Le Secrétaire général du parti Nidaa Tounes Taieb Baccouche, alors qu’annoncé démissionnaire, réapparait sur la scène politique lors de la réunion du Dialogue national du vendredi 18 juillet 2014 tenue au ministère de la justice. Selon des sources proches de Nidaa Tounes, certains jeunes loups du parti, très ambitieux, souhaitent le départ de Taieb Baccouche en dépit de ce qu’il peut drainer comme nouveaux sympathisants ainsi que de son rôle fédérateur au sein du mouvement. Voulant savoir plus sur les raisons de ces tensions, REALITÉS a mené l’enquête pour connaître la position de Taieb Baccouche au sein de sa famille politique ainsi que les incidences des tensions au sommet de la pyramide sur les structures et la stratégie nationale du mouvement, notamment pour les prochaines élections législatives du 26 octobre 2014.
La position de Taieb Baccouche
Le Secrétaire général de Nidaa Tounes est connu par sa capacité à rassembler plusieurs sensibilités de la mosaïque politique du pays ainsi que de nombreux indépendants et une grande partie de la gauche tunisienne. Taïeb Baccouche, 70 ans, universitaire et syndicaliste, est un homme de convictions aux manières policées. Son parcours a été, entre autres, marqué par son poste en tant que Secrétaire général ainsi qu’idéologue de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), à un moment où le rapport de force était engagé contre la politique de Bourguiba. Ce conflit a conduit notamment aux émeutes du pain entre le 27 décembre 1983 et le 6 janvier 1984. Entre 1981 et 1985, Baccouche est directeur du journal Echaâb (Le Peuple), organe principal et porte-parole de l’UGTT. La fibre socialiste de l’homme demeure de mise aujourd’hui dans l’orientation du parti Nidaa Tounes. En ce sens, Baccouche, malgré son penchant actuel vers une position centriste-libérale, est bien ancré à gauche. Il facilite l’alliance de Nidaa à ce titre avec certains intellectuels et homme de culture de gauche, etc.
Cette position ancrée à gauche ne va pas sans heurts notamment avec les orientations que le président du mouvement souhaite donner au parti, notamment l’orientation libérale et la reconnaissance des Rcdistes.
L’Union pour la Tunisie source de conflits
Taieb Baccouche est clairement pour l’Union pour la Tunisie (UPT). Sa déconvenue était de grande ampleur et, en cela, il s’aligne aux autres composantes de l’UPT, à savoir Al-Massar dirigé par Samir Taïeb, son nouveau secrétaire général, le Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD) conduit par Abderrazak Hammami et le Parti socialiste (PS) de Mohamed Kilani, lors de la décision du conseil de Nida Tounes de faire cavalier seul le 15 juin 2014 pour les prochaines élections législatives.
La formulation de ce qui se prête une séparation était ambiguë, telle qu’elle fut présentée à la lecture du communiqué final du dernier Conseil national de Nidaa Tounes. « Le Conseil appelle à fédérer tous les efforts et les moyens propres au parti afin que la participation aux prochaines élections se fasse sous des listes Nidaa Tounes dans toutes les circonscriptions, des listes qui restent ouvertes à tous ceux qui désirent s’y joindre parmi les forces civiles et politiques démocratiques ». 48 heures plus tard, la réaction des anciens alliés de Nidaa ne laisse plus de doute : la gauche s’estime trahie.
L’idée d’UPT comme «une alliance politique et électorale» est donc loin de séduire BCE et ses partisans. Le porte-parole de Nidaa Tounes, Lazhar Akremi, a « promis » que les listes qui seront présentées par l’UPT seront considérées par son mouvement comme «des listes amies». Or, l’UPT conçu au départ comme un front politique est, depuis peu, une coquille vide après la rupture entre Nidaa et ses partenaires. Autrement dit, que reste-t-il en effet d’un front déjà déserté par ses deux plus grandes composantes que sont Nidaa Tounes et Al Joumhouri d’Ahmed Néjib Chebbi ? Afek Tounes, petit parti néolibéral, en rejoignant les rangs de l’Union, donnera certes un nouveau souffle mais ne saurait colmater les brèches.
