Nous nous sommes trompés ! Ce n’était pas une dictature !

 Depuis 2011,  nous nous sommes trompés sur nos choix et sur nos représentants ? Pourquoi avons-nous été incapables d’ancrer le pays sur la voie du progrès ? Pourquoi avons-nous détruit les fondamentaux de la République ? Pourquoi avons-nous failli ? Ceux qui se présentent comme l’élite nationale, les défenseurs « opprimés » des libertés, ou encore les révolutionnaires « combattants pour la démocratie », ont conditionné, consciemment, inconsciemment, par mimétisme ou pire encore, selon agenda, notre manière de penser, de réfléchir, d’analyser et surtout notre capacité à avoir une lecture indépendante des faits historiques récents.

A force de répétitions, de redondance, de convergence de diatribes, d’une même sémantique et d’une diffusion massive sur réseaux sociaux et médias traditionnels, un courant de pensée principal, le « Main Stream », a fini par imposer une lecture, une analyse et une qualification unique des faits historiques des 30 dernières années, avec de fortes propensions à l’extension aux 60 dernières années. Il fut successivement « Jasmin Révolution » puis « Arab Spring », puis « la Révolution » et a fini « les Objectifs de la Révolution » en y intégrant « l’islam Politique » un nouveau concept que personne ne connait ni ne comprend.

Le « Main-Stream« , n’est pas un groupe homogène de pensée, mais une nuée de différents sous groupes, souvent idéologiquement et diamétralement opposés, dont les intérêts convergent sur une vision unique des faits, menant à imposer à la nation des choix et des mesures sociétales qui leur permettent d’accéder et de s’accaparer le pouvoir afin de garantir leur existence et leur prospérité.

La ‘’Dictature’’, ce mot magique, explication de tout, source de tous les maux de notre Nation et substrat du « Main-Stream« . La Dictature serait au centre de tout. D’aucuns, poussent même leur vérité jusqu’à prétendre que nous vivons dans un mensonge d’État (une matrice), qu’en réalité nous n’avons jamais été indépendants, que nous ne sommes pas une république souveraine, indépendante et autonome, mais que nous continuons de vivre sous occupation ; dans une colonie par procuration ; tous nos gouvernants passés où présents, n’étant que des « pantins » de l’occupation, des gouverneurs indigènes de substitution. Ces gouverneurs, protégés par le colonisateur, seraient des tyrans et des dictateurs ; Le régime de Ben Ali en étant la dernière version et correspond à un simple changement de statut colonial, passant de la France aux États Unis d’Amérique.

Le « Main Stream« , a imposé la classification dictatoriale du régime de Ben Ali, lui faisant endosser tous les maux de la République. C’est cette  qualification qui permet de justifier la destruction du système républicain, des institutions bâties depuis l’indépendance et force le passage vers leur seconde République. Cette démarche, était supposée nous mener vers un idéal démocratique salvateur, sauf qu’en réalité elle n’a permis que de rendre le pays ingouvernable par l’entremise de l’anarchie et de la zizanie institutionnalisée. Ainsi, s’agissant d’une dictature, la réforme doit s’attaquer à la destruction des organes de celle-ci, à ses structures porteuses et à ses outils, que sont l’administration publique, les forces de sécurité et surtout les centres du pouvoir républicain, la Présidence et le Gouvernement. Toute réflexion hors du « Main Stream« , qui oserait remettre en cause ce dictat, proposant une vision différente des faits et proposant une démarche réformatrice différente, est automatiquement combattue et rejetée par le Main Stream, classée « ennemie de la révolution« , nostalgique de la dictature et ‘racaille francophone’. 

Alors, au point où nous en sommes, prenons le risque de proposer une autre vision des événements qui pourrait expliquer notre échec cuisant depuis 10 ans. En fait, avec du recul, de la lucidité et une pensée libérée, autant, des dictats du « Main Stream« , que des positions allègres et nostalgiques d’un passé récent, nous pourrions analyser les événements sous un angle de vue différent et essayer d’apporter une analyse différente des faits historiques. Analyser les événements autrement, pourrait apporter un éclairage et une explication à notre échec et éventuellement ouvrir la voie à de nouvelles réflexions, à même de porter rapidement un vrai projet sociétal républicain.

La Dictature, est un système de pouvoir avec une mécanique propre, connue, systémique et historiquement modélisée. Tous les modèles dictatoriaux de par l’histoire, reposent sur le même mode opératoire et suivent le même schéma opérationnel. Les Dictatures, reposent sur la terreur populaire, la répression sanglante des libertés et des pensées individuelles, la suppression totale du droit d’expression, la torture et l’assassinat comme moyens expéditifs d’imposer sa loi. Pour s’imposer, la Dictature, use directement des moyens de la force publique institutionnelle, que sont l’armée, la police et surtout la justice. Franco, Kim Jung Un, Pinochet, La junte argentine, Pol Pot, Ceausescu et Frank Duvalier entres autres, sont des personnages représentatifs mais non exhaustifs de ce que peut être une Dictature. 

