par Najeh Jaouadi
Avec près de 30 ans d’expérience transactionnelle et d’expertise régionale au Moyen-Orient et plus récemment en Afrique, Swicorp est active dans les domaines de conseil financier et de gestion d’actifs. Fondée par le Tunisien Kamel Lazaar et implantée à Ryadh, Djeddah, Dubai, Genève, Tunis et Johannesburg, Swicorp s’est aujourd’hui développée pour prendre une place parmi les institutions leaders dans la région en matière de services financiers. Swicorp dispose d’une vaste expérience en fusions et acquisitions, en conseil et transactions immobilières sur la région MENA pour les clients régionaux et internationaux. Swicorp s’est également développée pour devenir parmi les principaux acteurs dans le domaine du capital investissement au Moyen Orient et en Afrique, avec près de 1.5 milliard de dollars US investis depuis 2006, et des actifs sous gestion de plus de 1 milliard de Dollars US. Swicorp a également développé une activité de gestion d’actifs à travers diverses classes d’actifs, pour permettre aux investisseurs de bénéficier des opportunités d’investissement sur les marchés des capitaux. En Tunisie, Swicorp est présente depuis 2003 mais n’est devenue active et visible que depuis la Révolution, une visibilité parfois controversée, notamment lorsqu’il s’agit de son implication dans le secteur du tourisme. M. Nabil Triki, premier responsable de Swicorp à Tunis et qui dirige l’activité de capital investissement pour le groupe, nous donnera des éclaircissements sur Swicorp et sur ses intentions d’investissement en Tunisie.
Pouvez-vous nous présenter votre groupe Swicorp, de quoi s’agit-il ? Quels sont les fondateurs et quels sont ses objectifs ?
Swicorp est une société de conseil financier, de capital investissement et de gestion d’actifs, créée par Kamel Lazaar et active aujourd’hui au Moyen Orient et en Afrique. M Lazaar démarré sa carrière avec Citibank en Tunisie et a contribué au lancement des activités de la banque en Arabie Saoudite. En 1987, il s’est installé à Genève et crée Swicorp, avec comme objectif d’établir une institution financière de premier ordre dans la région MENA. Quant à moi, j’ai rejoint l’équipe de Swicorp et je me suis installé à Tunis il y a 11 ans. Swicorp a trois activités, la première étant le conseil financier, activité cœur de la société. Nous avons parmi nos clients de grandes entreprises qui cherchent à réaliser des investissements, des acquisitions, et autres opérations financières. Notre mission est d’analyser ces marchés, d’identifier les opportunités, puis de conseiller nos clients. Cette activité est principalement centrée dans les pays du Golfe, où existe un nombre significatif d’entreprises et de groupes de taille. Notre deuxième activité consiste à gérer des fonds de capital investissement. Il s’agit d’investir dans des entreprises privées, les aider à se développer sur une durée moyenne de 5 années, puis revendre la participation. La troisième activité est celle de gestion d’actifs, qui consiste à gérer des fonds dédiés principalement à investir dans des entreprises cotées en Bourse. Swicorp est composée d’une centaine de personnes de 23 nationalités, avec notamment des compétences tunisiennes, sur six bureaux implantés à Riyad, Jeddah, Dubai, Genève, Tunis et dernièrement à Johannesburg en Afrique du Sud. Au niveau de l’équipe dirigeante, nous avons des responsabilités métier plutôt que géographiques. En ce qui me concerne, je dirige l’activité de capital investissement au niveau du groupe, avec des équipes qui me reportent à Tunis, Dubai et Johannesburg. Dans le cadre de cette activité, nous investissons généralement dans des entreprises privées, aux côtés des actionnaires fondateurs, avec comme vecteur principal de création de valeur la croissance de l’entreprise. Il faut noter que nous ne faisons généralement pas de redressement d’entreprises en difficultés; ceci est un métier différent qui ne fait pas partie de nos activités. Notre métier est d’entrer dans le capital d’une entreprise en bonne santé et qui a besoin soit d’élargir son activité à d’autres marchés, soit d’améliorer son management, ou qui veut diversifier ses produits. Nous apportons à ces entreprises entre autres une connaissance d’autres marchés et un savoir-faire en terme de gouvernance et de réflexion stratégique. Nous n’avons pas de spécificité sectorielle; d’ailleurs, jusque-là, nous avons investi plus d’un milliard de dollars dans presque tous les secteurs sauf l’immobilier et le tourisme. Il y a des gens qui achètent, d’autres qui redressent et d’autres qui investissent. Nous faisons partie de la troisième catégorie.
