Nous aussi, nous sommes indignés

Dix-sept mille enseignants du primaire privés totalement ou partiellement de leurs salaires, 350 directeurs d’école limogés, des centaines d’autres démissions volontaires dans les rangs des directeurs d’établissements scolaires par solidarité avec leurs collègues ! Un séisme dans l’un des secteurs les plus syndiqués du pays, surtout depuis 2011, le second plus important après celui qui a secoué la sphère judiciaire en septembre 2022 avec la suspension de plus d’une cinquantaine de magistrats « récalcitrants ».
Les bras de fer jusqu’au-boutistes qui se sont succédé de manière ininterrompue, d’une année scolaire à l’autre, entre les syndicats et le ministère de l’Éducation, connaissent aujourd’hui avec la Fédération de l’enseignement primaire un « épilogue » douloureux. Il y a bien eu des négociations sociales mais sans succès ; il y a bien eu, également, des avertissements, d’un côté comme de l’autre, une escalade au cas où l’autre partie ne cèderait pas à la pression. Toujours rien. Jusqu’au 6 juillet 2023.
Au terme d’une année mouvementée, le ministère passe à l’acte, il frappe fort, après avoir donné aux enseignants un ultimatum pour remettre toutes les notes à leurs administrations respectives avant d’appliquer la loi sur les récalcitrants. Bien rôdés au militantisme syndical, bien cimentés au niveau de leurs structures, les syndicalistes tiennent tête, comme à toutes les précédentes occasions, dans une tentative d’affaiblissement du ministre de l’Éducation et du gouvernement dans son ensemble. Les élèves du primaire attendent donc leurs bulletins de notes ; pour eux, l’année scolaire n’est pas finie, ni d’ailleurs pour l’administration centrale. Pas pour les maîtres et les maîtresses, leur fédération a décrété, unilatéralement, l’arrivée à terme du cursus pour cette année et a déjà donné rendez-vous au ministre, en septembre prochain, pour la poursuite des mouvements de protestations au cas où il (Mohamed Ali Boughdiri) ne satisferait pas toutes leurs demandes.
Touchés au porte-monnaie, les enseignants sont quant à eux indignés. Nous aussi. Au nom des milliers de familles qui n’ont pas pu faire bouger les choses en faveur de leurs enfants, même en se tournant vers la justice, et au nom des dizaines de milliers d’enfants qui ne pèsent rien sur la balance des revendications et sont pris en otage par un bras de fer, social et politique, dont ils ne tirent aucun bénéfice. Il ne s’agit nullement de mettre en doute les droits sociaux des enseignants, légitimes comme ceux de n’importe quelle autre profession, et qu’ils finiront, tôt ou tard, par obtenir, dès que ce sera possible, mais de dénoncer l’arrogance des syndicalistes et l’intransigeance des enseignants qui poursuivent leur mouvement dans un aveuglement total, sans tenir compte de rien, sauf de leurs revendications, ce qui donne à réfléchir et à s’interroger sur les réelles motivations des meneurs du mouvement que certains soupçonnent de vouloir affaiblir et humilier le ministre, un commis de l’Etat.
Aucun Tunisien qui se respecte et respecte son pays ne tolèrera qu’un groupe de syndicalistes impose ses desiderata à l’Etat et aux Tunisiens, même si leurs revendications sont légitimes. Il y a un temps pour les revendications, mais il y en a aussi pour le dialogue, pour les négociations sérieuses, celles qui permettent de trouver une issue de secours, quand on arrive au pied du mur.
Ces enseignants qui ont été fortement frappés au porte-monnaie, vont-ils être soutenus par les Tunisiens ? Il est permis d’en douter. La colère des parents d’élèves est latente, le calvaire des grèves dans les rangs des enseignants du secondaire et du primaire dure depuis des années. A cause de ces innombrables interruptions des cours, qui ont altéré la vie scolaire de millions d’enfants, les Tunisiens se sont résignés, contre de grands sacrifices pour beaucoup d’entre eux, à fuir l’école publique au profit des établissements privés, plus sérieux.
L’année scolaire n’a donc pas fini de faire parler d’elle et l’été s’annonce très problématique pour les enseignants et les directeurs d’école sanctionnés, à moins que la raison ne reprenne ses lettres de noblesse et que la fédération de l’enseignement primaire réalise la démesure de ses actes et enterre sa hache de guerre.
Pour le ministre de l’Éducation, qui considère avoir trop attendu, puisque les cours sont arrivés à leur fin, le coup est parti, il sera difficile de faire marche arrière.

Le cas des magistrats limogés en est le parfait exemple.

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