Nos libertés sont-elles menacées ?

Trois mois après l’entrée en fonction du gouvernement Essid, un certain malaise et un soupçon de tension continuent à ronger  les Tunisiens les poussant, de plus en plus, à un questionnement lancinant. La raison, il faut la chercher dans l’immobilisme qui semble perdurer et l’absence d’indicateurs probants de changement.

Les questions qui polarisent le débat public ces derniers temps éclairent bien sur l’incertitude et le flou ambiants. Qu’il s’agisse de questions inhérentes à la sécurité du pays, aux  libertés, au respect de la Constitution, aux  perspectives de développement et au bouillonnement social, une inquiétude tenace se ressent que  les réponses, qu’on s’évertue à présenter, n’arrivent pas à apaiser.

Les projets de loi relatifs à la protection des unités portant l’arme, à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent et à la création du Conseil supérieur de la magistrature,  soumis actuellement à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP),  tout en suscitant un grand débat et une vive polémique, ont révélé au grand jour l’absence de réactivité de l’ARP, qui semble avoir encore du plomb dans l’aile. N’ayant pas réussi à gérer un  calendrier chargé et à instruire les dossiers les plus urgents, l’Assemblée se trouve engluée dans un cercle vicieux aux graves conséquences. Tout en se trouvant devant une incapacité certaine à rattraper le temps perdu, l’ARP sera vraisemblablement la première à transgresser la nouvelle Constitution. Le Président de l’Assemblée l’avoue, estimant qu’« à  moins de bâcler le travail et  faire n’importe quoi, il est impossible de respecter la date du 26 avril ». L’acrobatie trouvée est, le moins qu’on puisse dire, rocambolesque. Au lieu de mettre la pression sur les députés pour qu’ils sortent de cette première épreuve,  la tête haute, ils ont préféré manœuvrer, privilégiant la voie glissante de l’interprétation de la Constitution.

Lorsqu’on sait que l’article 148, du chapitre des dispositions transitoires, stipule clairement que le Conseil supérieur de la magistrature devrait être mis en place dans un délai maximal de six mois, à compter de la date de la première élection législative, une interprétation pareille de la Constitution ne peut qu’ouvrir de nouveau la boîte de Pandore à des pratiques qu’on croyait révolues.

Dans ce climat délétère, il est tout à fait loisible que resurgissent des craintes sur les libertés en général et sur la liberté d’expression, en particulier et que s’expriment des appréhensions sur la propension du pouvoir exécutif à les hypothéquer. Même si en matière de liberté d’expression et d’indépendance des médias, il s’avère difficile de faire machine arrière et de voir les médias publics notamment,  retomber sous le contrôle du pouvoir, les hésitations dont ont fait preuve l’ARP dans la gestion de son calendrier et le gouvernement dans la définition d’une vision et d’une stratégie claires, ont largement contribué au malaise et au ressentiment qui prévalent aujourd’hui.

Tout en focalisant toute son action sur  les cent premiers jours, le gouvernement Essid s’est trouvé pris dans son propre piège. Au regard des problèmes aigus et des difficultés de plus en plus insoutenables auxquels il est en train de faire face, il lui sera difficile, malgré toute la bonne volonté qu’on  peut lui prêter, de pouvoir satisfaire des demandes sans cesse pressantes, d’engager des actions susceptibles de changer le quotidien des Tunisiens ou de mettre en œuvre des mesures propres à desserrer des contraintes tenaces. La date buttoir des cent jours est certes, un motif utile pour montrer un engagement et une volonté de faire bouger les choses, mais il aurait mieux valu ne promettre que ce qu’on est capable de faire, sans nourrir de faux espoirs et, encore moins, provoquer des déceptions.

L’immobilisme dont on taxe le gouvernement vient justement de la difficulté rencontrée pour trouver des solutions concrètes à des problèmes récurrents, comme la maîtrise des prix, la lutte contre la contrebande, l’amélioration des services rendus par les municipalités, l’identification de solutions pratiques pour permettre à l’entreprise économique de poursuivre son activité dans un environnement serein…

Enfin, les tensions sociales, qui ne font que gagner en amplitude, résultent de l’absence d’un discours clair et franc. Un gouvernement qui tire sa légitimité d’un processus électoral libre et transparent, doit être en mesure de tenir un discours fort, de défendre des choix et de ne pas céder dans la précipitation  à la pression. La multiplication des revendications salariales et des grèves dans le secteur public, au moment où le gouvernement et l’UGTT poursuivent des négociations laborieuses sur l’augmentation des salaires, montre bien qu’entre les partenaires sociaux, la voie du dialogue et de la concertation est en train de perdre ses vertus. Pour émousser ce malaise, sensibiliser les Tunisiens aux grands défis qui se dressent et susciter leur confiance, rien ne vaut que de déballer toute la vérité pour que chacun sache  assumer ses responsabilités.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana