Face aux promesses françaises de soutenir la Tunisie dans cette phase de transition, Moncef Marzouki a formulé l’espoir que cela n’allait pas «s’arrêter aux bons sentiments». Il ne croyait pas si bien dire, car à y regarder de plus près, les démonstrations de générosité, de «fierté» et d’«amitié» dont il a été entouré et qui ont fait de sa visite en France «une visite exceptionnelle» selon l’expression même de François Hollande, ont été accordées plus à l’homme Moncef Marzouki qu’à l’Etat tunisien.
Le maître-mot de cette visite était d’effacer les tensions du passé et de «tourner définitivement la page». Il fallait y lire aussi la grande satisfaction des amis d’hier de se retrouver au pouvoir après l’éviction des perfides, jadis complices. Ainsi Moncef Marzouki, dans un élan lyrique, a affirmé sa conviction de voir la France «à côté de nous dans cette phase difficile de reconstruction du pays où nous allons vraiment avoir besoin de tous nos amis et vous êtes probablement les meilleurs». Son élan l’a même conduit à souligner «à quel point, nous, Tunisiens, nous aimons la France. A quel point nous lui devons, à quel point nous considérons que notre Révolution est l’écho de sa révolution à elle».
A l’Assemblée comme ailleurs, l’homme Marzouki a été à la hauteur des attentes de ses amis, égal à lui-même, le verbe vif, il leur a affirmé que la «Tunisie n’est pas tombée dans l’escarcelle de l’islamisme, mais dans l’escarcelle de la démocratie», qu’Ennahda est un parti «islamo-démocrate» à la manière des chrétiens-démocrates de chez eux et qu’il a décidé de travailler avec ce parti en fixant «des lignes rouges» sur les Droits de l’homme et ceux des femmes. Il a réitéré son attachement aux libertés en disant même en «assumer les effets pervers» et a annoncé que la Tunisie a aboli «de facto» la peine capitale. Face aux médias, auxquels il s’est adressé volontiers, M. Marzouki a pataugé jusqu’à commettre quelques inélégances verbales, notamment sur la situation en Syrie et sur la «boutade» concernant la possibilité d’accueillir Bachar Al-Assad en Tunisie. Interrogé sur l’extradition de Baghdadi Mahmoudi, il s’est contenté d’affirmer que la crise de la Troïka est dépassée et de «rassurer sur la solidité du gouvernement actuel». Sur la tenue du prochain Sommet de l’UMA, il a déclaré : «C’est en octobre en principe… Maintenant le projet est très simple. Nous espérons, encore une fois, mettre en place un processus dont il faudra identifier la vitesse en fonction des uns et des autres». Rien de nouveau en somme.
Inquiétudes régionales
De son côté, la France n’a rien concédé, ou si peu à M. Marzouki. Sur le plan politique, sa visite s’inscrit dans une volonté du nouveau gouvernement français de remettre de l’ordre dans ses relations avec le Maghreb. Elle a été programmée après une visite en France du Roi Mohamed VI et avant la visite de François Hollande en Algérie. Le but étant d’abord de relancer les relations euro-méditerranéennes dans le cadre du processus «5+5», «sans qu’il y ait des problèmes qui viennent interférer, et avec des projets concrets» a déclaré le président français, en référence aux difficultés rencontrées par l’initiative UPM de 2008. Une réunion à ce sujet va d’ailleurs se tenir début octobre à La Valette (Malte). Le deuxième objectif français est la sécurité de la région et la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et l’immigration clandestine. François Hollande, évoquant «la menace» de la crise malienne lors de la conférence de presse conjointe avec le président tunisien, a exprimé son extrême inquiétude à ce sujet en précisant que la Tunisie «peut être une zone de transit» de trafics en tous genres. Moncef Marzouki a acquiescé : «Nous avons pratiquement le même point de vue sur cette question, a-t-il dit, sur la façon dont il faut la traiter aussi bien sur le plan sécuritaire que sur le plan politique». D’où sa rencontre, accompagné de Ali Larayedh, avec Manuel Valls, ministre français de l’Intérieur, pendant laquelle on a parlé bien sûr gouvernance et organisation administrative en faveur de la décentralisation, mais surtout sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme, comme l’a souligné le communiqué de presse du ministère. Ceci explique aussi que le seul site industriel français visité par Moncef Marzouki soit celui du groupe Eurocopter, leader mondial dans la fabrication des hélicoptères civils et militaires.
France-Tunisie : tout continue comme avant
Pour le problème des flux migratoires en général et de la situation des Tunisiens «venus en France de façon illégale dans une période troublée» en particulier, la solution pour les Français se trouve dans la mise en œuvre de l’accord de gestion concertée des flux migratoires de 2008 (signé alors par Brice Hortefeux et Abdelwahab Abdallah). L’objectif étant «que ces jeunes puissent rentrer en Tunisie», a précisé François Hollande.
Sur le volet économique, le président français ayant en tête que plus de 1 200 entreprises françaises sont installées en Tunisie, que son pays est, jusqu’à nouvel ordre, le premier partenaire commercial et le premier créancier de notre pays et cela ne pouvait que nous confirmer que la France est «à nos côtés» et qu’elle répondra «à toutes les demandes sur la question de la dette, de l’aide, sur la question aussi des relations économiques, commerciales». Il a également souligné la nécessité de traduire en actes les ambitions communes des deux pays. Pour ce faire, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a proposé à Moncef Marzouki de créer «un groupe d’impulsion économique pour aider la transition, en renforçant l’implication des entreprises françaises», mais aucune date n’a été fixée.
Même la proposition de convertir une partie de la dette tunisienne en projets de développement a été clairement soumise «à certaines conditions» afin qu’il n’y ait pas «un doute des marchés, des opérateurs, par rapport à la qualité de la signature de la Tunisie» et donc promesse a été faite par François Hollande de «trouver les mécanismes les plus subtils, les plus ingénieux, pour que nous puissions avoir cette conversion dans les meilleures formes».
De même sur la question de la récupération de l’argent mal acquis du clan Ben Ali, le président français a promis de mettre en œuvre «toutes les compétences françaises, qui sont grandes» pour «aider la Tunisie à retrouver ce dont elle a été privée», mais ni le calendrier ni les modalités de cette opération n’ont été précisés. François Hollande a en revanche insisté sur la «subtilité des dictateurs, en tout cas celui-là [Ben Ali], a-t-il précisé, qui n’a pas mis ses économies dans les banques françaises avec son nom et sur un dépôt rémunéré» concluant donc qu’il y a quelques millions d’euros sur lesquels la France ne peut pas avoir prise.