Vous existez depuis près de 30 ans sur le marché international, le bureau de Tunis est actif depuis 2003, pourtant vous n’avez pas investi sur le marché tunisien. Et aujourd’hui vous voulez vous lancer sur le marché tunisien, pourquoi pas avant ?
M Lazaar, bien qu’il soit basé à Genève, avait décidé à l’époque d’ouvrir un bureau à Tunis, pour en faire une base qui rayonnerait sur l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, le bureau de Tunis compte près de 30 employés et fait partie des 2 bureaux de Swicorp les plus importants en termes de taille.Cette expansion est due principalement au fait que nous arrivons à attirer des compétences tunisiennes de grande qualité, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Ceci étant dit, notre activité sur le marché tunisien reste limitée, sachant que sur plus d’un milliard de dollars US investis par Swicorp depuis 2004, le montant investi en Tunisie reste très limité. Ceci est dû au fait que le marché tunisien est petit par rapport à d’autres marchés dans lesquels Swicorp est active, et que la contrainte de taille minimum de transaction limite le spectre d’opportunités potentielles. Par ailleurs, jusqu’en 2011, le marché tunisien présentait un intérêt faible pour nous étant donné que les valorisations étaient élevées, qu’il y avait beaucoup d’interférence lorsqu’il s’agissait de transactions de taille, et que la participation pro-active des banques tunisiennes dans le financement des entreprises laissait peu de place pour les investisseurs en fonds propres. Depuis 2011, la situation du marché tunisien a changé sur plusieurs niveaux, avec un climat d’affaires somme tout plus sain, et le repli des banques tunisiennes qui permet aux pourvoyeurs de fonds propres tels que Swicorp de trouver leur juste place dans le schéma de financement des entreprises.
Donc qu’avez-vous fait depuis 2011 sur le marché tunisien ?
Nous avons commencé à prospecter le marché tunisien et à identifier des opportunités d’investissement dès 2011. A ce stade, notre unique transaction reste l’investissement réalisé dans Sotipapier en mai 2012. Ceci étant dit, nous avons un pipeline de transactions assez fourni et nous projetons de réaliser plusieurs transactions dans les années à venir.
Depuis la Révolution, le nom de Swicorp a été lié à la Caisse de Dépôts et de Consignation. Certains avancent même que vous avez réussi à détenir des marchés par interventionnisme, notamment la gestion de cession de Carthage Cement. Pouvez-vous éclaircir ce lien entre votre groupe et la CDC.
Dans le cas de Carthage Cement, le ministère des Finances a fait un appel d’offres pour la gestion de cession de cette entreprise, un appel d’offres auquel Swicorp a participé. Je rappelle que nous avons une grande expérience dans le secteur, ayant conseillé des cimentiers parmi les plus importants à l’échelle internationale depuis plus de 10 ans. À titre d’exemple, nous avions conseillé un cimentier international dans le cadre de la privatisation de Sotacib. C’est grace à cette expérience et à la qualité de notre offre que Swicorp a gagné cet appel d’offres. Pour ce qui est de notre relation avec la CDC, c’est très simple. Lorsque nous avons décidé d’investir dans le secteur du tourisme via la création de Syaha Capital, un véhicule d’investissement dédié au secteur du tourisme en Tunisie, nous avons proposé à la CDC d’investir à nos côtés, au même titre que d’autres investisseurs institutionnels que nous avons approché. Pourquoi solliciter un investissement de la part de la CDC? tout simplement parce que le tourisme est un secteur qui intéresse peu les investisseurs privés tunisiens, et qu’une participation stratégique de la CDC donne un signal fort de la confiance des investisseurs institutionnels tunisiens dans le potentiel du secteur. Ceci est primordial pour attirer de l’investissement international. Je souhaite ici profiter de votre question pour insister sur le fait que Syaha Capital est une initiative purement privée initiée par Swicorp pour réaliser quelques transactions dans le secteur en Tunisie, qu’elle n’a aucune relation avec les initiatives lancées dans le secteur par les gouvernements successifs depuis 2011.
Pourquoi vouloir investir dans le tourisme ?
