La Société des transports de Tunis (TRANSTU) a lancé le 16 novembre dernier, en partenariat avec le Centre de Recherche d’Etudes, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) une campagne de sensibilisation ayant pour objectif de lutter contre la violence faite aux femmes dans les transports en commun où une femme sur quatre déclare y avoir été agressée.
Intitulée « Le transport sûr est un droit », cette campagne s’inscrit dans le cadre de la campagne internationale « 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faire aux femmes » ayant débuté le 25 novembre à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes pour prendre fin le 10 décembre, date de la déclaration mondiale des droits humains. La campagne est financée par l’Union Européenne (UE) avec le soutien de l’ambassade de France en Tunisie via l’ Agence Française de Développement (AFD).
Mohamed Chemli, directeur de la communication et des relations extérieures à la TRANSTU
Afin d’avoir plus de détails sur cette action, Réalités Online a rencontré Mohamed Chemli, directeur de la communication et des relations extérieures à la TRANSTU. Interview.
Parlez-nous davantage de cette campagne de sensibilisation, de vos partenaires et de votre public cible?
Cette campagne de sensibilisation intervient dans le cadre d’une action mondiale pour la lutte contre la violence faite à l’égard des femmes. En effet, nous avons constaté que ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et devient de plus en plus graves. En revanche, les signalements sont très rares d’après les constats faits par nos agents de contrôle de sécurité et à travers quelques réclamations. La TRANSTU et le CREDIF ont donc décidé de déclarer la guerre aux agresseurs et d’éradiquer ce phénomène auquel font face les femmes quotidiennement dans les différents moyens de transport en commun plus précisément sur les lignes de métro et des autobus. Et ce n’est en tout cas pas la première initiative que nous lançons en coopération avec le CREDIF en matière de lutte contre la violence faite à l’égard de la femme. En 2017, à l’occasion de la promulgation de la loi 58 pour l’année 2017, nous avons initié une action presque similaire ayant pour objectif de lutter contre le harcèlement sexuel dans les réseaux de transport en commun.
Quels étaient les résultats de cette action?
Cette action avait pris une dimension très importante auprès du large public et notamment auprès des femmes qui vivent un vrai calvaire dans les transports en commun. Mais, quelle que soit l’action que nous organisons, notre souci est d’encourager les victimes à agir et à prendre une position ferme pour faire face à ce phénomène. Il s’agit de faire comprendre aux femmes en particulier qu’elles ne sont pas seules à affronter ce phénomène.
Avez-vous des chiffres mettant en exergue l’ampleur de ce phénomène ?
Malheureusement, nous sommes dans l’impossibilité de fournir des statistiques fiables. Comme je viens de le noter, très peu de femmes victimes de violences dans les transports en commun déposent concrètement des plaintes auprès de nos services. Ça nous arrive de recenser uniquement deux ou trois réclamations par an.
Comment expliquez-vous ces chiffres?
Ceci est dû essentiellement à la notion de tabou. Les victimes, particulièrement les femmes, trouvent du mal à dénoncer une agression à connotation sexuelle. En effet, dans la perception générale, entamer des poursuites judiciaires contre l’agresseur pourrait donner lieu à un processus engageant et gênant sur le plan social. Elles pensent qu’il s’agit d’un processus qui risque de leur causer d’autres problèmes sur les plans social, familial etc.
C’est dans ce cadre que la TRANSTU, en collaboration avec le CREDIF, s’est engagée à organiser cette campagne qui s’inscrit dans un cadre mondial à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la violence contre les femmes. J’espère que cette campagne pourra porter ses fruits en frappant les esprits aussi bien des victimes que des agresseurs. Il s’agit en effet d’une campagne dissuasive à l’intention des agresseurs, car désormais après la promulgation de la loi 58 de l’année 2017, l’impunité n’est plus de mise.
Nous sommes désormais bien outillés par un système de sécurité à même de faire face à toutes sortes de violences notamment celles subies par les femmes quelles qu’elles soient femmes usagères ou employées de la TRANSTU.
Mis à part le rôle de la campagne de sensibilisation, quels sont aujourd’hui les autres actions, et moyens pour lutter contre ce phénomène, approche sécuritaire, la problématique des caméras de surveillance protection des données ?
J’ai l’impression que la problématique de la protection des données personnelles est posée d’une façon exagérée en Tunisie. Les caméras de surveillance sont installées dans les plus grandes capitales à travers le monde. En Tunisie, ce n’est malheureusement pas le cas. La loi l’interdit et notamment dans le cadre public. Nous sommes en train de chercher des moyens pour que l’usage de la caméra de surveillance dans les stations principale de la TRANSTU soit possible notamment sur le plan juridique.
