NOSTALGIE : Les mille et une nuits de Ramadan

L'un des fantasmes les plus persistants, les plus constants des anciennes générations tunisoises c’est d’évoquer à coup de nostalgie mielleuse les nuits de Ramadan de Bab Souika, avec ses cafés chantants, ses manèges et sa bonne bouffe…

Ayant partiellement vécu cette période de l’histoire tunisoise, je tiens à rassurer la jeune génération : cette période était particulièrement indigente en culture, en loisirs et plus globalement en activités culturelles… Les « cafichanta » servaient une soupe musicale médiocre, les manèges étaient inconfortables et la bouffe pas très appétissante.

Bien ! Une fois ce mythe détruit, que reste-il à dire à propos de ces soirées si particulières qui tiennent en éveil tout un peuple et qui l’empêchent de travailler correctement le lendemain ? Il y a ceux qui choisissent les prières du soir, les « Trawih » qui aident à digérer en plus de rapprocher les fidèles de leur Créateur.

Une majorité va cependant s’installer inconfortablement dans les cafés bondés, bruyants et pollués à coups de « Chicha » et de cigarettes bon marché, pour jouer d’interminables parties de cartes jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Ce sont en général les chômeurs ou les retraités. Les autres, les vrais voyous, vont se retrouver dans les arrières salles des boutiques pour jouer au « Noufi » et autres jeux où on peut perdre de petites fortunes en une soirée.

Les « gens bien sous tous rapports » vont organiser des sorties familiales aux Berges du Lac ou en banlieue nord. Ils consommeront à des prix prohibitifs des boissons gazéifiées saturées de sucre, du thé aux pignons, des glaces plus ou moins chimiques, des crêpes, des « Bouzas » et autres « Katayefs »… Entre bavardage, bouffe et gestion des enfants turbulents, la soirée sera bien éprouvante et ils vont rentrer fatigués après avoir été délestés de plusieurs dizaines de Dinars…

Les jeunes, eux préfèrent les cafés à la mode à Ennasr, El Menzah ou El Manar. Réunis autour des tables bien garnies, accrochés à leurs portables ou regardant la télé, ils tentent de trouver l’âme sœur qui leur permettra de frimer devant les copains. Mais en général ils rentrent bredouille.

Les couples préfèreront les lumières tamisées de certains salons de thé, avec de la musique douce en fond ou des clips animés. Accrochés aux yeux de leurs compagnes, ils ne voient que le visage aimé et n’entendent que sa douce voix. C’est si beau l’amour, quand on a vingt ans…

Et puis il y a les mélomanes qui préfèrent les soirées du festival de la Médina, initié par Mokhtar Rassaâ et qui a permis aux tunisois de faire de si belles découvertes musicales. La direction actuelle tente de poursuivre l’œuvre de ce directeur visionnaire, en orientant le festival vers plus d’authenticité. Mais c’est surtout pour des raisons budgétaires que les soirées ne comportent plus de spectacles de niveau international… La pauvreté matérielle aboutit souvent à l’indigence culturelle !

Le petit peuple, hommes sans ressources, femmes au foyer et jeunes filles sans petit copain ou fiancé, se retrouvent à la maison, à regarder ces tonnes de feuilletons tunisiens ou orientaux et ces caméras cachées de plus en plus débiles, à vous donner le tournis, à saturer les neurones, à rendre plus bête que bête… Les gosses, eux, se retrouvent dans la rue à allumer des pétards, à courir dans tous les sens et à vous assourdir les oreilles avec leurs cris.

Très courue, la banlieue nord, de La Goulette à la Marsa, en passant par Sidi Bou Saïd, est envahie par une foule bigarrée. Couples, familles, loups solitaires, tout le monde semble attiré par le côté magique de cette zone, malgré des prix prohibitifs, comme l’illustre la campagne actuelle contre ceux pratiqués par le fameux Café des Délices… La banlieue sud, elle, n’est fréquentée que par ses habitants. On est loin du chic des salons de thé et du choc des prix.

Et à propos de prix, nous avons constaté qu’ils passent du simple au double les soirs de Ramadan : cinq Dinars pour un express dont le prix de revient ne dépasse pas deux cent Millimes, deux Dinars la bouteille d’eau plate, achetée à trois cent Millimes… Certains cafés se permettent de doubler leurs prix lorsqu’il y a un spectacle. Et quel spectacle ! Ce sont souvent des pseudos artistes qui crient dans un micro les derniers tubes libanais à la mode et que l’on n’a pas forcément envie d’écouter. C’est ce que l’on appelle de la consommation musicale forcée !

Celle-ci existe bien d’ailleurs : de nombreux cafés vous imposent de consommer un gâteau lorsque vous commandez un café ou un soda. On vous impose aussi une bouteille d’eau minérale, même lorsque vous n’avez pas soif et on vous oblige à la payer cinq à dix fois son prix en supermarché, sinon il faut quitter votre chaise !

Dans la Médina de Tunis, de nombreux espaces, généralement délaissés tout au long de l’année, retrouvent vie et vigueur, mais toujours avec des prix prohibitifs. Plus tard dans la nuit, on constate des attroupements devant certaines pâtisseries qui vendent des croissants chauds. Et là aussi les prix grimpent régulièrement et atteignent des sommets vertigineux dans les quartiers les plus huppés. Pour comparaison, le prix d’un croissant, c’est-à-dire cinquante grammes de pâte, revient plus cher que plusieurs baguettes !

L’un des points culminants du folklore de cette période de l’année, c’est le changement de destinée de certaines boutiques. En effet, les boutiques qui servaient des casse-croutes et autres poulets rôtis, se transforment en échoppes de « Zlabia et M’kharek » ou « Makroudh ». Les plus huppés vont servir à leur nombreuse clientèle des gâteaux spécifiques de ce mois saint : « Bouza », « Qatayef » et  même « Assida de Zgougou ».

Il y a enfin les « errants », des jeunes désœuvrés venus des banlieues populaires de Tunis qui déambulent sans but précis, à la recherche d’un mauvais coup : un larcin dans une grande surface, un portable à arracher, un portefeuille à subtiliser… Ils rappellent ce proverbe tunisien qui dit que « les mouches ne tuent pas, mais elles vous pourrissent la vie » !

 

       Yasser Maârouf

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