La Dictature n’a pas besoin de convaincre ni de s’aliéner le peuple, elle institutionnalise la concentration totale des pouvoirs autour d’une personne ou d’un groupe de personnes, imposant l’aliénation des forces publiques par la contrainte et la peur au sein de l’administration publique et particulièrement celle qui détient l’exercice de la force publique. Lorsque le contrôle total de la force publique est acquis, l’asservissement de la population par la terreur, la contrainte et la violence, sans retenue ni justification en utilisant directement la force publique létale, devient chose aisée, puisque exercée par la puissance de la force publique, avec en première ligne la justice, puis l’armée et la police. Ce système aussi abject et inhumain soit-il, intègre, en son sein, les éléments de sa propre défaillance. Ainsi chaque fois qu’une révolte ou une insurrection populaire jaillit et qu’elle résiste à la répression de la dictature, le système vacille et chute rapidement, généralement, suite à un retournement d’une partie des organes même de la force publique qui rejoignent la contestation. 

En réalité la dictature disparaît dés lors que les têtes du système sont écartées. Il suffit alors de réorganiser les structures d’exercice du pouvoir et d’usage de la force publique, pour que le pays bascule rapidement vers la démocratie et la croissance.

Le secret d’une transition rapide, réside dans le fait que la population est saine et ne fait pas partie du système ; en réalité, elle en est la principale victime. Le passage de la dictature vers la liberté et la démocratie, passe simplement par (dans tous les cas historiques): la réforme des institutions de l’État et du mode d’exercice du pouvoir (une nouvelle constitution par exemple) ainsi que par la maîtrise totale des organes institutionnels d’exercice de la force publique. Le processus de réforme est rapide car il ne concerne ni les structures sociales, ni le modèle sociétal, et encore moins la conscience populaire. Durant la transition,  un processus de réconciliation rapide entre le peuple et les fonctionnaires intermédiaires de l’État (eux mêmes victimes par contraintes), permet de sauvegarder les structures de l’État et d’accélérer la transition.

Alors pourquoi cela n’a pas fonctionné dans notre pays ? Pourquoi n’y a-t-il pas communion et adhésion citoyenne autour des actions menées et des solutions appliquées ? Pourquoi nous régressons au lieu de progresser, malgré l’application de toutes les réformes recommandées pour une Dictature (nouvelle constitution, affaiblissement de l’appareil sécuritaire, maîtrise de la justice, redistribution du pouvoir, proposition de modification du projet sociétal, etc….)? 

Et s’il y avait erreur sur ce que le Main Stream (dont les objectifs réels pour notre pays sont tout autre) nous a imposé comme diagnostic ou qualificatif  du régime de Ben Ali ? En fait, le régime de Ben Ali n’a jamais été une dictature, il n’en a ni les contours, ni l’organisation, ni les méthodes, ni même le courage d’en assumer les moyens et le process. Le régime de Ben Ali a été ce qui doit être qualifié de « Voyoucratie » et c’est bien pire que la Dictature !!

La « Voyoucratie », n’est pas étudiée historiquement, car il n’y a pas eu de précédent identifié où un système voyou en est arrivé à gouverner directement un pays. Dans plusieurs autres pays, affichant ostensiblement les labels de progrès et de démocratie, des versions discrètes du mode opératoire de la « Voyoucratie » sont bien présentes et se ressentent par la proximité souvent discrète et de plus en plus flagrante, entre les affaires, le pouvoir et le service public. La « Voyoucratie » s’internationalise ! Peu de pays l’ont identifié où l’on combattue, et lorsque cela  a eu lieu, le combat et la réforme du pays ont duré longtemps, coûté très cher et ont souvent emporté plusieurs parmi ceux qui ont mené le combat.

L’un des rares pays qui a mené le combat et qui continue à le mener depuis trois décennies, c’est l’Italie, lorsqu’elle a décidé la reconquête de la totale souveraineté de l’État.  Ce pays, « qui devrait être l’exemple », est l’un des rares a avoir mené le combat contre la forme ultime de la « Voyoucratie », qu’est la Mafia avec ses ramifications institutionnelles et politiques. Les stigmates du combat sont encore visibles, et le système tente de se régénérer en permanence. Le succès de l’Italie doit être un exemple à comprendre, analyser et modéliser. La « Voyoucratie » est un système bâti sur la contamination de la société et par de là, des structures de l’État. À contrario de la Dictature qui utilise et aliène les structures organisées de l’État ; la « Voyoucratie » contamine les hommes, les citoyens et dans le cas de Ben Ali, les jeunes générations. La « Voyoucratie » installe un virus qui transforme au fil du temps l’ADN citoyen d’une société. 

