Le deuxième facteur est le marché de préférence de l’entreprise : plus elle est tournée vers l’exportation, plus elle est engagée. Une logique qui peut s’expliquer par la nécessité de composer avec les normes des pays importateurs, avec au premier chef l’Union Européenne : les exportations ver cette zone seront soumis à partir de janvier au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), ce qui pousse les sociétés tunisiennes à s’adapter. « Les budgets alloués au secteur du développement durable diffèrent largement entre les entreprises orientées vers l’exportation et celles qui opèrent sur le marché local », a affirmé en ce sens l’économiste Abdelkader Boudriga

Abdelkader Boudriga
Et d’ajouter : « Globalement, les entreprises dans les régions du Grand Ouest, c’est-à-dire le Nord-Ouest, le Centre-Ouest, sont les entreprises les plus engagées, et les plus au fait des normes réglementaires et des exigences de développement durable », mettant ainsi en lumière la position géographique des sociétés comme troisième composante essentielle de leur engagement.