« Moins-disant » ou « Mieux-disant » ?

Par Samy chambeh

L’avancement de nombre de marchés publics a mis en lumière certaines défectuosités et carences comme pour le cas du projet de restauration du stade d’El Menzah. Pour parer à ces tares, il paraît nécessaire d’amender le Code régissant les marchés publics de manière à attribuer dorénavant ces marchés aux soumissionnaires dont l’offre est évaluée « mieux-disante » plutôt qu’à celle « moins-disante ».

Généralement, les offres des soumissionnaires, personnes physiques ou morales présentant des offres en réponse à un appel d’offre lancé par un adjudicateur (ou acheteur public) dans le cadre d’un marché public, sont notées et classées selon certains critères fixés à l’avance dont celui de « moins-disant », terme utilisé dans ce domaine des marchés publics pour désigner l’offre la moins chère proposée.
Certes, on mentionne généralement dans ce genre de marché que les offres présentées doivent répondre à certaines exigences minimales « de qualité et de performance », mais la règle qui domine est celle du « moins-disant ».
Du coup, cette mal interprétation de ce terme et l’attribution sur cette base de tels marchés à certains entrepreneurs dépourvus, dans certains cas, des capacités techniques et/ou financières requises, a entraîné des manquements au niveau de la réalisation des projets, que ce soit en termes de qualité des ouvrages ou de délais d’exécution.
Mais d’abord, que qualifie-t-on de marché public ?
Le marché public est un contrat, conclu à titre onéreux, qui lie un acheteur public (Etat, administration, collectivité locale, office et autre établissement public) et un opérateur économique public ou privé pour la réalisation par ce dernier de travaux, d’un service ou d’une commande de fourniture.  Le marché public fait intervenir une réglementation spécifique qui se doit d’être en constante évolution, étant donné qu’il engage les deniers publics et vu qu’il revêt une importance capitale de par ses impacts conséquents sur l’investissement, sur l’emploi et sur la croissance économique.
Le marché public, dans sa réalisation, se caractérise par des phases successives, à savoir la consultation et la mise en concurrence des offres, la préparation du marché, la centralisation et le dépouillement des offres, la notification, la réalisation, la gestion et le contrôle du marché.
Outre les vérifications au niveau des fiches de suivi, l’acheteur public doit, lors de la présentation du rapport de dépouillement financier à la Commission des marchés compétente, mentionner expressément, dans un rapport écrit, son avis au sujet du choix du titulaire du marché et des prix proposés. Il informe le ministre chargé du Commerce des offres financières éliminées en raison du prix excessivement bas entachant la concurrence loyale. Ainsi, peut-il saisir le conseil de la concurrence et, en cas d’urgence, il peut requérir la prise des mesures provisoires prévues par la loi n°91-64 nécessaires et susceptibles d’éviter un préjudice imminent et irréparable pouvant affecter l’intérêt économique général ou les secteurs concernés et ce, jusqu’à ce que le Conseil statue sur le fond du litige.
Mais la question majeure est : pourquoi l’acheteur public doit-il impérativement, dans tous les cas, ne retenir que l’offre moins-disante, c’est-à-dire celle en comparaison avec la moins chère ?
Il y a lieu de préciser à ce niveau que la règle du « moins-disant » ne peut convenir qu’aux marchés portant sur des prestations simples ou courantes. Dans ce cas, l’attribution du marché est décidée en fonction du prix uniquement. Le candidat qui offre le prix le plus bas est déclaré systématiquement titulaire de la commande publique.
Le propos a été axé sur cette question vu que le service ou le produit bon marché pourrait être à l’encontre de l’intérêt de l’administration ou de l’acheteur public surtout en ce qui concerne la qualité ou des délais de réalisation arrêtés, notamment pour ce qui est des grands projets.
Il y a lieu de concéder cependant que la loi n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et aux prix telle que modifiée par la loi n°2005-60 du 18 juillet 2005, a considéré toute offre de prix ou pratique de prix abusivement bas, susceptible de menacer l’équilibre d’une activité économique et la loyauté de la concurrence sur le marché, comme une pratique anti-concurrentielle et par conséquent prohibée. Mais en règle générale, l’attribution des marchés publics reste conditionnée à l’offre la moins-disante.
En tout état de cause, une nouvelle culture des marchés publics devrait être consacrée : outre l’égalité des chances et de traitement des candidats – prestataires (en faisant jouer la concurrence) et l’accentuation de la transparence des procédures et leur claire application à toutes les étapes de conclusion du marché et l’information des candidats desdites procédures, l’effort du législateur tunisien doit se focaliser sur cette question d’attribution des marchés de travaux ou de fournitures aux soumissionnaires présentant l’offre évaluée la « moins-disante ».
Certes, la réglementation en vigueur conditionne cette attribution au respect ou au remplissement par le soumissionnaire retenu des capacités techniques et financières nécessaires pour la réalisation du marché public en question, mais dans la pratique, la réalité est parfois tout autre.

