Mort d’un psychiatre en prison: la colère des blouses blanches s’amplifie

Le décès tragique du Dr Mohamed Hajji, médecin psychiatre, survenu dans des circonstances malheureuses, une semaine seulement après son placement en détention provisoire dans le cadre d’une affaire liée à son exercice médical, continue de susciter l’émoi et l’indignation. Exerçant depuis trente ans à Bizerte, le Dr Hajji n’avait jamais été confronté à la justice auparavant. Son incarcération dans des conditions difficiles s’est avérée fatale. En prison, il aurait contracté une infection pulmonaire grave quelques jours seulement après son incarcération, aggravant ainsi son insuffisance respiratoire chronique, un problème médical qu’il avait pourtant surmonté à maintes reprises par le passé. Son avocat avait pourtant présenté un rapport détaillé sur la gravité de son état de santé aux autorités concernées, demandant sa mise en liberté pour soins, mais en vain, sa détention a été reconduite.

Ce drame a déclenché la colère de l’ensemble des professionnels de santé qui ont exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ils ont dénoncé la facilité avec laquelle des accusés, présumés innocents, sont mis en prison, en particulier des médecins.

Le collectif ordino-syndical annonce une série de décisions

Le collectif ordino-syndical, qui réunit les structures syndicales et les conseils de l’ordre de tous les professionnels de santé, tels que le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens de Tunisie (CNOPT), le Syndicat des Médecins Libéraux (STML), le Syndicat des Médecins Dentistes Libéraux de Tunisie (STMDLP), le Syndicat des Pharmaciens de Tunisie (SPOT), la chambre syndicale des cliniques, et d’autres, s’est réuni hier, dimanche 17 mars, à Dar Ettabib à El Manar 1 à Tunis, afin de prendre des mesures suite à ce décès en détention préventive abusive, ainsi qu’aux nombreux autres dépassements constatés récemment dans des affaires similaires touchant les professionnels de santé.

Dans un communiqué conjoint, ces structures réunies ont appelé à l’ouverture d’une enquête pour établir les circonstances du décès du Dr Hajji, afin de déterminer les responsabilités et de poursuivre les responsables. Elles ont demandé à tous les médecins de porter un brassard rouge durant la semaine du 18 au 23 mars.

Les signataires dudit communiqué ont également appelé les autorités judiciaires à traiter avec plus de prudence les affaires impliquant des professionnels de santé, en respectant la présomption d’innocence et les spécificités de leur exercice professionnel. Dans ce contexte, ils sollicitent une rencontre urgente avec la ministre de la Justice Leila Jaffel, ainsi que l’accélération de la promulgation d’une loi spécifique sur la responsabilité médicale.

Le même communiqué a appelé le ministère de la Santé à défendre plus efficacement les professionnels de la santé tout soulignant la nécessité d’organiser une séance de travail avec le ministre Ali Mrabet.

Les structures réunies ont également annoncé qu’une conférence de presse est prévue le mercredi 20 mars 2024, à partir de 10 heures, à Dar Ettabib, pour informer le public sur les développements de cette affaire et exprimer leurs revendications.

L’affaire du décès de Dr Hajji vient de raviver le débat sur les risques accrus de poursuites judiciaires auxquels sont confrontés les professionnels de santé notamment quand il s’agit de la prescription de certains médicaments comportant des substances potentiellement dangereuses ou sujettes à des abus, nécessitant une gestion et une prescription prudentes.  En Tunisie, la législation actuelle ne semble pas offrir une protection adéquate à ces professionnels qui se trouvent souvent exposés à des menaces de poursuites judiciaires. En effet, aujourd’hui, cinq médecins et deux pharmaciens sont mis en détention provisoire en attendant leur procès.

Contacté par Réalités Online, Mustapha Laroussi, président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de Tunisie (CNOPT), a souligné l’importance de la réunion qui devrait avoir lieu avec la ministre de la Justice, Leila Jaffel. Selon lui, cette réunion permettrait aux professionnels de santé d’examiner en profondeur les spécificités de leur pratique et de soulever certaines questions cruciales.

« Pourquoi placer un médecin ou un pharmacien en détention provisoire? Pourquoi fermer son cabinet et priver les patients, notamment ceux souffrant de maladies chroniques, de leurs médicaments et traitements ? Quel est l’intérêt de recourir à l’incarcération préventive dans ces cas précis ? » s’est-il interrogé.

Mustapha Laroussi a appelé que cela ne signifie en aucun cas que les médecins et les pharmaciens sont au-dessus de la loi. Cependant, il a exprimé ses préoccupations quant à l’usage de plus en plus fréquent de la détention préventive, semblant devenir une mesure courante et banale. Selon lui, il serait plus judicieux d’attendre les résultats des enquêtes, qui peuvent aboutir à des arrestations après confirmation des preuves, plutôt que de recourir systématiquement à cette mesure.

Dans ce contexte, il a souligné que les ordres professionnels, qu’il s’agisse de pharmaciens ou de médecins, disposent d’un pouvoir disciplinaire et d’un système bien établi pour prendre des mesures disciplinaires en cas d’infraction ou de dépassement.

Le président du CNOPT a également estimé que ces problématiques méritent une discussion approfondie et une prise en charge sérieuse. « Bien que le sujet ait été abordé à plusieurs reprises, le décès tragique du Dr Hajji a intensifié le débat », a-t-il affirmé.

 

Related posts

Charles-Nicolle : première kératoplastie endothéliale ultra-mince en Tunisie

Affaire du complot : Qui sont les accusés en fuite ?

Une opération sécuritaire inédite : Saisie de plus d’un million de comprimés d’ecstasy (Vidéo)