On en parle peu. Pourtant, la survie de douze millions d’âmes et la pérennité de l’Etat en dépendent. La sécheresse nous menace de faim et de soif. Elle a atteint, cette année, un tel niveau de gravité que les récoltes de blé et d’orge sont compromises et que l’Etat est contraint d’importer la majorité des besoins nationaux en céréales. Peut-être verrons-nous aussi d’autres livraisons de blé venir de pays amis pour nous secourir contre une famine annoncée.
La production des fruits et des légumes (pastèques, tomates, piments) accuse, elle aussi, une forte baisse, promettant d’impacter encore plus les prix à la consommation et le portefeuille du consommateur. Une situation des plus inquiétantes quand on sait que les difficultés financières de l’Etat et la baisse des réserves en devises ne permettront pas de pallier ces manques par le biais de l’exportation.
En plus de toutes les crises que la Tunisie traverse depuis plus d’une décennie et dont on supporte encore les conséquences politiques, économiques, financières et sociales, il faut ajouter aujourd’hui celle de l’eau. Une crise hydrique inédite : les barrages, traditionnels réservoirs d’eau, ont été remplis à 30% de leurs capacités à maxima, certains n’ont pas pu dépasser 15%. Pour s’en accommoder, agriculteurs et autres exploitants ont recours à la surexploitation des nappes et aux forages anarchiques (220 mille recensés en 2022). Une opération suicide à l’échelle nationale sur le court terme. Entre-temps, l’autorité de tutelle se fait discrète et s’abstient de donner le tempo à une catastrophe annoncée, naturelle et économique. Aucune campagne médiatique de sensibilisation et de conscientisation pour alerter l’opinion au risque imminent de manque d’eau et à ses conséquences n’est à enregistrer, ni de plan d’action indiquant les comportements responsables à adopter, par chacun, pour éviter le cauchemar : des mois caniculaires au sec.
Hormis un communiqué du ministère de l’Agriculture, publié fin mars, interdisant, jusqu’à fin septembre 2023, l’utilisation de l’eau potable dans l’irrigation des cultures et des espaces verts, le nettoyage des rues et des espaces publics, et des mesures de restrictions d’eau annoncées mais partiellement appliquées par la Sonede, rien de décisif qui s’attaque à la crise sous tous ses angles et change le quotidien des Tunisiens, toutes catégories sociales et professionnelles, n’a été préconisé. Aucun mot sur le gaspillage causé par les piscines individuelles, qui sont entrées dans les coutumes des Tunisiens aisés, et les sondages des puits illicites dans les maisons destinés à l’arrosage des jardins et aux travaux domestiques, ni sur les moyens et les méthodes de contrôler les contrevenants qui ne respecteraient pas les consignes du ministère de l’Agriculture et de la Sonede. Et ce, alors que l’été, saison de grande consommation d’eau, avance à grands pas. Ce qui explique la panique des plus avertis dans les rangs des experts de l’eau et de la société civile.
« L’état de sécheresse doit être officiellement déclaré », plaide un des experts de l’eau, Raoudha Gafraj, auprès des médias pour alerter sur la gravité de la situation, expliquant que le problème n’est pas une affaire de pluviométrie qui sera résolue avec le retour des pluies. « Il s’agit d’un phénomène irréversible lié au changement climatique qui menace la vie des gens », explique-t-elle. D’où l’urgence d’une mobilisation tous azimuts. Elle consiste à « décréter l’état d’urgence hydrique » pour que « l’Etat tunisien puisse solliciter l’aide internationale, financière en l’occurrence, et promulguer une législation qui lui permette de déroger aux procédures administratives standards afin d’activer le lancement des projets », indique l’experte sur les ondes d’une radio privée. Il s’agit, aussi, d’appliquer le rationnement de l’eau dans tous les secteurs, sans favoritisme, de lancer la chasse aux fuites et au gaspillage et d’envisager des mesures d’accompagnement, notamment au profit des agriculteurs. Il faut des moyens, beaucoup de moyens, mais aussi et surtout de la réactivité, de la volonté politique et de l’autorité. Il convient, également, de réhabiliter les bonnes pratiques de mobilisation des ressources hydriques qui ont fait leurs preuves telles que les barrages collinaires, délaissés par les gouvernements successifs de l’après-révolution, et celles plus anciennes de collecte, comme le Majel, sans oublier les systèmes d’irrigation économiques, anciens et nouveaux. Le secteur agricole a toujours été la pierre angulaire de l’économie tunisienne. En 2010, ce secteur représentait 8% du PIB, un dixième du total des exportations et 20% des emplois. La Tunisie a une tradition agricole et un savoir-faire qui ne doivent pas être perdus. Mais dans un contexte de crise, les stratégies doivent être adaptées.
Le réchauffement climatique est un phénomène nouveau et ancien à la fois. Le monde scientifique l’a évoqué et étudié dès les années 90, le monde politique l’a ignoré jusqu’à ce qu’il nous rattrape avec ses phénomènes extrêmes qui sont devenus de plus en plus fréquents, tels que les inondations et la sécheresse.
La science et la politique ont fini par se rapprocher et par travailler ensemble. Le monde est aujourd’hui en pleine transformation énergétique et en guerre contre les gaz à effet de serre. Le solaire, l’éolien, l’hydrogène vert tracent le nouveau monde économique et technologique. Un défi que tous les pays devront relever, y compris la Tunisie, à n’importe quel prix pour éviter la soif et la faim à leurs populations.