Nous manquons d’un… Bourguiba !
 

«Jusqu’à quand Si El Bahi abuseras-tu de notre confiance ? Nous sommes dans un champ de ruines, que fait-on maintenant ?» Ces mots de Bourguiba s’adressaient à son premier ministre El Bahi Ladgham, quelques jours avant sa décision de le destituer de ses fonctions le 2 novembre 1970. Cette anecdote nous rappelle, en effet, que nous manquons d’un Bourguiba pour nous faire comprendre qu’on ne fait pas carrière politique avec des idées pures ou des concepts, mais avec du concret. Il va sans dire qu’il faut éviter toute lecture anachronique : on ne trouvera pas toutes les spécificités de notre quotidien dans des évènements vécus plus de cinquante ans en amont. Par ailleurs, toute ressemblance n’est pas forcément un hasard. On trouve souvent dans l’Histoire de quoi fournir une dose de sagesse à une époque qui en manque tant. En politique, gâcher une occasion, une opportunité, une chance de percer, et le tour est joué. C’est si facile ! Les réussir est, en revanche, une entreprise plus exigeante. Les responsables au pouvoir qui ratent les occasions seraient bien avertis de réfléchir aux risques qu’il y a pour eux de scier la branche sur laquelle ils sont perchés. Certains pourront même prendre de vraies bonnes résolutions dans la mesure où elles n’auront pas été des promesses d’ivrogne. «Le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête», soulignait Pascal. Nous y sommes. Face à ce qui apparaît aujourd’hui comme autant de signes avant-coureurs, surtout dans un environnement régional et mondial bouleversé, il y a eu un aveuglément de l’État, une défaillance majeure. Le monde est pris dans le tourbillon d’une des plus dangereuses crises qu’il ait traversées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, nous continuons de faire avec une mentalité qui n’a pas notablement évolué depuis des décennies ! Ce feu de brousse, cette poudrière ou pétaudière, les qualificatifs décrivant le fond de cet air lourd n’ont rien de rassurant, pourrait entraîner une crise insidieuse qui est bien près d’être comparable aux soulèvements de ceux de janvier 1978 ou de janvier 1984 ou bien de l’hiver 2011 : insaisissable et incontrôlable. Mais même quand il ne reste plus un sou dans les caisses de l’État, il se trouve toujours des démagogues populistes ou religieux au pouvoir, qui prétendront sans vergogne qu’il suffirait de semer des idioties à pleines mains, de vitupérer contre les riches et les élites pour régler tous les problèmes du pays. Les «solutions»populistes» sont, comme toujours, des miroirs aux alouettes. Jadis, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev disait que les populistes «ont ceci de particulier qu’ils peuvent promettre de construire un pont même s’il n’y a pas de fleuve». Tout a déraillé, et nous voilà au creux d›un carrefour vers lequel dévalent plusieurs tracteurs fous dont les freins ont lâché : islamisme, populisme, peuplecratie, médiocratie, une machinerie au pays de l’échec bête, pesant, obstiné, l’échec bas du front et absurde où les populistes, les tartuffes islamistes, les incompétents et les arrivistes sont satisfaits de leur ratage, entêtés dans leur nullité. L’histoire nous raconte comment plusieurs pays ont sombré dans le chaos après quelques années seulement de faillite politique, économique et morale. La mécanique s’est déréglée. Un cercle de mafieux accumule des richesses et se détourne de l’intérêt général. Clientélisme et corruption se développent, la violence se banalise et la colère populaire gronde, tandis qu’émergent des figures populistes qui me rappellent l’étrange Philippulus, l’un des personnages qui m’a le plus impressionné dans  «Les aventures de Tintin» lorsque j’étais enfant ; l’auteur Georges Renin (dit Hergé) disait de lui qu’il se prenait pour «un seul maître après Dieu» ! Pour sauver notre pays, nous avons plus besoin d’Hannibal, de Kheireddine et de Bourguiba que de Philippulus, de raison que de dévotion, d’ouverture que de sectarisme.

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