Mohamed Aziza, né le 24 décembre 1940 à Tunis, est un poète et écrivain de récits franco-tunisien. Après des études primaires et secondaires dans son pays natal, il poursuit ses études supérieures à Paris. Il y obtient en 1964 une licence en lettres à la Sorbonne, puis une licence en études juridiques et économiques en 1967. Il soutient sa thèse de doctorat en sociologie à l’École pratique des hautes études en 1969. Il obtient par ailleurs un doctorat d’État en lettres à l’Université Paris VII en 1974. Il fut également directeur à l’UNESCO entre 1975 et 2000 et est auteur de plusieurs ouvrages tant scientifiques que de fiction. Dans ses ouvrages scientifiques, L’Islam et l’image, La Calligraphie arabe ou Le Théâtre et l’Islam, il traite des aspects culturels et artistiques dans les sociétés arabo-musulmanes. Il aborde en outre la culture en Afrique dans son ouvrage intitulé Les Chants profonds des arts de l’Afrique. Mais, c’est en tant que président de MED 21 que Réalités est allé à sa rencontre à l’occasion d’une conférence organisée à l’espace l’AGORA de la Marsa le 28 août 2014.
Vous êtes écrivain avant tout ?
J’écris en effet sous un pseudonyme, Chems Nadir. J’écris d’abord des poésies. Je suis connu principalement comme poète. Et j’ai créé avec le plus grand poète italien, Mario Luzi, l’Académie mondiale de la poésie, dans la ville de Vérone. De cette collaboration, nous avons eu trois prix Nobel. Notre académie est composée de grands poètes venant du monde entier. À côté de ma casquette de poète, j’écris des récits. Le genre du récit se différencie du roman. C’est en effet un genre proche du registre borgésien. J’ai publié à ce titre deux livres traduits dans le monde entier sous le pseudonyme de Chems Nadir. Ces deux ouvrages sont donc consacrés à la trilogie de la mer. Le premier s’appelle L’astrolabe de la mer, le deuxième s’appelle les Portiques de la mer. Le troisième est en voie de publication ; si toutefois MED 21 me laisse quelque temps pour cela (rires.)
Venons-en maintenant à MED 21, que pouvez-vous nous dire en quelques mots ?
MED 21 a été créée à Rome en 2010 au moment où je dirigeais l’Osservatorio del mediterraneo. Cette fondation est le premier embryon de MED 21. L’idée première de MED 21, dont le siège est actuellement à Paris, est d’essayer de retrouver une centralité perdue de la Méditerranée qui était le centre du monde, notamment au 15e siècle. MED 21 est un réseau de prix pour l’excellence en Méditerranée. Ces prix ont des caractéristiques communes en ce qu’ils s’intéressent au champ du savoir et du bien-être social. Ainsi, au-delà de la différence de thèmes auxquels ils s’intéressent ces prix ont tous une dénomination de grandes figures de la Méditerranée qui servent à rapprocher les peuples de ce bassin ancestral. Nous avons un prix AVERROÈS, un prix SINAN – le grand architecte de Soliman le magnifique auteur de la Souleymania ente autres – un prix CATULLO, le grand poète latin de Vérone, né en 87, mort vers 54 av. J.-C.
Tous nos prix portent donc des noms patrimoniaux et servent à promouvoir un thème d’avenir et non pas une gloire du passé. Autrement dit, ces prix sont tournés vers l’avant et non pas vers l’arrière. Par exemple, le prix SINAN est pour la promotion de la création architecturale présente et future en Méditerranée. Il y a ainsi une sorte de liaison entre la revendication identitaire à laquelle répond le nom du prix et l’aspiration à une prospective dans la modernité à laquelle répond le thème. C’est cette idée mixte, identitaire et prospective qui est au centre de la conception des prix de notre association MED 21.
Ces prix sont en outre répartis, par exemple, depuis Cordoue avec le prix AVERROÈS qui est coproduit également à Marrakech – la ville où se trouve le tombeau d’Averroès. De Cordoue, MED 21 va jusqu’en méditerranée orientale et plus particulièrement à jusqu’à Istanbul avec le prix SINAN. Nous avons pour le moment dix prix qui se trouvent dans des pays différents de la mer Méditerranée. Le nombre de ces prix s’accroît de jour en jour.
Qu’en est-il des prix Farhat Hached et de CIRCÉ que vous présenteriez lors de cette conférence?
Le prix Farhat Hached est pour l’instant hors réseau. Nous collaborons avec la fondation Farhat Hached et nous avons lancé ce prix à l’occasion du centenaire de ce personnage phare de l’histoire politique et syndicale de la Tunisie. En revanche, nous avons des prix insérés déjà dans le réseau MED 21 et qui sont des prix tunisiens notamment le prix ZIRYAB qui a été créé le 22 août 2014 en présence du ministre de la Culture, Mourad Sakli. Ce prix est en effet destiné à la promotion du patrimoine musical et sa valorisation par l’encouragement de la recherche dans ce domaine. Le prix CIRCÉ aussi est destiné à la mise en avant du développement durable, de la coopération et de la créativité dans les îles de la Méditerranée. Ce prix CIRCÉ sera en effet situé à Djerba. De sorte que, d’une certaine manière, Djerba devienne le centre de toutes les îles de la Méditerranée qui sont en elles-mêmes une sous-région. Nous avons aussi lancé le processus de création d’un prix Ibn Khaldoun pour la promotion des recherches en sciences humaines et sociales dans la région méditerranéenne. Ce dernier prix sera coproduit avec l’université de Tunis.
Ces prix tournent autour de la créativité, de la culture ? Autrement dit, ce sont des prix uniquement culturels ?
Nos prix ne sont pas seulement culturels. Toutes les disciplines sont représentées dans ces prix. Nous espérons lancer à titre d’exemple et sous les auspices de l’UTICA un prix qui sera consacré à l’encouragement de la jeune entreprise dans le bassin méditerranéen. Ce prix est éminemment économique dans un contexte de chômage de masse. Mais une place à la culture est bien assurée : il y a en effet la créativité, la création musicale, un prix de la création littéraire, en train de voir le jour et que l’on dénommera prix Naguib Mahfouz en hommage au célèbre homme de lettres égyptien et qui sera situé au Caire. Aux côtés de ces prix qui se focalisent sur la culture, toutes les disciplines sont les bienvenues dans notre réseau MED 21. Pour vous citer encore un exemple, nous avons un prix TELSLA dont le siège est international et se trouve à Pogornica, à Belgrade, à Zaghreb et à New York. Ce prix sert à l’encouragement des recherches scientifiques et technologiques.
Pourquoi cette volonté d’agir en Méditerranée ?
À l’heure de l’uniformisation des cultures et de la financiarisation des économies, la leçon méditerranéenne peut nous aider à corriger les effets pervers d’une mondialisation que nous ne pouvons pas éviter. Pour ce faire, il s’agit de puiser dans cet immense héritage qu’est la Méditerranée en matière de valeurs, de cultures et de diversités culturelles. Dans tout cela, MED 21 n’est qu’une infime parcelle qui consacre la sagesse en ces temps de conflit.
Comment concilier les différences parfois infranchissables de cet espace méditerranéen ?
Effectivement, dans la nomenclature internationale, l’espace méditerranéen est divisé en quatre sous-régions. Il y a premièrement la région appelé l’arc latin. Cet arc latin c’est en effet le Portugal, l’Espagne, la France, l’Italie et Malte. Cette sous-région reprend l’héritage romain et chrétien catholique. Tandis que l’arc byzantin c’est l’héritage de Byzance et de l’orthodoxie. La césure entre ces deux arcs passe par la ville de Sarajevo qui a été le théâtre de la première guerre mondiale. Il y a donc dans la Méditerranée ces deux espaces. À ces deux sous-régions s’ajoutent les deux autres : le Maghreb et le Machrek. Personnellement, j’ai toujours soutenu qu’il y avait une cinquième région occultée dont on ne parle jamais, mais qui existe vraiment. Ce continent perdu et disons oublié ce sont les îles. Les îles de la Méditerranée sont nombreuses : d’Ibiza jusqu’à Chypre en passant par la Corse, la Sardaigne, Sicile, Djerba, Malte, les îles grecques, les îles croates, etc., ce sont des stations de communication entre les différentes civilisations et qui aident à la mise en place de projets interculturels.
Tout ce sous-ensemble représenté par les îles constitue ainsi une sous-région. L’idée est donc de créer un prix essayant de ramasser en un seul coup ces petits espaces. Dans cette perspective, le prix CIRCÉ vient pour souligner une action significative en matière de développement durable, de coopération interinsulaire. Par exemple, quand deux îles comme la Sardaigne et la Corse se mettent d’accord pour réaliser un projet commun. Pour MED 21 c’est une forme de reconnaissance à notre travail et à ce que nous faisons.
Pour terminer, qu’en est-il de la mobilité des échanges d’idées, mais surtout des personnes, entre espaces méditerranéens que vont favoriser les prix de MED 21 et en particulier le prix CIRCÉ ?
Ces différents prix sont constitués en réseaux interactifs, c’est-à-dire que les prix sont indépendants. Chaque prix en l’occurrence est géré indépendamment des autres, mais sont reliés par le réseau MED 21. Donc il y a une mobilité interne à ces prix. Aussi, il y a une forme de créativité interinsulaire dans tous les domaines. Par exemple, l’une des caractéristiques de toutes les îles de la Méditerranée en matière musicale est leur polyphonie. Toutes les îles pratiquent bel et bien la polyphonie. Nous avons ainsi œuvré à la création du prix CIRCÉ pour essayer de renforcer ce sentiment d’appartenance au travers des différences culturelles bien évidemment. Ce prix a été vivement construit et encouragé par l’association de Djerba «Mémoire» qui œuvre aussi pour la mobilité des personnes.
Propos recueillis par Mohamed Ali Elhaou