Nous sommes en train de mettre en place un système de perception qui nous aidera à boucler et à clôturer toutes les stations de la TRANSTU. Une fois ces dernières clôturées, elles feront partie de notre domaine et l’usage des caméras de surveillance deviendrait possible. Nous avons également un autre projet en parallèle qui consiste à équiper les moyens de transport de caméras de surveillance. Car très peu de bus et de métros sont dotés de caméras de surveillance à savoir les dernières acquisitions (400 bus et 55 rames de métro Citadis).
Considérez-vous qu’une campagne de sensibilisation de 16 jours est assez efficace pour lutter contre ce fléau ?
16 jours de sensibilisation ne sont certainement pas suffisants pour lutter contre un fléau social avec autant d’ampleur. Les actions de sensibilisation ne devraient pas s’étaler sur une période bien déterminée. Le combat devrait être quotidien notamment dans une société dominée par les valeurs masculines. En effet, le problème réside dans des victimes qui se laissent faire et des témoins hantés par une indifférence regrettable. On note très rarement des actes de bravoure, et il faut qu’un passager ait le courage nécessaire pour que les autres puissent, à leur tour, réagir. Généralement, ce ne sont pas les victimes qui dénoncent ou qui portent plaintes. En effet, nous transportons annuellement près d’un million de passagers, mais nous ne recevons que deux ou trois réclamations par an sachant que le taux de violence est en hausse incessante dans les espaces publics et notamment dans les moyens de transport. La femme, elle-même, riposte très souvent aux interventions des agents de sécurité et aux policiers quand elle se fait agresser par l’un de ses proches.
Qu’en est-il du volet sécuritaire ?
Concrètement, la mise en place d’un système de sécurité repose sur le recrutement et la formation du personnel de la TRANSTU et en particulier les agents qui sont en contact permanent avec les passagers. Il ne s’agit pas de sensibiliser les gens uniquement mais les agents eux-mêmes devraient être formés et outillés des techniques nécessaires pour faire face, avec professionnalisme, aux actes de violence prenant pour cible les passagers et les femmes en particulier.
On a jusqu’à maintenant 104 agents de sécurité mais il y a un problème de statut, ces agents ne peuvent pas user de la force car ils ne relèvent pas du ministère de l’intérieur. Ce sont des agents TRANSTU formés pour orienter les femmes victimes de violence. Ils ont également la possibilité de contacter les agents de police pour intervenir en cas de besoin.
Depuis plusieurs années, la TRANSTU coopère étroitement avec les services du ministère de l’Intérieur et tout un service de protection des moyens de transport public a été à cet effet crée. Les patrouilles sécuritaires sont de plus en plus nombreuses à être dépêchées aux alentours des stations de la TRANSTU et l’intervention policière se fait donc plus rapidement par rapport aux années précédentes.
Certains considèrent que l’encombrement dans les moyens de transport publics est à l’origine de la hausse du taux des violences, qu’en pensez-vous ?
Contrairement à ce que pensent les gens, les agressions ne sont pas dues à l’encombrement dans les moyens de transport en commun durant les heures de pointe. En effet, quand il y a beaucoup de monde, les agresseurs ont du mal à passer à l’acte. En revanche, certains d’entre eux, les harceleurs sexuels en particulier, cherchent leurs victimes lors des heures de pointe mais également lors des heures tardives.
D’autre part, certains passagers agressent les femmes implicitement à travers des regards intimidant lorsqu’une femme se trouve seule dans un moyen de transport avec une vingtaine d’hommes. Il s’agit donc d’un problème sociétal qui devrait être traité en engagent des débats et des actions coupant court à l’impunité qui prévaut actuellement.
Quelles sont les actions futures qui seront lancées par la TRANSTU pour vaincre ce phénomène ?
Notre priorité est aujourd’hui de renforcer notre système sécuritaire à travers le recrutement de 140 autres agents de sécurité multidisplinaires. Nous avons également mis en place un programme de formation continue pour les années futures intégrant la notion de la lutte contre les agressions faites aux femmes.
D’un autre coté, nous travaillons sur l’extension de notre parc pour éviter les problèmes de l’encombrement durant et en dehors des heures de pointe notamment face à la hausse de la demande sur les moyens de transport public. Nous comptons acquérir 718 nouveaux bus (0 km) et 18 nouveaux trains pour la ligne TGM entre 2022 et 2025 et ils seront tous dotés de caméras de surveillance dans l’espoir de voir certaines lois promulguées pour donner la possibilité à la TRANSTU d’exploiter instantanément le contenu, d’autant plus que nous disposons d’une salle d’opérations centrale à notre siège à Jean Jaurès.