Une mission du FMI est actuellement en Tunisie pour évaluer l’avancée des réformes entreprises par la Tunisie. En toute logique, cette revue devrait déboucher, soit sur un décaissement de la deuxième tranche, soit sur un report à une date ultérieure. C’est une mission très critique car, la non-réussite de cette revue reportera tous les autres décaissements prévus avec les autres bailleurs de fonds, notamment la BAD, l’UE, la BM, etc.
Pire encore, tout éventuel échec d’une telle mission rendra plus complexe et plus coûteuse une sortie sur les marchés internationaux prévue dans le projet de la loi de Finances de 2018 pour un montant de 1400 millions de dinars.
Une situation économique de plus en plus difficile
D’emblée, le premier constat qu’on peut avancer se décline à travers les difficultés que rencontre le pays dont l’économie peine à sortir la tête de l’eau. Le secteur productif demeure encore en zone fragile et les derniers chiffres de croissance sont à prendre avec beaucoup de prudence, car au final, ce rebond n’est pas dû aux efforts et aux politiques conduites par le gouvernement, mais plutôt à des facteurs exogènes. Une croissance comme un don de Dieu en quelque sorte.
Partant, et malgré cette évolution, dire que la croissance est de retour, semble, à cette étape, prématuré. Il ne faut pas confondre reprise et sortie de crise. L’histoire montre qu’une reprise économique consécutive à une phase d’après-crise de longue durée est souvent précaire si l’endettement reste excessif, le chômage élevé et les déficits de plus en plus larges. A considérer l’expérience internationale, il faut faire preuve de prudence avant de conclure que la reprise en cours est durable. De nombreux problèmes économiques créés ou exacerbés par la crise ne sont pas résolus.
Si l’on regarde les détails, on observe que cette légère reprise est essentiellement due au rebond du secteur agricole et du tourisme. Le secteur agricole qui dépend principalement de la pluviométrie et qui représente un poids de 10% dans le PIB a progressé de 2% durant le troisième trimestre. L’industrie manufacturière a rebondi de 2,8% alors que les industries non manufacturières demeurent en zone négative et continuent d’afficher un taux de croissance négatif de -3,3%.
Curieusement, et malgré la hausse des dépenses budgétaires notamment les salaires, l’INS indique un ralentissement des services non marchands. Il se trouve que le crédit d’impôt n’est pas pris en compte et ce serait une erreur de taille de la part de l’INS.
De toute manière, il est difficile d’annoncer que l’année 2018 sera l’année de la reprise comme le laisse entendre le gouvernement qui semble avoir vendu trop tôt la peau de l’ours. Car hélas, il n’en est rien, la croissance demeure très fragile et la production industrielle stagne.
Une situation budgétaire explosive
Aujourd’hui, le risque économique et plus particulièrement le risque budgétaire, demeure relativement élevé et ce, malgré les efforts du gouvernement. Ce dernier doit chercher, à chaque fois, des recettes supplémentaires pour combler des dépenses imprévues ou du moins non programmées et qui sont devenues ces dernières années trop nombreuses. Le FMI s’inquiète de la situation budgétaire et plus particulièrement des entreprises publiques, y compris les caisses de sécurité sociale, qui accumulent des déficits pouvant devenir insupportables pour le budget de l’Etat, si rien n’est fait à temps en matière de restructuration. L’équipe du FMI exige d’agir rapidement sur les déficits croisés entre les entreprises publiques elles-mêmes, qui ne cessent de s’amplifier, augmentant le risque d’une faillite systémique.
L’autre risque est celui lié à la masse salariale. En effet, en plus des augmentations injustifiées accordées cette année, le gouvernement doit également activer les différents accords sectoriels signés par ses prédécesseurs dans le cadre des réunions 5+5 et aussi entamer de nouvelles augmentations de salaire en 2018. Le gouvernement actuel a également promis au syndicat qu’il n’y aurait pas de hausse des produits de base et on se demande donc comment le gouvernement va trouver son équilibre d’autant plus que les différentes mesures du projet de loi de Finances sont remises en cause. Rappelons que parmi les conditions imposées par le FMI, la mise en place de mesures fiscales pour 2018 qui devraient rapporter au moins 2% du PIB de recettes.
