Depuis quelques années, j’ai fait le choix, volontaire, de m’exprimer dans les colonnes de la revue « Réalités » que je dirige avec une certaine parcimonie ; la dernière fois que je l’ai fait c’était au lendemain du 25 juillet 2021 pour exprimer sans fard ni détour mon approbation de l’initiative du Président Saïed : l’état de pourrissement de notre vie politique et les risques qu’il faisait peser sur la pérennité de l’Etat exigeaient une réaction draconienne.
A mon âge je ne crois plus aux miracles mais j’ai le droit d’espérer le mieux pour mon pays ; j’ai également le droit d’avoir un soutien critique et de ne pas livrer un chèque en blanc à celui qui gouverne.
Soutenir le Président, croire en sa bonne volonté ne signifient pas que nous devons nous extasier à la moindre de ses paroles et nous aplatir devant toutes ses décisions.
Il est de notre droit, tout particulièrement, d’être vigilants chaque fois que les droits individuels ou collectifs sont remis en question. L’état d’urgence et la conjoncture d’exception ont bon dos mais ne peuvent justifier que des droits tel que celui de la liberté de circulation soient suspendus ou restreints.
Il est de notoriété publique que depuis le 25 juillet dernier, les hommes d’affaires font l’objet de tracasseries à chaque sortie du territoire qui prennent la forme d’un contrôle auprès d’un service dont on ne sait pas grand-chose.
Après plusieurs heures parfois, la sentence tombe : soit la possibilité enfin de prendre son avion soit le retour à la case maison.
Sur quelle base, selon quels critères ce tri sélectif est-il fait ? Traiter de manière aussi humiliante une catégorie socioprofessionnelle qui fait tourner l’économie du pays est insensé et, ce qui est plus grave, parfaitement illégale et arbitraire.
A-t-on une idée des dégâts que peuvent causer ces pratiques d’un autre temps sur le moral et la motivation de ceux qui assurent le gagne-pain d’une grande partie de ce peuple qu’on encense à tout bout de champs.
Toute interdiction de sortie du territoire qui n’est pas fondée sur une décision de justice a un caractère abusif et contrevient non seulement aux articles 21 et 24 de la Constitution qui jusqu’à preuve du contraire n’est ni suspendue ni congelée. Plus grave, l’atteinte à la liberté de circulation des hommes d’affaires et de manière générale de tout citoyen viole l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Durant des décennies, et en particulier sous Ben Ali, la Tunisie a été régulièrement rabrouée pour la violation des droits de l’homme. Est-il de notre intérêt de renouer avec une période aussi sombre pour notre image internationale ?
Il existe des moyens légaux de moraliser la vie des affaires sans qu’il ne soit nécessaire de recourir au fichage de toute une corporation et son assujettissement à des procédures humiliantes.
Nous sommes prêts à soutenir tous les efforts sincères de lutte contre la corruption pour peu que les libertés individuelles ne soient pas bafouées.
La réussite d’une réforme politique passe par le respect des règles de l’Etat de droit et la griserie, souvent passagère, procurée par une large adhésion populaire ne doit pas faire perdre de vue les principes cardinaux de toute vie démocratique.