Demain 3 mai, on célébrera avec l’ensemble des pays du monde, la Journée mondiale de la liberté de la presse. Une journée consacrée habituellement à l’évaluation annuelle du degré de respect de cette liberté et à celle de la situation sociale et professionnelle des journalistes.
Ce 3 mai 2020 sera différent en Tunisie. Il aura un goût particulier, amer, pas seulement en raison du contexte pandémique dans lequel il survient, mais aussi et surtout à cause du sentiment d’abandon éprouvé par tous les journalistes de la presse papier. Les journaux ont disparu -a priori momentanément- de la scène médiatique. Confinement sanitaire oblige. Peut-on dès lors parler de liberté de la presse en l’absence d’une presse? L’incidence néfaste de cette situation sur les entreprises de presse, déjà à l’agonie, n’est pas à démontrer. Et à l’évidence, si le confinement dure dans le temps, ces entreprises vont voir leurs difficultés économiques et financières s’accentuer, et le comble (!) dans l’indifférence totale et le mépris des gouvernants. Ceux-là mêmes qui avaient promis de venir en aide à toutes les entreprises économiques pour leur permettre de rester en vie et, surtout, de sauver les emplois qu’elles assurent.
Il semble que pour le gouvernement actuel, du moins pour certains de ses membres, les entreprises de presse ne font pas partie du lot. Sinon, comment justifier leur exclusion et celle des journalistes de la batterie de mesures annoncées par Elyes Fakhfakh? Le Chef du gouvernement et son équipe auraient-ils décidé de laisser faire la nature, une sorte de sélection naturelle à laquelle ne survivraient que les mieux nantis ? Apparemment, oui. Les résultats de cette stratégie ont été rapides. La presse papier en a été la première victime, ainsi que les centaines de journalistes et employés qui y travaillent, sans compter tous ceux qui ont été «libérés» à cause de la crise qui a frappé les entreprises.
Cette stratégie d’extermination de la presse papier ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2012, le gouvernement de la Troïka a tenté de l’étouffer en décidant d’annuler tous les abonnements des institutions et entreprises publiques. L’attitude adoptée par l’actuel gouvernement ne lui est donc pas spécifique, c’est une constante de la politique gouvernementale envers la presse écrite papier. Ce qui explique, d’ailleurs, que pas la moindre attention n’a été accordée depuis le 14 janvier 2011 aux difficultés qu’endure le secteur de l’information, la presse écrite en particulier.
C’est à croire que le seul acquis de la Révolution, qu’est la liberté d’expression, est en passe d’être étouffé, du moins en partie, en tuant la presse papier. Et ce serait un grave précédent. Sinon, comment expliquer que cet outil d’enracinement de la démocratie est en voie d’extinction dans une indifférence quasi-totale des pouvoirs publics, une sorte de déni qui nécessiterait un examen de conscience pour non-assistance à secteur en péril. Il est certain aujourd’hui que la presse écrite imprimée connaît sa plus grande crise depuis sa naissance en Tunisie, en raison de l’absence de politique publique en matière de soutien et de subventions des médias.
La question qui se pose est: pourquoi la presse écrite tunisienne en est-elle arrivée là ? La réponse se perd dans les rouages d’un Etat qui ne respecte pas ses engagements envers tout un secteur.
Les atermoiements des gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 dans la concrétisation des engagements pris envers les professionnels du secteur en sont la cause. Aucun des accords conclus avec les représentants de la profession n’a été mis en œuvre.
Le gouvernement Chahed en sait quelque chose.
Elyes Fakhfakh, quant à lui, doit prendre conscience dès à présent, avant qu’il ne soit trop tard, que certaines parties de son entourage ne lui veulent pas du bien et tentent de l’utiliser pour asséner le coup de grâce à la liberté de presse parce qu’ils ont des tas de choses à cacher. Il doit prendre conscience que si elles réussissent à accomplir leur dessein, il sera leur prochaine cible.
Le combat de la presse, celle qui respecte l’éthique et la déontologie de la profession, a été et continue de ne pas se soumettre à ces lobbies politico-financiers, de n’être à la solde ni d’un gouvernement, ni d’un parti politique, pour éviter tout conflit d’intérêt ou atteinte à la liberté de s’exprimer en toute objectivité et de s’acquitter de sa noble mission: informer juste ses lecteurs. Pour ce faire, il importe d’adopter une politique publique pour le secteur où l’Etat intervient et apporte son soutien selon des critères précis et transparents par lesquels il s’engage à créer l’environnement législatif et matériel pour la pérennité des médias, loin de toute pression de quelque nature que ce soit et quelle que soit son origine.
En attendant, ce 3 mai 2020, journée mondiale de la liberté de la presse, sera l’occasion de faire le deuil des nombreux titres de journaux disparus et des centaines d’emplois de journalistes perdus.
Ce ne sera pas le fait du seul Coronavirus, mais aussi et surtout de l’absence de cette volonté politique de respecter les engagements pris vers une branche du 4e pouvoir, celle dont les écrits sont indélébiles et plus profonds. Le combat continue.
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