C’est une équation difficile à résoudre, car au moment où la croissance peine à revenir, le gouvernement est contraint d’aller chercher des recettes supplémentaires pour couvrir des dépenses non vitales mais qui risquent de tuer dans l’œuf toutes prémices de reprise.
Constat d’échec des réformes économiques
La situation économique, aussi difficile soit elle, n’est pas le produit du hasard mais le résultat de nombreux dysfonctionnements. En haut de la liste, nous retrouvons les problèmes politiques et contrairement à ce qui se dit ici et là, nous sommes encore en pleine transition politique. Malheureusement, cette transition a eu et a toujours des coûts économiques très importants. L’actuel gouvernement d’union nationale n’a presque aucun appui politique et est obligé de chercher un rapprochement avec la Centrale syndicale.
La deuxième raison, et qui n’est pas moins importante, est liée à la méthode de gestion des affaires du pays. En effet, que fait l’armada de conseillers à la Kasbah dont on ne connaît pas encore l’utilité ? D’aucuns y voient qu’il s’agit ni plus ni moins d’un cas de gaspillage de l’argent public et de dysfonctionnement.
La troisième raison et qui paraît fondamentale, est liée aux réformes engagées. En effet, le gouvernement se dit avoir engagé de nombreuses réformes, le FMI de son côté tient à la réalisation des réformes convenues avec le gouvernement, mais au final, on ne voit rien venir. La situation économique se complique davantage, la dette publique atteint les limites de la soutenabilité, le chômage demeure à des niveaux très élevés et le gouvernement peine à boucler ses fins du mois. Dans quelques mois, on se posera la question, ô combien importante, à quoi ont pu servir toutes ces réformes. Avons-nous fait fausse route ?
Le FMI dans le piège Tunisie
Beaucoup de Tunisiens critiquent la démarche du FMI, mais oublient souvent que c’était un choix délibéré des autorités tunisiennes d’y avoir recours. L’autre chose qu’on oublie également est que la tâche de l’équipe du FMI, chargée du dossier Tunisie est beaucoup plus difficile, car c’est elle qui doit, à chaque fois, préparer le dossier Tunisie et surtout le défendre devant le Conseil d’administration du Fonds.
Aujourd’hui, le FMI est pris au piège, car s’il ne cache pas une certaine inquiétude du fait que les conditions préalables d’un futur décaissement ne soient pas satisfaites, il ne veut pas être accusé d’avoir abandonné la Tunisie et ne pas soutenir l’unique démocratie dans la région. En gros, l’équipe du FMI est consciente que techniquement le dossier Tunisie est non défendable, mais elle se trouve contrainte de le défendre pour des raisons politiques. Cependant, l’équipe du FMI veut rester prudente. Ainsi, le scénario le plus prudent est de reporter de quelques mois pour s’assurer de la crédibilité de la démarche du gouvernement et la satisfaction des conditions préalables. L’autre alternative est de mettre fin au programme et donner la chance aux autorités de renégocier un nouveau programme. Cette alternative devrait émaner plutôt du gouvernement tunisien lui-même car c’est toujours mieux de quitter de son plein gré que de se faire virer. Le gouvernement aura-t-il le courage de prendre une telle décision ?
La logique fait que le FMI vient souvent pour appuyer et aider un pays en difficulté de sortir de la crise. La partie tunisienne et le FMI doivent faire face à une situation extrêmement complexe et doivent surtout faire le bilan d’un tel programme qui risque de mettre le pays à genoux. Car, au bout du compte, le FMI sera accusé de tous les malheurs de la Tunisie et on lui rappellera ses dégâts dans les pays d’Amérique latine.
Au bout du compte et sans chercher à accuser quiconque, il est important de se demander comment et pourquoi nous en sommes arrivés là. D’où l’extrême nécessité de faire un bilan et déchiffrer les points de blocage pour sortir de ce guêpier.
Mohamed Ben Naceur