 Pour le principe du juste prix
Au vu de la multiplication des entorses et des carences constatées dans l’exécution des marchés publics, plusieurs pays ont sauté le pas et ont réformé leur cadre réglementaire en privilégiant le principe du juste prix plutôt que celui du « moins-disant », ce qui a permis d’assurer une qualité meilleure des prestations ou des fournitures et un respect des délais de réalisation.
En clair, il s’agit de retenir des offres non pas au regard du prix de la prestation, qui doit être le plus bas parmi le lot qui s’est manifesté à l’adjudication, mais plutôt sur la base du dossier technique et de la compétence des entreprises candidates aux marchés publics.
Aussi convient-il d’amender le Code des marchés publics (avec tout l’arsenal juridique des lois et des décrets d’application en rapport, notamment le décret n°2014-1039 du 13 mars 2014), en spécifiant, d’une manière expresse ou explicite, l’obligation du « mieux-disant » en lieu et place de celle du « moins-disant ».
Autre réaménagement éventuel : instituer une clause concernant la réduction des délais de règlement de la part de l’acheteur public (fixation d’un délai limite), surtout que nombre d’entrepreneurs qui ont réalisé des marchés pour l’Etat ou pour les entreprises publiques ont connu de grandes difficultés de trésorerie et ont été plombés par une lourde charge financière amenant certains d’entre eux à la faillite en raison des retards de règlement.
Pour terminer, le Haut comité du contrôle administratif et financier (HCCAF) a épinglé, dans son 24e rapport annuel au titre des années 2016-2017 et présenté en mai 2018, certaines imperfections dans le cadre des marchés publics telles la non-maîtrise de l’identification des besoins en matière de marchés publics, la faiblesse du suivi et du contrôle dans l’exécution des marchés publics et le non-respect des mesures de la concurrence loyale. Toutes les parties concernées sont appelées à faire en sorte de parer à ces tares pour une meilleure exécution des marchés publics, que ce soit en optimisant le cadre réglementaire ou en renforçant le contrôle et la supervision à tous les niveaux.

