Le mouvement Nidaa Tounes a offert l’espoir dès sa naissance de rassembler les démocrates et les progressistes tunisiens. Aujourd’hui, les rumeurs se multiplient pour nous dire que sa cohésion est menacée. Ayant fait office de contrepoids majeur lors des crises précédentes, il a été longtemps perçu comme concurrent sérieux à la Troïka et à Ennahdha en particulier lors des prochaines élections. L’est-il toujours ? Ses crises internes, réelles ou supposées, ne fragilisent-elles pas ses chances et donc celles de toutes les forces démocrates ? Y a-t-il réellement péril en la demeure Nidâa tounes ou s’agit-il d’une campagne de déstabilisation visant à fragiliser la principale alternative à Ennahdha ?
Fondé le 20 avril 2012, Nidaa Tounes, conçu pour être un mouvement plutôt qu’un parti, se voulait rassembleur des forces d’opposition démocratique en Tunisie. Plus d’un an après les élections du 23 octobre 2011 et la victoire du parti islamiste accédant alors au pouvoir, l’opposition tunisienne était fragile et éparpillée, ne faisant pas vraiment le poids face à la Troïka au pouvoir et ne pouvant redresser la barre d’un pays qui allait à sa faillite.
Plusieurs éléments ont fait que Nidaa Tounes a été perçu lors de sa création comme la seule puissance pouvant être un contrepoids sur la scène politique. Le gouvernement en place était inexpérimenté et ses membres n’avaient jamais occupé de postes ministériels. C’est s’ils étaient choisis en fonction du nombre d’années passées en prison et pour leur militantisme.
Le fondateur de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, leader charismatique, jouit d’un riche cursus politique et institutionnel. Il a aussi été Premier ministre entre le 27 février et le 24 décembre 2011, donc lors d’une période de grande instabilité et même ses détracteurs lui reconnaissent d’avoir conduit les premières élections démocrtaiques de l’Histoire du pays à bon port. Face au gouvernement en place et à l’incertitude politique, Béji Caïd Essebsi a en quelque sorte rassuré les Tunisiens. Son message voulant rassembler l’opposition en des temps d’éparpillement a aussi joué en sa faveur auprès de l’opinion publique. Son mouvement, porteur d’un discours progressiste et patriotique, est né dans une période où les Tunisiens avaient peur du projet sociétal d’Ennahdha et accusait ce dernier de servir les intérêts du Qatar et de la Turquie. Cela a aussi renforcé le positionnement de Nidaa Tounes et son image de bouée de sauvetage de la Tunisie.
Le mouvement est vite devenu une force créant l’équilibre sur la scène politique. Son rôle au sein du Front du salut national et l’Union pour la Tunisie lors des crises ayant bouleversé le pays, à commencer par l’assassinat de Chokri Belaïd, a créé la force nécessaire pour faire pression sur le gouvernement islamiste. Suite à la démission de la Troïka, les Tunisiens espéraient voir cette alliance politique devenir un front électoral. Ce ne fut pas le cas. L’opposition s’est à nouveau divisée. Néanmoins, les Tunisiens ont gardé foi et espoir en Nidaa Tounes qui compte déjà une base électorale assez importante lui permettant de créer un changement probable lors des prochaines échéances.
Tiraillements
Se présentant comme mouvement rassembleur, les dissidences au sein de Nidaa Tounes sont dramatiquement perçues alors qu’elles peuvent être relativisées comme dans toute vie partisane.
Gauche syndicaliste, gauche panarabe, destouriens, anciens Rcdistes… une cohésion parait difficile à réaliser entre tous ces courants. On y ajoute aussi les deux forces au sein du parti, les hommes d’affaires, constituant l’apport financier et les politiques, faisant la notoriété du parti, tous deux revendiquent la légitimité pour occuper les premières places.
Des tiraillements s’expriment durant le mois d’août dernier avec la candidature d’Hafedh Caïd Essebsi en tête de liste de Tunis 1. Mais les protestations avaient commencé auparavant contre d’autres noms comme celui de Khemais Ksila, tête de liste à Nabeul 2, Khaled Chouket, en France et Salem Hamdi à Sidi Bouzid.
Au vu de la tempête qui a eu lieu, Hafedh Caïd Essebsi s’est retiré de la liste pour mettre fin à une polémique unutile. Mais à peine l’affaire classée qu’Omar Shabou, l’un des dirigeants de Nidaa Tounes, adressait une lettre ouverte à Béji Caïd Essebsi où il alterne entre les accusations de potentielles alliances avec Ennahdha et les suppliques pour qu’il ne se présente pas aux élections présidentielles contrairement à une précédente lettre où il montrait le bien fondé de la candidature de Béji Caïd Essebsi.
Au-delà des dissidences et des calomnies, il n’empêche que Nidaa Tounes conserve une bonne place dans les sondages et a aussi en main des cartes pouvant lui permettre d’accéder au pouvoir, législatif et présidentiel. C’est peut-être là la cause de tant de rumeurs se rapportant à des démissions et à des différends afin d’amplifier la crise par rapport à ce qui se passe réellement.
La dernière rumeur lancée était celle de la rupture entre le Secrétaire général de Nidaa Tounes, Taïeb Baccouche et son parti, mais également qu’il s’était décidé à se présenter sur une liste de l’UPT. Le membre fondateur de Nidaa Tounes, Boujemaa Remili, a en effet parlé d’exagération et de rumeurs, sans émettre d’accusations quant à leurs initiateurs. Il a aussi démenti l’existence de crise au sein du parti et a souligné «tous les comités sont en place et travaillent en coordination, il y a quelques divergences, mais toutes les listes ont été acceptées. Nidaa Tounes a confirmé ses engagements et il leur est fidèle. Il a toujours bien agi au sein de l’opposition. Quant aux listes, les gens se retrouvent à établir les alliances après les élections pas avant et on collabore avec l’UPT dans toute la logistique nécessaire. Nidaa Tounes est un parti-espoir pour les Tunisiens et il sera à la hauteur de cet espoir». Boujemaa Remili n’est pas le seul dirigeant au sein de Nidaa Tounes à dénoncer des rumeurs visant le parti.
La loi électorale en cause
Entre rumeurs et démissions, Nidaa Tounes, jusqu’ici placé en tête des sondages, risque de payer le prix fort lors des résultats des législatives. Tout en gardant toutes ses chances, ce qui s’y passe ne sera pas sans conséquences. Fethia Saidi évoque le poids de l’UPT comme alliance politique : «ce ne sont pas les démissions ou autres au sein de Nidaa Tounes qui font vraiment le poids. La conséquence la plus importante est surtout celle ayant trait au grand nombre de listes présentées. Cela ne servira que l’intérêt d’Ennahdha qui a insisté pour adopter la loi électorale qui lui est avantageuse. Rappelons que cette loi n’a pas été le fruit d’un consensus, mais qu’elle a été plutôt imposée par la majorité. Cette loi ouvre justement grande la porte à la multiplicité des candidatures, ce qui conduit forcément à l’éparpillement des voix ».
Perçu comme une œuvre commune par l’ensemble des forces démocrates et par une bonne part des Tunisiens, Nidaa Tounes se doit de colmater ses brèches et s’efforcer d’avancer uni pour affronter échéances électorales à venir. Il y va de son avenir, comme celui du pays.
Hajer Ajroudi