Le 25 juin 2025, la Tunisie a vu s’éteindre une lumière rare et précieuse : Mouldi, plus connu sous son nom de scène Ghazela, est décédé dans son village natal de Sidi Omar El Beqrawi, niché au cœur des paysages montagneux du Kef. Âgé de 79 ans, ce danseur, artiste et figure emblématique du folklore populaire tunisien a laissé derrière lui un héritage qui dépasse largement les frontières de sa région. Son parcours exceptionnel est une ode à la créativité, au courage et à la résilience, une histoire humaine d’authenticité qui inspire bien au-delà des limites géographiques ou sociales.
Ghazela : un personnage entre folklore et subversion
Né en 1946 dans une Tunisie encore marquée par de fortes traditions rurales et conservatrices, Mouldi grandit dans la région de Sidi Omar El Beqrawi, un petit village aux paysages à la fois rudes et enchanteurs. Très jeune, il découvre une passion pour la danse, un art populaire omniprésent dans les mariages et les fêtes du Kef. Mais c’est à seulement douze ans qu’il choisit d’incarner un personnage unique : celui de Ghazela, une danseuse travestie, vêtue des habits féminins traditionnels qu’il confectionnait lui-même avec soin.
Ce choix, osé pour l’époque et le contexte, allait devenir sa marque de fabrique, une signature artistique forte qui allait révolutionner la scène locale. En endossant ce rôle, Mouldi n’a pas seulement défié les normes sociales, il a créé un espace où l’art, la culture et l’identité se mêlent pour offrir une expression nouvelle, profondément humaine et universelle.
Dans les fêtes populaires du Kef et des villages alentour, Ghazela était bien plus qu’un simple danseur. Il était la pièce maîtresse de chaque célébration, celui dont l’apparition faisait vibrer les cœurs et illuminer les visages. Sa danse mêlait l’humour et la poésie, le respect des traditions et la subtilité d’une subversion qui questionnait sans jamais heurter.
Revêtu du mélia et du hrem, vêtements féminins traditionnels, Ghazela incarnait un personnage qui jouait avec les codes de genre, mêlant finesse et virtuosité. Ce rôle lui a valu une place unique dans la mémoire collective : celui d’un artiste capable de faire rire, d’émouvoir et de rassembler, tout en ouvrant un espace de liberté et d’expression dans une société souvent rigide.
Sa danse n’était pas seulement un spectacle, c’était une véritable cérémonie, un acte d’amour et de résistance, une manière d’honorer la culture locale tout en la réinventant. Il redonnait vie à un patrimoine immatériel précieux, le rendant accessible et vivant pour tous, quelle que soit leur origine ou leur vision du monde.
Au fil des décennies, Mouldi Ghazela n’a pas seulement été un interprète, il est devenu un enseignant, un passeur. Il a formé de nombreux artistes, transmis ses techniques, ses gestes et surtout sa philosophie. Sa bienveillance et son charisme en ont fait une figure respectée, un pilier pour la transmission d’un art fragile, à la fois populaire et intime.
Par son existence même, il a contribué à ouvrir les esprits, à briser les tabous et à créer un espace de tolérance et de compréhension. Sa vie est un témoignage puissant de la force de l’authenticité, un appel à l’acceptation des différences et à la célébration de la diversité.
Un héritage enraciné dans la terre natale
La mort de Mouldi Ghazela, dans le même lieu où il a vu le jour, symbolise une belle continuité, presque mystique. Entouré des montagnes et des vallées du Kef, territoire qu’il a sublimé par son art, il s’en est allé dans le silence de la nature qu’il a tant aimée.
Son départ laisse un vide immense dans la vie culturelle et sociale de la région, mais aussi dans le cœur des milliers de personnes qui ont été touchées par sa danse et sa personnalité lumineuse. Pourtant, son souvenir reste vivace, gravé dans les mémoires, dans les fêtes populaires, dans chaque pas de danse inspiré par son exemple.
Il est devenu une légende locale, un patrimoine vivant, dont la lumière éclaire encore les chemins des nouveaux artistes et militants, mais aussi de tous ceux qui aspirent à une société plus ouverte et humaine.
La vie et la carrière de Mouldi Ghazela posent une question essentielle : quelle place accorde-t-on à la différence, à la liberté d’expression et à la créativité dans nos sociétés ? Par son art et son existence, Mouldi a répondu avec force que la richesse vient de la diversité, que la culture est faite de nuances et d’audaces.
Son parcours nous invite à repenser nos préjugés et à ouvrir le champ des possibles, à reconnaître la valeur et la beauté de toutes les identités. Il est le symbole d’une Tunisie plurielle, capable d’accueillir ses héritages multiples et de se projeter dans un avenir plus inclusif.
Balkis Hadoussa.