Petit lexique des marchés publics, pour comprendre

Adjudicataire du marché : candidat qui a obtenu le marché public et qui est tenu de le réaliser conformément au cahier des charges souscrit.
Adjudicateur : nom donné à l’acheteur public dans le cadre d’un appel d’offres. Il doit obéir aux règles de publicité et de mise en concurrence.
Adjudication : procédure de mise en concurrence des co-contractants potentiels en matière de marchés publics.
Appel d’offre : procédure par laquelle l’acheteur public choisit l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de conditions et de critères spécifiés dans le cahier des charges et donc préalablement portés à la connaissance des candidats. Il peut être ouvert (à tout candidat) ou restreint (limité à des candidats après sélection).
Appel d’offres infructueux : un appel d’offres est déclaré infructueux par le titulaire du marché quand l’offre ne lui paraît pas conforme au cahier des charges, c›est-à-dire aux besoins exprimés par le biais de la consultation.
Cahier des charges : il est élaboré par l’acheteur public. Il fixe les conditions dans lesquelles les marchés sont passés et exécutés.
Commission supérieure des marchés : elle est instituée auprès du Premier ministre pour examiner les dossiers de marchés relevant de sa compétence (suivant les seuils relatifs à la nature du marché de travaux, de fourniture, d’étude et de matériels, équipements et services informatiques) pour le compte de l’Etat, des collectivités locales, des établissements et entreprises publics.
Entente directe : cette solution d’exception consiste à ce que l’acheteur public engage, sans formalités, les discussions qui lui paraissent utiles, de gré à gré, et selon un niveau de prix donné, pour attribuer le marché à l’entrepreneur ou au fournisseur qu’il a retenu.
Marché-cadre : cette formule, qui peut engendrer des économies budgétaires, est instituée pour s’adapter à l’ensemble des dépenses d’approvisionnement et afin de résoudre les problèmes résultant de l’impossibilité d’évaluer avec précision des besoins de même nature ou de nature complémentaire. La durée du marché-cadre ne doit pas dépasser trois années et exceptionnellement cinq années pour les marchés nécessitant la mobilisation d’investissements spécifiques.
Marchés négociés : sont considérés comme tels les marchés conclus par l’acheteur public, sans que celui-ci observe intégralement les procédures et les modalités d’appel d’offres ou de la consultation élargie. Entrent dans ce cadre les marchés des travaux, de fournitures, de biens ou de services et de recherche dont l’exécution ne peut être confiée qu’à un fournisseur ou prestataire de service déterminé, notamment dans le cas de monopole où il n’est pas possible de procéder à une mise en jeu de la concurrence.
Observatoire national des marchés publics : c’est un organe constitué au sein de la Commission supérieure des marchés. Il est chargé de l’instauration d’un système d’information permettant la collecte, le traitement et l’analyse des données relatives aux marchés publics. Il lui incombe d’étudier et proposer toute mesure de nature à améliorer la réglementation des marchés. A cet égard, il lui est confié la mission de l’encadrement de l’achat public et l’amélioration de sa rentabilité aux plans juridique, économique, commercial et technique. Pour mieux diffuser l’information, l’observatoire établit chaque année, sur la base des fiches de suivi, un recensement général des marchés publics et des recensements partiels concernant un ensemble d’acheteurs publics ou une catégorie donnée de marchés.
Réception : acte par lequel le maître de l’ouvrage reconnaît l’exécution correcte et satisfaisante des travaux accomplis pour lui par un entrepreneur. C’est une reconnaissance que l’ouvrage réceptionné est exempt de vices et que l’entrepreneur a droit à être déchargé de sa responsabilité contractuelle. La réception peut, soit revêtir la forme d’un acte unique, soit se décomposer en deux opérations successives, généralement séparées par un intervalle de plusieurs mois. La réception définitive et l’expiration du délai de garantie constituent la véritable fin du marché. C’est un acte positif qui obéit à certaines conditions. Ses effets juridiques sont plus radicaux que ceux de la réception provisoire. Elle oblige l’acheteur public à restituer les sûretés qu’il retenait et à verser le solde du prix.
Secrétariat permanent de la Commission supérieure des marchés : il assure la réception, l’examen des dossiers et l’organisation des travaux de la Commission en ce qui concerne la proposition de l’ordre du jour, l’organisation des réunions, la rédaction et la tenue des procès-verbaux. L’avis de la Commission supérieure des marchés doit être communiqué dans le mois qui suit la réception du dossier à condition qu’il soit complété par tous les documents nécessaires. Passé ce délai, l’entreprise soumet directement le dossier à l’approbation de son Conseil d’administration ou de son Conseil de surveillance.

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