Le choix de la continuité. C’est le message des résultats définitifs du scrutin présidentiel du 6 octobre à l’issue duquel Kaïs Saïed a été réélu à plus de 90% pour un second mandat.
Un choix réaffirmé dans le discours prononcé par le président réélu lors de la cérémonie de prestation du serment constitutionnel, quinze jours plus tard, sous l’hémicycle de l’ARP, en présence des présidents et des députés des deux chambres parlementaires, une première pour les élus du Conseil national des régions et des districts, (CNRD), la deuxième chambre haute parlementaire créée par Kaïs Saïed et instituée par la Constitution de 2022.
Le deuxième quinquennat sera consacré à la réalisation des projets économiques et sociaux, certains ont été engagés après le 25 juillet 2021, et plus précisément après le parachèvement de l’étape politique du processus. Avant cette date, le pays et les rouages de l’Etat étaient sous l’emprise du mouvement Ennahdha et alliés et Kaïs Saïed reclus dans le Palais de Carthage. Ce quinquennat 2024-2029 sera presqu’exclusivement économique et social, les défis étant innombrables et les attentes urgentes. Continuer, donc, avec le même « Chef » et sur la même voie, pour « libérer » la Tunisie des vieux démons, des crises qui la gangrènent et opérer les changements « salvateurs » tant attendus. Des changements ? Les Tunisiens en demandent. Beaucoup. Assez pour qu’il refasse bon vivre en Tunisie. Parmi les 70% d’abstentionnistes, certains voulaient sans doute changer de chef d’Etat, ils devront attendre, encore. Ceux qui ont réélu Kaïs Saïed, eux aussi, veulent une autre Tunisie, celle que l’ancien-nouveau président leur a promise et dont la feuille de route, entamée au cours du premier mandat, a été rappelée dans son discours de prestation de serment.
Kaïs Saïed est un président atypique, droit dans ses bottes, irréductible, anticonformiste. La stratégie de développement qu’il préconise pour la Tunisie des cinq prochaines années répond aux mêmes critères. Ils réhabilitent le rôle social de l’Etat à une époque où l’ultralibéralisme caractérise l’ordre mondial, visent la promotion d’une économie créatrice de richesses sans disposer de grandes ressources, préconisent de nouveaux concepts de développement qui émanent des choix et de la volonté du peuple, reposent sur des relations d’égal à égal avec les partenaires étrangers rejetant l’ingérence et l’hégémonie étrangères, tolèrent les libertés dans le cadre de garde-fous mis en place par la législation et proposent un processus de changement des mentalités qui promeut le compter-sur-soi à la place du recours systématique à l’endettement extérieur et l’exercice de la pleine citoyenneté pour venir à bout de certains fléaux sociaux (monopole, pénuries, contrebande, cherté injustifiée) et environnementaux (dégradation de l’hygiène urbaine et du cadre de vie) qui exigent civisme, prise de conscience et responsabilité.
Une vision conservatrice, nationaliste, dont le slogan pourrait être « la Tunisie, d’abord » ou « le retour de l’Etat fort » ou « une Tunisie différente et prospère est possible », pour paraphraser le slogan de campagne de Zouhaïer Maghzaoui mais pas avec les mêmes orientations ni les mêmes outils.
Des constantes, il y en a, aussi. Au moins deux. La lutte sans répit contre la corruption. Kaïs Saïed n’est pas du genre à faire marche arrière ni à changer de cap : « Nous remettrons sur pied les entreprises publiques après leur assainissement », prévient-il dans son discours du 21 octobre au Parlement. Toutefois, les portes de la conciliation pénale seront rouvertes devant les hommes d’affaires qui accepteront de s’acquitter de leurs dus au peuple tunisien. « Les autres auront affaire à la justice », souligne-t-il. L’Etat ouvrira, également, les bras à l’initiative privée citoyenne qui œuvrera pour le développement de la Tunisie aux côtés du secteur public. « Le secteur privé fait partie du capital national, il doit fonctionner dans un cadre légal », fait-il remarquer. La seconde constante est la lutte contre le terrorisme. La Tunisie s’est dotée des moyens humains et logistiques ainsi que des formations et des expertises nécessaires pour combattre ce fléau sous l’angle sécuritaire et judiciaire, mais la vigilance reste de rigueur.
Le plus grand défi reste pour Kaïs Saïed l’emploi, surtout celui des jeunes. Pour en créer, il préconise encore et toujours des idées et des modèles nouveaux de création d’emplois comme les sociétés communautaires qui doivent être renforcées et multipliées. Mais ce n’est pas tout. Il y a espoir que les horizons vont réellement s’ouvrir pour les jeunes, puisque le président s’engage pour une révolution culturelle, une révolution législative et une révolution des mentalités. Au programme, entre autres projets, la révision du code des changes, du code des investissements, du régime d’octroi des autorisations, l’article 96 du code pénal.
Le deuxième mandat de Kaïs Saïed va être celui de tous les défis, dont celui du temps qui urge. En aura-t-il les moyens ? Possible si son appel à l’adhésion générale sera entendu. Les 70% de Tunisiens qui ont boudé les urnes y adhèreront-ils ? Ont-ils de bonnes raisons pour ne pas adhérer à tout projet visant l’amélioration de leurs conditions de vie ? A souligner, quand même, que l’adhésion au principe du compter-sur-soi implique forcément des sacrifices, au moins le temps de remonter la pente. Dans tous les cas de figure, il y a deux mises en garde, voire des menaces, de Kaïs Saïed qu’il faut prendre au sérieux : « Il n’y a pas de place dans ce pays aux traîtres » et « les fonctionnaires qui ne serviront pas le pays avec abnégation devront rendre des comptes ».