Grâce à son poste de président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV) il a été classé par la revue Entreprises comme faisant partie des 100 personnalités qui ont fait bouger le business en Tunisie en 2013. Ils disent que Mohamed Ali Toumi a révolutionné la FTAV. La FTAV d’aujourd’hui serait une institution respectée qui aurait du pouvoir et un regard sur tout ce qui concerne le domaine. Et c’est peut-être pour ces raisons qu’il a été réélu à la tête de la Fédération. Interview
Si vous étiez l’homme du changement, pourquoi les élections de la FTAV ont été organisées sur fond de polémique ?
Il faut rappeler tout d’abord que lors de notre mandat le nombre d’adhérents a augmenté pour atteindre 671 adhérents (sur un total de près de 700 adhérents) contre 540. Un record. Cet engouement pour la fédération de la part des agents n’est pas fortuit, car la fédération a changé et pour le mieux. La fédération d’aujourd’hui ne défend pas uniquement les intérêts des agents, mais elle s’oppose aux pratiques illicites et déloyales de certains agents. C’est peut-être ça qui a dérangé certains agents habitués à ce genre de pratiques. Des agents qui voulaient adhérer à la fédération gratuitement et sans payer le quotient pour exercer. (Pour exercer, une agence de voyages doit signer le contrat tripartite entre ONTT, la FTAV et l’assurance et payer un quotient). Ils ne comprenaient pas que la décision d’exonérer une agence (pour des raisons fondées) se décide par le conseil d’administration lors d’une assemblée générale et que ce n’est nullement une décision personnelle émanant du président. Ces mêmes agents qui s’opposent à notre bureau n’ont pas présenté une liste alternative pour contrer la notre aux élections et ainsi prouver par le vote qu’ils pourraient avoir raison. Ils ont préféré porter plainte contre le nouveau statut de la FTAV. Leurs motivations c’est que ce nouveau statut ne respecte pas les droits humains, n’est pas démocratique, qu’il favorise la marginalisation et n’est pas conforme à la Constitution. Si on leur demandait de nous donner précisément l’article ou les articles qui confirment leur hypothèse, ils ne répondraient pas. Nous avons revu le statut afin qu’il soit au diapason de cette nouvelle Tunisie, transparent et démocrate. Fini la présidence à perpétuité (quatre fois), car aujourd’hui la présidence est limitée a deux mandats. Mon prédécesseur est resté 11 ans… Le comique dans cette histoire c’est que la vague de contestation vient davantage des régions. Alors que statistiquement notre bureau est celui qui s’est le plus déplacé dans les régions. De plus, notre bureau a décidé la décentralisation de la fédération et de donner aux fédérations régionales leur indépendance financière et décisionnelle. Notre bureau a ouvert des représentations régionales à Djerba, Sfax, Tozeur et Douz. Ces régions ont beaucoup souffert de la marginalisation de l’ancien régime. Après la Révolution, elles ont été classées zones rouges, ce qui alourdit leurs pertes. Je pense que c’est ce sentiment de frustration qui a poussé ces agents à se révolter. Et la dernière mesure du gouvernement dans le cadre de la Loi complémentaire des Finances 2014 (exonérer les agences de Tozeur et Kebili de leurs dettes envers la CNSS de 1999 jusqu’au 2008) n’est qu’une confirmation des efforts fournis par la fédération en faveur de ces régions. Malgré ces tentatives, nous avons réussi à organiser les élections dans une ambiance démocratique et transparente. Et nous voilà réélus. Faute de candidats, les élections des bureaux de Douz et Tozeur ont été reportés.
Pourquoi avez-vous été réélu ?
Je crois que nous avons été réélus, mon équipe et moi-même, parce que nous avons commencé un bon travail lors de notre premier mandat, depuis juin 2011. Nous avons mis en place un programme dont la réalisation a atteint déjà plus de 70%. La majorité de nos adhérents sont convaincus que nous avons mis la FTAV sur la bonne voie et que nous pouvons faire plus et mieux. L’image de la FTAV a beaucoup changé dans les médias. Nous sommes plus présents et plus visibles grâce à notre opinion. La FTAV a été invitée d’honneur à plusieurs événements internationaux. Nous avons tissé des relations de partenariat avec la fédération américaine des Agences de voyages et l’APTA. J’étais le premier président arabe à assister au forum international de l’Open sky en Espagne. L’organisation mondiale du tourisme et l’OACI (l’organisation internationale de l’aviation civile) parlent aujourd’hui de la FTAV. Nous avons amélioré notre relation avec nos partenaires, les compagnies aériennes, l’UGTT, l’ONTT et la FTH.
Quelles sont justement vos relations avec la ministre du Tourisme ?
Aujourd’hui le fonctionnement de la fédération a changé. Avant la Révolution la fédération était sous le contrôle presque total du ministère du Tourisme. Aujourd’hui la fédération est indépendante et a son propre avis et sa propre perception sur l’avenir du secteur. Cette nouvelle donne n’a pas plu à certains ministres. Il y avait des tractations à cause des avis différents et nous avons vécu des jours difficiles. L’actuelle ministre, Amel Karboul, a fini par accepter cette indépendance et cette divergence dans le traitement et l’analyse du secteur. À titre d’exemple, quand il s’agissait d’évaluer la saison touristique et d’avancer des chiffres nous n’avions pas la même évaluation. Amel Karboul avançait 7 millions de touristes contre 6.300.000 avancés par la fédération. Nous basons notre analyse sur des faits et des indicateurs, notamment une situation sécuritaire instable, une situation environnementale alarmante et dangereuse, le ramadan en juillet, les élections qui seront tenues cette année… Le lendemain de la Révolution, les tours opérateurs ont transféré leur activité vers d’autres destinations touristiques. Sachant que la destination de la Tunisie est monocanale, c’est-à-dire que les touristes ne viennent qu’à travers des tours opérateurs, nous pouvons prévoir les dégâts. Les tours opérateurs français sont partis avec 700.000 touristes français. Pour les faire revenir il faut fournir un grand travail dans la communication institutionnelle, dans le PR, dans l’événementiel en Tunisie et à l’étranger. Il nous faudra aussi de grands moyens pour partager le risque avec ces tours opérateurs pour revenir sur la destination Tunisie. Cela se fera sur le moyen terme. Tout cela, nous le savons, nous, professionnels, depuis longtemps. Amel Karboul a fini par reconnaitre les chiffres avancés par la fédération. Je pense qu’il faut prendre en considération le fait que la ministre, bien qu’elle appartienne à un gouvernement technocrate, exerce aussi la politique et a tendance à être optimiste.
Est-ce que vous rejoignez la Fédération tunisienne de l’Hôtellerie (FTH) dans sa critique du rendement de l’Administration et particulièrement d’Amel Karboul ?
Je partage en partie l’avis de la FTH. Venir au mois de juin et annoncer que la saison sera extraordinaire, c’est un manque de maturité. Je pense que l’Administration n’est pas encore consciente que le secteur a besoin d’une vision réformatrice à moyen et long termes. Relancer le secteur demandera des concessions de toutes les parties prenantes. Nous avons besoin d’un gouvernement stable de cinq ans pour pouvoir mettre en place ce programme de réformes. Il faut que le prochain gouvernement comprenne que la stratégie touristique fait partie de la stratégie globale de l’État. À titre d’exemple, pour ceux qui appellent à la diversification des marchés, cela ne peut se réaliser que si on résout en premier lieu la question des visas. Le marché chinois, un marché prometteur de milliards de touristes où la Tunisie peut grignoter des centaines de milliers de parts de marché, n’est pas accessible. Les Chinois ont besoin de visas pour venir en Tunisie. Le gouvernement provisoire n’est pas prêt actuellement à lever les visas, pour des raisons inconnues.
Le provisoire dure depuis quatre ans, aurions- nous dû commencer quelque part ?
