“Nawras Bacha” de Hadjer Kouidri

 

La littérature est-elle une copie de la vie ou une réécriture de la vie ? Cette interrogation  centrale de notre rapport à l’écrit est le ressort principal du roman de Hadjer Kouidri. La vie ici se concentre dans son essence, ces fragments de réel que l’on tente très souvent de retenir quand les années passent. Nawras Bacha est une divine surprise, elle sacralise sans emphases ces petits éléments de notre histoire qui s’imbriquent et s’impliquent dans la grande Histoire.

Ces parcelles du quotidien transcende l’écriture de l’auteure dans une histoire d’apparence banale. Tout commence en Algérie  vers la fin du XVIIIe siècle, plus précisément dans un village portant le nom d’Aziez. Nous sommes donc dans une période deycale, celle de Mustapha Pacha, époque de régence qui ne souffre dans le roman d’aucune lourdeur folklorique ou historiographique.

Ce qui intéresse la romancière est le destin d’un personnage emblématique, la position de l’une, femme dans la société arabo-musulmane : Daouia. Cette jeune bergère, rêveuse se retrouve ainsi mariée au Bachagha Hamdane, un des hommes les plus puissants du pays, comme seconde épouse. Nous pouvions craindre, à juste titre, le romanesque : il n’en sera rien. Ce premier mariage a pour résultat la naissance d’un garçon: Brahim. La première partie du roman reprend une des constantes du schéma de la polygamie : les coups bas infligés par la première épouse à la nouvelle. La mort du Bachagha Hamdane l’oblige à quitter le foyer pour son village auprès de sa mère. Courtisée, désirée, aimée, elle se mariera deux fois, puis lasse de ses échecs maritaux à répétition, elle quitte son village pour la Casbah d’Alger. C’est là qu’elle rencontre «Bach-Kateb» trésorier du dey qui, dans le roman, présente la particularité d’être toujours nommé par son titre.

Cet homme sera l’homme de sa vie, celui qui lui fera oublier les souffrances, qui la soutiendra, qui lui donnera la force de faire face, et ils sont nombreux, à ceux qui veulent la détruire et jalousent son ascension sociale.

Tout au long des ces pages, l’auteure trace le parcours d’une vie, semblable à mille autres jalonnées par le malheur, la douleur, les intrigues et puis le bonheur, celui qui permet d’effacer d’un coup d’éponge temporaire les vicissitudes de la vie.

Hadjer Kouidri trace un portait moderne et concret de la femme dans les pays arabo-musulmans, car il est là le paradoxe : la femme présentée comme effacée dans l’inconscient occidental joue très souvent le rôle du VRAI chef de famille dans l’intimité, à l’abri des regards.

Il est ainsi logique de voir Daouia, malgré toutes les épreuves subies, continuer à croire en l’avenir, à se battre jusqu’au bout pour collecter des bribes de bonheur d’un avenir radieux. Son cœur semble être ainsi la clef de voûte de son combat. Alger, de par ses odeurs, ses paysages, son goût, ses bruits et ses murs, devient une cité sensorielle et sensuelle, ville tourmentée que l’on aime tout en la détestant.

Daouia est une féministe sans les oripeaux prétentieux de l’engagement, elle veut être libre, libre de vivre, libre d’aimer, libre de sentir et surtout libre de son corps. NAWRAS BACHA est un beau roman sur la femme arabe, sans volonté d’édifier le lecteur oriental, loin de complaire le lecteur occidental. Loin de la provocation, loin du folklore, ce qui mérite toute votre attention.

Farouk Bahri

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