Le projet de la nouvelle instance indépendante des médias vient d’être approuvé par la commission des instances constitutionnelles au sein de l’ANC. Cette instance se veut un outil de contrôle et de régulation du secteur. Les professionnels déplorent un retour au passé avec la mise en place de ce qui s’apparente à un nouveau ministère de l’Information, mais sous une autre forme. Focus.
A l’heure où tout le secteur médiatique cherche à pousser le gouvernement à mettre en œuvre les dispositions des décrets lois 115 et 116 relatifs respectivement au nouveau code de la presse et à la création de la HAICA (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle), la commission des instances constitutionnelles a voté le projet de la création d’une instance indépendante des médias. Un projet de trois articles, dont l’objectif est l’organisation du secteur médiatique en général et «la garantie de la liberté d’expression et d’information et le droit à l’accès à l’information, outre à l’instauration d’un paysage médiatique pluraliste».
Cette nouvelle instance sera composée de «neuf membres indépendants qui sont élus par le pouvoir législatif pour un mandat de cinq ans non renouvelables ». Il est stipulé qu’elle va jouir de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et administrative.
L’Etat veut mettre la main sur la presse écrite
Dès que le projet a été voté, les professionnels du secteur ont crié au scandale, dénonçant une volonté gouvernementale de mainmise sur le domaine médiatique. Car comment peut-on expliquer la création d’une telle instance qui se dit globale ; c’est-à-dire qu’elle va contrôler à la fois : la presse écrite, la presse électronique et l’audiovisuel, alors que le décret-loi 116-2011 avait déjà stipulé la création de la HAICA ? Et pourquoi un organe de régulation de la presse écrite, alors que l’on sait que normalement ce secteur doit être autorégulé, comme c’est le cas dans plusieurs pays dans le monde ?
Sommes-nous en train de virer vers la reconstitution du ministère de l’Information, mais sous une nouvelle forme ? Abdelkarim Hizaoui, directeur du CAPJC et expert dans le domaine des médias, craint que oui. Pour lui, la création de cette instance constitutionnelle est injustifiée puisque la Constitution devrait comprendre des principes généraux pour réguler le secteur et préserver la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information. Ensuite, des lois et des instances seront créées pour les mettre en application. Par ailleurs, il rappelle que seul le domaine de l’audiovisuel nécessite la création d’un organe pour l’organiser. La presse écrite devrait être autorégulée par les professionnels eux-mêmes.
L’association Article 19 a contesté pour sa part, dans un communiqué publié le 30 juillet, la volonté de «mettre la presse écrite sous le contrôle de la nouvelle autorité de régulation». Or, elle considère que «si les services de radiodiffusion sont réglementés par l’État et sous le contrôle d’un organe statutaire, la presse est normalement autorégulée et contrôlée par un conseil de presse indépendant de l’État. Ses membres sont élus parmi les acteurs majeurs de la presse écrite tels que les journalistes, les propriétaires de médias, les éditeurs et les représentants de la société civile».
Un nouveau projet pour remplacer le décret 116
Et ce n’est pas fini ! La composition même de la nouvelle instance votée laisse à désirer puisque le projet permet au pouvoir législatif de proposer les membres de l’instance. Néjiba Hamrouni, présidente du Syndicat national des journalistes (SNJT), avertie qu’Ennahdha, sachant qu’elle a actuellement la majorité dans la Constituante et qu’elle pourrait aussi l’avoir après les prochaines élections, aura donc la possibilité de placer ses hommes dans cette instance, mettant ainsi en péril l’indépendance du secteur. «Et puis, ce n’est pas au Parlement de proposer les noms des membres, mais aux professionnels du secteur. Son rôle devrait se limiter à la validation ou non des noms suggérés !», souligne-t-elle.
Les professionnels des médias estiment qu’ils n’ont pas été consultés quant à ce projet de l’instance et se disent attachés à la mise en œuvre des décrets loi 115 et 116 dont ils n’arrêtent pas de réclamer l’application. Mais Jamel Touir, président de la Commission des instances constitutionnelles au sein de l’ANC, estime que des représentants d’organisations professionnelles ont été déjà entendus par la Commission, en ajoutant que le décret loi 116 sera revu et qu’une nouvelle loi sur l’audiovisuel sera élaborée, en se basant sur le projet que présentera le gouvernement dans les prochaines semaines.
Sommes-nous devant une remise en cause des décrets-lois votés l’année dernière et inscrits déjà dans le Journal Officiel ?
Oui, «car ce sont des lois qui ont été votées dans une phase transitionnelle. Aujourd’hui, on est dans une phase d’élaboration d’une nouvelle Constitution. Donc, tous les décrets lois devraient êtres revus», note Touir. Dans ce cas, tout le travail qui a été effectué auparavant, tombera-t-il à l’eau ? «On s’en inspirera pour prendre les côtés positifs», rétorque-t-il.
Cette situation ne fait qu’alarmer d’avantage les professionnels qui soupçonnent le gouvernement de vouloir tout contrôler et museler de nouveau la presse.
En réaction à tout cela, la mobilisation à l’échelle nationale s’organise. Le SNJT compte envoyer à l’Assemblée constituante un autre projet qui ne conteste pas l’existence d’une instance régulatrice du secteur, mais précise ses missions et sa composition, tout en rappelant la nécessité de mettre en œuvre la HAICA. Il compte aussi mobiliser toute la société civile et n’exclut pas le fait d’organiser un sit-in de protestation devant l’ANC.
Hanène Zbiss