Samira Rekik
Cette année l’actualité a été riche en événements malheureux concernant les enfants : de jeunes garçons sont violés sur le chemin de l’école, de petites filles se suicident chez elles par pendaison, de très jeunes enfants décèdent par des maladies d’un autre siècle, et la liste est encore bien longue. Ne cherchez plus, nous sommes en plein dans la définition de la maltraitance et la négligence sur enfants. Nos enfants sont-ils en danger ?
Selon l’OMS « la maltraitance sur mineur (ou maltraitance à enfant) désigne de mauvais traitements envers toute personne de moins de 18 ans « entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité ». Elle inclut dans ces mauvais traitements toute violence ou négligence, physique ou affective, notamment les sévices sexuels et l’exploitation commerciale. Nous verrons que les enfants tunisiens ne sont pas épargnés par toutes ces formes de maltraitance.
Décalage entre les textes
La Tunisie a promulgué en 1995 un Code de protection de l’enfant, mais il existe un décalage entre les textes juridiques et leur mise en œuvre dans la pratique, épinglé par les différents rapports de l’UNICEF sur l’analyse de la situation des enfants en Tunisie. (Rapport 2012 et bulletin 2013).
Ces documents nous donnent les précieux chiffres tant attendus et nous éclairent sur le vécu de nos enfants et les dangers auxquels ils sont exposés chaque jour.
Violence au sein de la famille
Concernant la violence intrafamiliale, les résultats de l’enquête MICS3 montrent que 94% des enfants de 2 à 14 ans subissent différentes formes de violence verbale, physique, psychique, etc. Près des trois quarts (73%) sont frappés, 26% insultés, 30% privés d’un droit et cela sans différence significative entre les milieux ni entre les régions.
Cette enquête, réalisée juste avant la Révolution, avait fait scandale et le gouvernement de l’époque a demandé de ne pas la publier.
L’enquête MICS4, sortie après 2011, met en évidence la problématique des violences aux enfants, avec un usage généralisé de toutes formes de violences par près de 93% des personnes interrogées et de la violence physique pour un tiers des enfants de 2-14 ans (31,9%), avec une plus forte prévalence pour les garçons (35%) que pour les filles (28%). L’analyse montre que la principale barrière réside au niveau des normes sociales: l’usage de la violence est perçue généralement comme une méthode éducative acceptée socialement, souvent utilisée par manque d’appréhension d’alternatives disciplinaires. L’usage de la violence a été également révélé dans les structures de protection de l’enfance, et l’action actuelle a contribué à faire un meilleur suivi du respect de la non violence dans ces structures.
3,3% de violence sexuelle
Selon l’enquête sur la santé des adolescents scolarisés réalisée par la DMSU en 2005, un adolescent sur quatre déclare avoir été victime de violence et 17% déclarent en avoir eux-mêmes exercé. Les garçons seraient plus que les filles victimes de violence: 39,4% contre 13,1% et auraient exercé plus de violence : 27,5% contre 7,3%.
Selon l’enquête MICS3, sur la violence en milieu scolaire, 58,2% des élèves déclarent avoir été victimes de violence sous toutes ses formes, 3,3% déclarent avoir été victimes de violence sexuelle et 11,5% se sont plaints de négligence parentale qu’ils ont considérée comme une forme de violence. Selon la même enquête, les élèves les plus à même d’exercer la violence auraient les caractéristiques suivantes : ils sont plutôt de sexe masculin, âgés de 15 à 18 ans, connaissent des difficultés scolaires allant jusqu’au redoublement et sont issus de familles à revenus modestes.
Une forme de négligence
Entre 2011 et 2014, la réalisation d’études sur l’abandon scolaire ont permis une reconnaissance claire d’un accroissement récent du nombre d’enfants abandonnant l’école avant la fin de la période obligatoire et une plus grande mobilisation des intervenants pour agir sur ce phénomène. Il y a une augmentation du nombre d’enfants ayant abandonné l’école au cours de l’année scolaire 2012- 2013, selon le ministère de l’Education, où l’on a enregistré une proportion de 3,1% d’enfants du niveau primaire (contre 3,0% l’année précédente) et 11,1% des élèves du collège (contre 9,8% l’année précédente).