A l’intérieur de ce mouvement, Taieb Baccouche ne comprenait pas pourquoi Nidaa Tounès décide d’abandonner ses alliés et de faire cavalier seul aux prochaines élections.
L’idée fondatrice de l’UPT, à laquelle Taieb Baccouche est attaché, est de créer un front démocratique qui soit capable de gagner les élections législatives. L’enjeu qui se profilait derrière la création de ce parti unifié est la possibilité de constituer une famille démocratique, progressiste et laïque qui soit capable de contrebalancer voire de battre le front islamiste représenté majoritairement par Ennahdha.
Dans cette perspective, la position de Taieb Baccouche est donc de ne pas négliger les élections législatives du 26 octobre 2014 et de présenter une alternative sérieuse à Ennahdha en obtenant la majorité des sièges au prochain parlement tunisien. Ainsi, lors du congrès du Parti des travailleurs, qui eut lieu entre le 25 et 27 juin 2014, Mohamed Kilani met l’accent sur le danger d’une autre débâcle électorale.
Entre gauche et droite
L’unité dans la diversité est le crédo de Nidaa Tounes. En d’autres termes, c’est une mosaïque. Le mouvement demeure, notamment après l’attentat du 16 juillet 2014, une alternative sérieuse pour redresser le pays. Jusqu’à présent, et malgré quelques remue-ménages, Nidaa Tounes a montré sa capacité à rassembler en son sein différents courants, des destouriens à l’extrême gauche, en passant par des syndicalistes, des libéraux et même des panarabes en un temps record.
Ce rassemblement ne va pas en revanche sans dissensions, car des crises multiples jalonnent l’itinéraire de ce parti : crise de croissance des effectifs, non définition du « qui fait quoi » ce qui engendre une cacophonie dans la définition des rôles de ses différentes structures.
Selon des sources proches de Nidaa Tounes, l’organisation interne du parti et le mode de gouvernance solitaire de BCE, suscitent des points d’interrogation. La désignation de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, comme responsable des structures est restée en travers de la gorge de certains cadres. L’entrisme des destouriens et des anciens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ex-parti au pouvoir) représente un autre motif de frictions. Pour, Mohsen Mazrouk, la crainte d’une mainmise des « ex-RCDistes » est exagérée : « C’est un mythe, un mauvais procès ! Vous ne trouviez aucun RCDiste, je dis bien aucun RCDiste, parmi les membres du Bureau politique provisoire installé en octobre 2012. Et ceux que l’on appelle les destouriens ne sont pas représentés au niveau des instances dirigeantes du parti, que ce soit au secrétariat général, à la direction exécutive, ou à la présidence des différentes commissions, c’est-à-dire dans la moelle épinière de Nida Tounes. Il ne faut pas verser dans le simplisme en opposant les identités de gauche à celles de droite. Il y a des débats, qui portent sur la stratégie, la vision du futur. Mais ces clivages ne recoupent pas les clivages hérités du passé. Il n’y a pas de guerre de courants, il y a, plus prosaïquement, des conflits de positionnement, comme dans toute organisation. ».
Resserrer les rangs
Nidaa Tounès souhaite resserrer davantage ses rangs en interne en activant de nouveau le projet de l’UPT. À ce titre, mercredi, 16 juillet 2014, s’est tenue de nouveau une réunion au siège du mouvement avec les différents protagonistes de cette Union. Etaient présents à cette rencontre les principaux lieutenants de l’UPT que nous avons mentionnés plus haut avec la présence également de Mohsen Marzouk et de Rafaâ Ben Achour, deux leaders de Nidaa Tounes.
À l’issue de cette réunion, s’est décidé le « projet de plate-forme politique commune » à travers lequel les différents partenaires de Nidaa préservent leur autonomie tout en se présentant sous l’enseigne du Mouvement. Le but est donc une représentation unifiée lors des élections législatives à fin de contrer le front islamiste. Cette stratégie vise donc à faire bénéficier les partenaires du Mouvement de la notoriété de celui-ci particulièrement dans les régions de la Tunisie profonde.
M. A. E.