Nous avons perdu notre âme !

 
On nous décrit souvent comme un peuple uni et fêtard, qui aime « vivre et laisser vivre », selon la formule consacrée. Mais ça, c’était avant, comme dit la pub ! Car force est de constater que nous ne sommes plus comme avant, que quelque chose s’est brisée depuis les chambardements des quatre dernières années, avec cette révolution qui nous a mis à nu.
Quelques exemples inspirés par la vie de tous les jours et où chacun devrait se retrouver…

Langage grossier
« Ennahdha » a voulu, pendant son éphémère prise de pouvoir, punir sévèrement les citoyens qui osaient dire de gros mots ou blasphémer avec de lourdes peines de prison à la clé. Mais allez donc mettre en prison des gosses de sept ou huit ans !
Car la grossièreté commence très tôt dans les quartiers populaires, là où les enfants sont défiés par les voyous plus âgés qu’eux, mais qui leur servent d’exemple. Un habitant d’un quartier populaire l’explique en ces termes : « ici il n’y a ni manèges, ni espaces verts pour jouer, les maisons sont collées et les rues très étroites. Quand tu ouvres ta fenêtre, tu vois ton voisin et quand il frappe sa femme et ses enfants, tu entends leurs cris comme si ça se passait chez toi… Il n’y a aucune intimité, alors la violence s’installe imperceptiblement, avec son mode d’expression particulier : les gros mots ! »
Le Mézoued (cornemuse) et son alter ego le Rap, ont également contribué à renforcer cette tendance à la grossièreté par pure provocation ou pour s’attirer les faveurs du jeune public. Leurs textes, déjà bien pauvres, sont parsemés de gros mots, ils racontent souvent des histoires où la violence est omniprésente et les interprètes qui les chantent sortent couramment de prison.
Mais les gros mots ne sont pas particuliers aux couches populaires, la grossièreté et la vulgarité se sont immiscées dans toutes les couches sociales et même au sein des familles qui ont un haut niveau d’éducation. Entre racisme et régionalisme, le gouffre ne cesse de s’élargir entre les classes aisées et les pauvres, avec des termes spécifiques.
Nos grands-mères parlaient déjà en termes peu élogieux de certaines catégories sociales : « Kahlouch » (nègre) pour désigner un noir, « Goôr »pour un paysan, « Bagra » et « Msattek » pour un esprit un peu lent, « Mesfara » pour une fille trop pâle, « Lafaâ » pour langue de vipère… Un ouvrier devient « Zoufri » qui signifie voyou et un musicien se voit qualifié de «Ârabni », sorte d’artiste nul.
Toute cette haine était en nous et la Révolution n’a fait que libérer ces énergies négatives… D’où le succès des politiciens et des syndicalistes au langage populiste et au discours extrémiste. Ce peuple doit retrouver ce qui a fait sa force depuis des siècles : l’amour de l’autre et l’acceptation de la différence. On appelle cela la tolérance, un terme qui n’est plus d’actualité dans un monde perverti par la cupidité et l’égoïsme.

Facebook, un espace pour les loosers !
Un couple vient de divorcer parce que madame ne s’occupait plus de sa famille et passait son temps devant son écran à tapoter son clavier. Récemment encore, un homme a assassiné sa femme car elle avait publié ses photos à elle sur Facebook et qu’il a jugé cela scandaleux. Alors de deux choses l’une : ou bien Mark Zuckerberg est un homme dangereux pour ses semblables, ou bien les Tunisiens sont devenus fous !
Car sur Facebook, c’est une forme d’exhibitionnisme où il faut en mettre plein la vue à ses « amis », que l’on ne connaît généralement qu’à travers leurs publications. Dans ce monde virtuel, on est tout le temps en représentation, on met sa vie en scène. Tout est apparat, jusqu’aux sentiments intimes. Certains tentent de faire croire à leurs amis et proches qu’ils vivent des moments extraordinaires dans des lieux magiques. Ils décrivent leur vie comme une suite de moments féeriques.
D’autres se répandent en éloges pour leur maman ou leur papa, sont fascinés par un bébé ou un chat. Il y a aussi ceux qui publient ou partagent des gags, des blagues, des caricatures, des pensées empruntées à des philosophes plus ou moins connus. Il y a enfin les très sérieux qui évoquent la politique, qui proposent des solutions aux décideurs… Les plus antipathiques sont ceux qui postent des vidéos où ils cafouillent et bafouillent en se croyant plus futés que les autres…
A côté de Facebook, il y a Tweeter et Instagram, pour les jeunes branchés, avec des textes courts pour le premier et des photos pour le second. Et là ça ne s’arrête pas : chaque instant de la vie est publié, notamment les « selfies », ces autoportraits où le « moi » est débordant d’égoïsme, de m’as-tu-vu et de prétention. Au bord des piscines ou lors des fêtes privées, les jeunes veulent montrer qu’ils vivent des moments idylliques, des vacances de rêve…
Cette guerre psychologique virtuelle où l’on ne montre que les bons côtés de la vie, oscille entre la surenchère du bonheur affiché et la mise en scène de son personnage. Elle peut cependant créer un sentiment de solitude et d’abandon chez les plus fragiles, les plus isolés. Il y a le sentiment de pauvreté face à la richesse des amis virtuels, l’abandon quand ils se montrent avec leurs amis, la frustration quand ils exhibent de jolies filles… Tous ces sentiments sont d’ailleurs valables que l’on soit homme ou femme.

Mais où vont-ils ?
Ah ! qui dira la patience qu’il faut pour conduire à Tunis ! Et il y a une question que je me pose depuis cette belle révolution : mais que font tous ces automobilistes dans les rues de la capitale à toute heure, y compris celle où tout le monde est censé être au bureau ? De Bab El Khadhra à la place Pasteur, de Bab Saâdoun à El Manar, du boulevard du 9 Avril à la gare Bab Âlioua, tout n’est que bouchons interminables, klaxons assourdissants, feux rouges grillés et stops brûlés, créant stress et énervement…
Il y a ceux dont le travail est de circuler à toute heure : bus, taxis, livreurs, chauffeurs dans les administrations… Normal. Mais les autres, que font-ils dans les rues, à une heure où ils sont payés pour travailler dans leurs entreprises ? Par curiosité, on a posé la question à bon nombre d’entre eux et les réponses sont parfois inattendues, voire incroyables !
Il y a le haut responsable qui va de réunion en réunion et qui prépare ses dossiers assis derrière, à droite. Il y a celle qui a accompagné ses enfants à l’école et qui reviendra les chercher après avoir fait un crochet par les boutiques. Il y a le brave citoyen qui a pris un jour de congé pour vaquer à des obligations administratives ou familiales. Et puis celui qui se rend à la visite technique de sa voiture, celle qui doit accompagner sa vieille mère chez le médecin, celui qui va payer ses factures avant qu’on lui coupe l’électricité, l’eau ou le téléphone…
Annoncés comme cela, leur nombre ne semble pas démesuré. Mais multipliez ces sorties par les centaines de milliers d’habitants de la capitale et vous aurez une idée plus précise sur le nombre de véhicules en circulation à toute heure…
Le plus drôle, c’est un citoyen d’un âge certain coincé dans les embouteillages du passage, qui nous a affirmé qu’il se rendait au marché central pour s’acheter un poulpe ! Avec la circulation monstrueuse qui règne autour de ce marché, il va lui revenir très cher son mollusque !

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