La « Voyoucratie » fait de la corruption et de la connivence, le pilier de la relation sociétale. Ainsi, les relations sociales, celles avec le service public et entre les dirigeants politiques et les affairistes, sont réglementées par la connivence, la corruption, les passes droits et les pots de vin. Le système crée des dépendants, tant en terme de revenus et de niveau de vie, que de promotion sociale. La Voyoucratie, asservit les citoyens fonctionnaires en accumulant des preuves de leur corruption et de leurs compromission, au cas où une prise de conscience soudaine ou un retournement effleurerait leurs pensées. Le confort matériel aidant, le virus se propage rapidement et donne l’illusion de la réussite sociétale. On n’est plus citoyen d’une nation mais membre d’un système fidèle à un homme.

La « Voyoucratie », s’installe dans le temps et se diffuse dans la culture sociétale. Les citoyens qui n’adhérent pas au système se retrouvent souvent au ban de la croissance et leur vie devient pénible, sauf s’ils arrivent à ne pas êtres tributaires du pays. Le système Ben Ali, a installé dans les méandres de la société une logique mafieuse, ou seule l’appartenance, ou du moins l’acceptation des règles du système compte. L’objectif de la « Voyoucratie » est de détourner le regard et l’attention de tout ce qui concerne le pouvoir et ses structures et de faire en sorte que le peuple se concentre sur l’accaparation du bien et de la richesse par tous les moyens, dont notamment l’outrepassement des lois et des règles dont peut faire bénéficier le système. La connivence ainsi créée, et la proximité avec les différents cercles du système, permet d’édifier une pyramide de corruption, de banditisme et une caste de voyous souvent en col blanc, qui deviennent les piliers du système.

La « Voyoucratie », crée ses propres vrais faux hommes d’affaires, ses fonctionnaires, ses juges, ses employés et ses hommes de main, ses sportifs, ses journalistes, ses intellectuels et ses hommes de culture. Le volume d’affaires ainsi généré crée des liens et des associations et des intérêts de plus en plus forts entre les protagonistes. La « Voyoucratie » s’enracine doucement mais longtemps dans la société et crée de nouveaux réflexes sociaux, elle transforme sur le long terme les valeurs d’une société, elle efface le sens de la Nation, de la Citoyenneté et détruit définitivement le sens réel de la Justice et du Droit. Voila pourquoi les remèdes injectés à notre pays n’ont pas pu faire évoluer le pays. Pire encore, nous avons attaqué la partie la plus solide de la République qui a assuré la survie de la Nation depuis 10 ans, que sont ses institutions.

Nous nous sommes trompés car nous n’avons pas compris que le mal est en nous et non pas dans les institutions. Les seuls qui ont compris dès le départ, ce sont les frères musulmans, qui ont eu l’intelligence de récupérer les mécanismes du système voyou, en se substituant aux chefs disparus et en apportant protection aux différentes strates de la pyramide. Les frères musulmans ont fait encore mieux, leur objectif étant l’instauration d’une dictature confessionnelle (avec le soutien et l’aval de leurs commanditaires), il ont utilisé le « Main-Stream« , pour pousser vers un consensus autour de la nécessité de réformer les structures de l’État, en commençant par remettre en cause le système républicain, puis en asseyant de désarticuler l’administration et de déstructurer l’économie réelle. Le « Main-Stream » concentrant l’opinion publique sur les fausses réformes, les frères musulmans ont pris la main sur le système mafieux. 

Faire évoluer notre pays vers le meilleur, c’est commencer par reconnaître qu’au moins trois générations sont infectées par les valeurs de la « Voyoucratie », qu’une partie  de notre société fait partie intégrante des structures du système. Nous ne pourrons pas changer les choses si nous ne nous attaquons pas à la source du mal, en commençant par faire arriver au pouvoir des personnes qui ont su garder en elles les valeurs de la Citoyenneté, de la République, de la Nation, de l’Équité et de la Justice. Des personnes qui n’ont jamais fait partie du système mafieux, qui soient dotées d’une sérénité et d’une sagesse, leur permettant de faire la différence entre combattre les organes du mal, et mener une guerre de personnes ou de revanche.

Faire évoluer le pays vers une vraie démocratie, ne pourra pas se faire rapidement ; il faudra entamer une réforme en profondeur sur les deux prochaines générations, une réforme profonde de l’enseignement, pour réintroduire les valeurs républicaines, démocratiques et citoyennes. Pour ce qui concerne les générations infectées par le virus de la « Voyoucratie », il faudra, instaurer une réforme en profondeur, de la justice, pour que celle-ci soit impartiale, juste et équitable. Il nous faudra bannir définitivement l’impunité, les pardons et la réconciliation. La justice doit passer partout et s’appliquer à tous et de manière autrement plus stricte et sévère pour ceux qui ont la charge du service public et de la justice elle-même. Nous avons renversé le pouvoir depuis plus de 10 ans, et tout le monde est averti que cela ne doit plus se reproduire, ainsi et afin d’arrêter l’hémorragie, la Justice doit passer. La Réforme en profondeur de notre système judiciaire et de notre approche de la justice doit être la priorité autant que celle de la sécurité nationale ; car seule la Justice permet de sauvegarder la démocratie et la république et seul un appareil sécuritaire réformé peut protéger la république et les citoyens.

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