En 2011, nous avions commencé à étudier les opportunités d’investissement sur le marché tunisien, notamment dans le secteur du tourisme. Depuis deux ans, nous nous sommes lancés dans l’analyse de la situation du tourisme. La Tunisie bénéficie toujours de son positionnement au cœur de la Méditerranée, avec tous les atouts y afférant. L’histoire est toujours là et la destination Tunisie demeure une destination incontournable en Méditerranée. Notre conviction est donc que les difficultés actuelles ne sont que conjoncturelles et que le secteur garde un potentiel de croissance et de développement intéressant. D’ailleurs, nous avons pris le temps de questionner les opérateurs internationaux sur l’intérêt qu’ils pourraient porter pour le marché tunisien. La réponse a été claire: le marché tunisien serait d’un grand intérêt pour ces opérateurs dans les années à venir, moyennant l’implication d’investisseurs financiers solides, qui peuvent investir dans l’actif et le maintenir dans la durée. Le constat que nous avons fait est que le facteur sous-jacent à la plupart des problèmes actuels (dégradation des actifs, qualité de service insuffisante, dépendance sur les opérateurs, etc.) est le manque de fonds propres dans le secteur en général et les entreprises qui détiennent des actifs hôteliers plus précisément. Notre objectif sera donc de réaliser un nombre restreint d’opérations, d’investir aux côtés de quelques hôteliers partenaires pour rénover/repositionner les produits, de nouer des partenariats pour la gestion avec des opérateurs internationaux de premier ordre, et d’améliorer la gestion et la gouvernance de ces actifs pour en faire des unités pérennes et rentables à moyen et long termes. Nous ne souhaitons ni acheter des actifs (ou dettes) ni restructurer le secteur du tourisme en Tunisie.
Comment allez-vous choisir ces hôtels dans lesquels vous allez investir ?
Selon notre stratégie d’investissement, nous nous intéressons aux zones ou la saisonnalité est moins aiguë. Un hôtel qui ne fonctionne à plein régime que 4 mois par an peut difficilement être rentabilisé de manière pérenne. Nos premiers investissements seront donc le plus probablement à Tunis, Sousse et Djerba. En termes de catégorie d’hôtels, nous ciblons en priorité le haut de gamme (4 étoiles et plus). Enfin, en matière de gestion, nous prévoyons de nous appuyer de manière quasi-exclusive sur des partenariats avec quelques-uns des opérateurs internationaux de premier ordre parmi ceux avec qui nous discutons. J’insiste ici que notre stratégie ne comporte ni le rachat d’actifs ni celui de la dette, mais se focalisera sur l’investissement aux côtés de partenaires hôteliers. D’ailleurs, nous allons lancer un nouveau projet la semaine prochaine, un projet que nous pensons représentatif des investissements que nous souhaitons réaliser dans le secteur. Il s’agit de la réouverture d’une unité hôtelière fermée depuis plusieurs années,le Nova Park à Gammarth. Le redéveloppement du site mobilisera un investissement de plus de 100 millions de dinars, permettra de créer plus de 300 emplois permanents, et contribuera au rehaussement du produite hôtelier tunisien puisque l’hôtel sera géré par Six Senses, un opérateur international de grande renommée dans l’hôtellerie de luxe.
Allez-vous vous lancer dans la conversion de certains hôtels ?
Je pense personnellement que sur les plus de 800 hôtels en Tunisie, un minimum de 200 devront être convertis à un moment ou un autre, pour réduire un peu la capacité et parce que ces hôtels se trouvent souvent sur des sites qui ne sont plus appropriés pour une activité hôtelière pure. Pour réussir cette reconversion partielle du secteur, il faudrait un mécanisme transparent et clair pour gérer au mieux cette mesure.
Quel est votre positionnement par rapport au projet de loi sur la création de la société de gestion d’actifs (AMC) et allez-vous investir dans ce sens ? Pourquoi êtes-vous dans le collimateur de certains qui pensent que vous êtes là pour spolier les hôteliers ?
Pour être clair, Swicorp n’a jamais été associée de près ou de loin à l’AMC, un projet qui vise la restructuration financière de tout le secteur hôtelier et d’une partie du secteur bancaire. À vrai dire, je ne connais même pas le contenu du projet de loi. Comme je l’ai mentionné précédemment, Swicorp s’intéresse tout simplement à investir dans quelques opportunités et ne cherche en aucun cas de restructurer le secteur. Les calomnies sorties récemment dans les médias sont décourageants et rendent très difficile la mission d’attirer de l’investissement privé dans le secteur. Par rapport à l’AMC, c’est un projet complexe autant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Ceci étant dit, moyennant une structure adaptée et une communication appropriée avec tous les intervenants dans le secteur, le plus grand bénéficiaire d’une AMC devraient être les hôteliers.
Qui est Nabil Triki ?
Nabil Triki est Managing Director à Swicorp et dirige l’activité de capital investissement pour le Groupe depuis 2003. M Triki a piloté la réalisation de plus de vingt transactions à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, totalisant plus de 1 milliard de dollars US. Avant Swicorp, M Triki a évolué au sein du groupe industriel Honeywell aux États-Unis d’Amérique, puis au sein du prestigieux cabinet de conseil en stratégie The Boston Consulting Group à Paris. M. Triki détient un Master of science du Massachusetts Institute of Technology et un MBA de University of Chicago.