Neji Jalloul et l’effet sondages

 

Le ministre de l’éducation nationale, depuis qu’il était membre du gouvernement Essid, ne cesse de défrayer la chronique avec des déclarations tonitruantes. Il faut reconnaître que sa tâche n’est nullement facile avec deux syndicats sur les épaules qui ne le laissent pas souffler. Il s’agit aussi d’un département qui a pour charge l’avenir de nos enfants  et qui ne finit pas de subir les contrecoups des multiples réformes qu’il a connu, ou plutôt, qu’il a subi depuis l’indépendance à nos jours. Toutes n’ont pas été, il faut le reconnaître, très heureuses. On se rappellera, sans grande nostalgie la réforme de feu Mohamed Mzali  et qui, voulant barrer la route aux courants dits de gauche et autres marxistes, a imposé l’arabisation du système éducatif notamment les matières scientifiques. Depuis le niveau de notre enseignement, de nos élèves et étudiants, évolue à reculons. Le constat en  a été fait par Néji Jalloul lui-même. «Les compétences acquises par les élèves tunisiens et les performances du système éducatif en Tunisie sont catastrophiques». (sic). Ce qui lui fait annoncer la nécessaire réforme du système éducatif national. Le ministre s’était fixé comme objectif, à travers les réformes à engager, de « redonner à ce système  tout son lustre afin d’améliorer le niveau des élèves et d’assurer une meilleure crédibilité des diplômes nationaux ». (Re-sic).

Les langues comme outil d’ouverture
Il faut rappeler qu’une tentative de remise à niveau du système éducatif a été entreprise par feu Mohamed Charfi mais elle n’aboutira pas sous l’effet des coups de boutoir de courants régressistes.
Pour combattre ces courants, le renforcement des langues étrangères a été l’outil nécessaire pour s’ouvrir sur la culture universelle et renforcer l’échange interculturel. Le français a été, en ce sens, d’un apport certain aux côtés d’une deuxième langue vivante qu’était l’anglais. Et pour les générations qui ont connu l’école des années 60, 70 et début des années 80, ils savent que la langue de Shakespeare ne se sentait pas si mal que ça d’être deuxième de la classe.
Bourguiba, prenant conscience de l’importance de cette langue dans le développement des capacités des élites tunisiennes avait créé un le lycée pilote à l’Ariana au sein duquel l’enseignement était prodigué entièrement en anglais sans, toutefois dévaloriser la langue de Voltaire.
Alors pourquoi notre ministre de l’éducation s’est-il emmêlé les pattes pour annoncer que son département œuvre actuellement à rendre l’anglais, la deuxième langue d’enseignement en Tunisie après l’arabe.

Le français, naturellement
Pour mémoire, le nombre de locuteurs de français dans notre pays, dépasse les 7 millions sur une population de 11 millions, la Tunisie est membre de l’OIF depuis 1970 et pour ceux qui ne le savent pas notre ministre de l’éducation, Néji Jalloul, lui-même, a acquis ses diplômes supérieurs en France.
Alors que s’est-il passé dans la tête du locataire du département de l’éducation ?  Serait-ce l’effet des sondages assez flatteurs à son égard qui le font s’égarer au point de ne plus saisir l’importance de ses déclarations et l’impact qu’elles peuvent avoir sur les relations de la Tunisie avec ses amis traditionnels ? A-t-il oublié que le français est, naturellement, la deuxième langue dans notre pays et que toutes les tentatives, notamment celles des courants les plus rétrogrades et même ceux réfractaires à la culture française et à l’esprit cartésien préconisant le doute comme philosophie, et la remise en question comme chemin à la vérité ont essuyé des échecs?
S’agissant de Néji Jalloul, il ne peut être question d’un simple dérapage politique d’autant que cela intervient à quelques jours de la première visite officielle du chef du gouvernement d’union nationale en France. Une visite qui précède un événement majeur pour la Tunisie : la conférence internationale sur l’investissement, « Tunisie 2020 ». N’a-t-on pas, du côté de Bab Benat, saisi l’importance de cette visite ? Neji Jalloul sait-il que la France a toujours été, et continue, notre premier partenaire économique et technologique et que des milliers de nos étudiants poursuivent  leurs études dans les universités françaises sans oublier notre colonie y résidant.
Pourvu que les français ne soient pas aussi susceptibles que nos amis saoudiens et qu’ils n’interprètent pas cela comme un dérapage diplomatique.

Et les fonds??
Jalloul sait, à n’en point douter, que sa déclaration, même si elle trouvé écho favorable auprès de certains, porte en elle l’idée d’un projet difficile à réaliser.  Et pour cause. Le tribut à payer sera très lourd. Au-delà de son impact sur les relations tuniso-françaises, le ministre n’est certainement pas sans savoir que pour mettre en œuvre une telle idée, il faut mobiliser d’importants investissements. Et dans le cas où il déciderait de maintenir sa proposition, on aimerait savoir d’où est-ce qu’il va tirer les fonds nécessaires pour sa mise en œuvre alors même que les comptes de son département sont au rouge car ayant largement dépassé le budget qui lui est alloué. Neji Jalloul n’arrête pas de dire que  97% du budget de son ministère sont consacrés aux salaires des fonctionnaires et que les 3% restant ne permettent pas d’améliorer ou de créer de nouvelles institutions éducatives et sont consacrés à l’entretien des écoles et salles de classes, ainsi qu’à l’acquisition de certains équipements.
Alors comment va-t-il trouver les milliards nécessaires à son entreprise ? Ce ne sera pas certes auprès des hommes d’affaires qui sont venus en aide aux établissements scolaires durant le mois de l’école. La question de faire de l’anglais une deuxième langue après l’arabe n’aura été, en définitive qu’une annonce sans suite confirmant que Neji Jalloul n’est pas prêt de guérir de ses déclarations à sensation provoquant, tantôt les foudres des syndicats et tantôt faisant monter sa cote chez les férus de sondages.
Il n’en demeure pas moins que l’anglais reste une langue importante pour les tunisiens dans un contexte technologique qui ne cesse d’évoluer à grande vitesse.
Concevoir des réformes est le propre de toute société en évolution, mais faut-il pour autant prendre en considération leur impact économique et social et même géostratégique.
Le renforcement de l’enseignement de l’anglais, qui doit rester la deuxième langue vivante comme ça été toujours le cas, est plus que bénéfique. L’ouverture de la Tunisie sur le monde exige plus qu’une langue. Aujourd’hui, l’allemand, le chinois, le russe, l’italien et l’espagnol sont également des langues nécessaires à nos échanges et doivent figurer sur la liste des nouveautés que le ministre doit introduire dans le système en les encourageant et en les renforçant.
Et là ce ne sont nullement les sondages qui en seront le reflet.
Si comme l’a affirmé Neji Jalloul le niveau de notre enseignement est catastrophique, il faut chercher le mal ailleurs et lui trouver des remèdes. Et ce n’est sûrement pas en faisant de l’anglais la deuxième langue après l’arabe que la solution est toute trouvée.

F.B

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