Certes, mais c’est une question de volonté. Provisoire ou pas, nous avons besoin d’actions. Aujourd’hui le gouvernement peine à gérer les affaires courantes alors que dire de l’avenir ? Les ordures dans l’ile de Djerba, étalées depuis 15 jours dans les rues, en disent long sur l’attitude du gouvernement. Je pense que le ministère du Tourisme doit être un ministère de souveraineté. Car ce secteur représente 7% du PIB, il fournit 400.000 emplois directs, c’est le premier pourvoyeur en devises de l’État (3.500 milliards de dinars). Rien ne peut se faire sans l’aval d’autres ministères. Au Maroc, le ministre du Tourisme est le conseiller personnel du chef du gouvernement. Ce n’est pas par hasard.
Le problème viendrait-il du casting du ministre du Tourisme ?
La Tunisie est en pleine transition et actuellement elle ne dispose pas de personnalités emblématiques qui peuvent créer la différence. De ceux qui pourraient le faire, vous diriez qu’ils appartenaient à l’ancien régime. Oui, mais c’est un risque à courir. Mais le problème ne s’arrête pas au casting, car si vous ne donnez pas les moyens à ce ministre pour réaliser les objectifs rien ne se fera. Je pense qu’être professionnel du domaine est primordial aussi dans le choix du ministre. Un ministre averti et qui connaît le secteur sur le bout des doits agit vite et mieux. Certes la communication est importante, mais les actions sur le terrain aussi. Rares sont les ministres qui ont accepté le nouveau fonctionnement de la nouvelle FTAV, indépendante et transparente. Nous avons eu du mal à collaborer avec certains ministres réservés et très administratifs, sachant que nous opérons dans un secteur très réactif ou les décisions se prennent rapidement. Amel Karboul, ne connaissant pas le secteur, a voulu nous soumettre aux exigences du bureau d’ordre, mais au fur et à mesure qu’elle en découvrait le fonctionnement, elle a opté pour le réactif et l’immédiat. Le tourisme est basé essentiellement sur le relationnel, s’il n’y a pas de contact direct, de réactivité, de la communication, on n’avancera pas. En même temps, le secteur exige des actions et mesures pour gérer les problèmes. La ministre a opté pour la première option, c’est de se focaliser sur la communication. Certes c’est un bon choix, mais pas prioritaire selon moi. Les priorités pour moi sont l’environnement, la sécurité et la qualité de service.
À quoi bon promouvoir un secteur en crise ? Quels sont les projets de la FTAV pour relancer l’activité des Agences de voyages ?
La situation des agences des voyages est à l’image du secteur du tourisme en Tunisie. La crise a poussé neuf agences à mettre la clé sous la porte à cause de la cessation d’activités pendant un an et d’autres continuent de souffrir de problèmes financiers et leur situation peut se dégrader jusqu’à la faillite. Malgré cela nous avons accepté de négocier avec l’UGTT et nous avons signé les augmentations en 2011. Cette année la situation demeure délicate, j’espère que l’UGTT en tiendra compte lors des prochaines négociations. Heureusement que la libéralisation d’Omra a aidé les agences à récupérer un peu. En attendant la libéralisation totale en 2015 et pourquoi pas la libéralisation d’une partie d’El Hajj. Le grand problème de la FTAV est le marché parallèle. Notre secteur est touché aussi par l’informel. Il s’agit de bureaux clandestins de sociétés de services. Leur capital ne dépasse pas un ordinateur et un téléphone. Nous avons informé le ministère du Tourisme, du Commerce ainsi que la Banque centrale de Tunisie, mais rien n’a été fait. Actuellement, l’administration est incapable de prendre une seule mesure contre ce service informel. Par ailleurs, la fédération a décidé de créer un code du tourisme. Ce code réunira toutes les lois et codes concernant l’exploitation et l’investissement dans le tourisme, pour faciliter l’accès à l’information. La Fédération créera une vidéothèque pour la destination Tunisie qu’on peut promouvoir lors des manifestions et événements internationaux. La formation est notre cheval de bataille pour réformer le secteur et le hisser au niveau international. Dans ce même cadre, la fédération sortira bientôt un label de qualité pour les agences de voyages. Cela va offenser certains agents, mais plus de 700 agences de voyages c’est beaucoup pour le marché Tunisie et il n’y a que le label qui fera le tri naturel et survivront les agences les plus performantes et les plus organisées.
Najeh Jaouadi