Cet abandon concerne, surtout pour le collège, davantage les garçons que les filles, qui sont respectivement près de 16% et 9% à quitter le collège avant l’âge d’obligation scolaire de 16 ans.
Des vagabonds pour la Tunisie
Selon l’UNICEF, l’enfant de la rue est un enfant pour qui la rue est devenue une considération majeure en l’absence de protection familiale et communautaire. Dans ce cas, la rue est pour l’enfant, soit son domicile permanent et certains parlent alors d’enfant de rue, soit un refuge dans lequel il passe ses journées, mais rentre le soir chez les siens (famille, parents…) et l’on parle d’enfant dans la rue.
En Tunisie, le CPE (code de protection de l’enfance) n’évoque pas l’enfant de la rue, mais seulement la situation de vagabondage (article 22). Le rapport national sur l’enfance comporte quelques données sur le vagabondage et la négligence.
Une étude sur les caractéristiques psychologiques et sociales des enfants dans la rue. Cette étude a porté sur un échantillon de 587 enfants de la rue âgés de 5 à 18 ans. Plus de 86% sont de sexe masculin. Cette prédominance masculine pourrait être expliquée par la possibilité plus grande chez le garçon mal traité à fuir le domicile familial que chez la fille.
Ces enfants vivent surtout dans les grandes villes. Ils s’adonnent à des activités de vagabondage, de mendicité, de vente de petits articles ou encore au vol, à des pratiques d’addiction et à d’autres comportements délinquants. En outre, près de 71% de ces enfants sont en échec scolaire et plus de 60% se plaignent de la promiscuité chez eux.
1er rapport sexuel payant à 15 ans
Il n’y a pas de véritables chiffres à ce propos, mais le rapport de l’UNICEF fait état de prise en charge de 100 enfants victimes d’exploitation sexuelle en 2008 et 127 en 2007. Les juges de la famille ont pris en charge 8 enfants dont 7 filles en 2008 ainsi qu’en 2007. D’autre part, selon une étude comportementale réalisée auprès de 462 travailleuses du sexe clandestines en 2009, trois ont subi le premier rapport sexuel avant l’âge de 10 ans soit 0,6%, 34 entre 10 et 14 ans (7,4%) et 228 entre 15 et 19 ans (49,4%). Plus de 30% ont eu le premier rapport sexuel payant entre 10 et 19 ans.
Travailler : un danger pour l’enfant
Pour toutes les personnes qui pensent que si un enfant ne va pas à l’école il serait à l’abri s’il allait travailler : détrompez-vous. Quand on est un enfant, on n’est pas en sécurité au travail. Dans une étude menée auprès de 200 enfants âgés de 9 à 15 ans et exerçant un travail dans le Grand Tunis, en 2008, les résultats montrent que 46,8% de ces enfants travaillaient dans le secteur du commerce, 22,3% dans le secteur des services, 19,1% dans le secteur industriel et 11,7% dans des ateliers. Les résultats ont montré également que 50% des enfants au travail étaient exposés à de grands ou de très grands dangers sur leur santé physique comme les blessures profondes, les contusions, les plaies oculaires graves par projection de produits etc., à des risques psychologiques de délinquance par sentiment d’injustice et de marginalisation, à l’échec scolaire et aux harcèlements sexuels notamment pour les filles. Les causes majeures qui ont amené les enfants à travailler étaient les accidents de la vie dont principalement la perte du chef du ménage et la pauvreté insupportable de la famille.
A quoi s’attendre face à un enfant maltraité, violé, battu etc. ? Des problèmes de comportements jailliront dans les plus brefs délais. Nos psychiatres vous en parlent.
S.R