La pandémie corona n’a pas seulement mis a nu la fragilité des systèmes de santé un peu partout dans le monde, mais a aussi mis en relief le rôle des crises sociales dans l’explication des « nouveaux » cycles économiques.
En effet, si les récessions économiques observées depuis la deuxième moitié des années 80 étaient essentiellement liées aux crises financières, dont l’illustre crise des « subprimes » de la fin des années 2000, les nouvelles fluctuations économiques seraient, selon toute vraisemblance, plus attachées aux crises d’ordre social, voire environnemental.
La crise sanitaire du coronavirus déboucherait sur une dépression économique majeure selon la plupart des organismes internationaux spécialisés, une dépression dont les répercussions en termes de chômage, inégalités et endettement seraient extrêmement lourdes. Il s’agit d’une débâcle économique d’origine sociale qui va ajouter à l’étendue et à l’acuité des problèmes de pauvreté et d’inégalités qui sévissent dans le monde.
Comme toute crise majeure s’accompagnant généralement de remises en cause des systèmes à l’œuvre et d’un changement partiel ou radical de paradigme, la récente crise sanitaire doit rouvrir le débat sur le cadre conceptuel et les stratégies de développement en vigueur, et de réajustement des modes de régulation de la vie socio-économique.
La crise financière et économique mondiale de 2008 s’est en effet soldée par deux développements essentiels. Le premier a trait au retour aux grandes idées du keynésianisme prônant l’intervention de l’Etat moyennant des plans de relance économique d’envergure synchronisés et coordonnés favorisant le retour à la normale. Le second concerne le renforcement de la régulation du système financier mondial dans le cadre notamment des accords de Bâle 3 sur les normes prudentielles bancaires et des règles de solvabilité 2 régissant le secteur des assurances.
Ces réajustements et réformes sont intervenus dans l’objectif de corriger les failles du modèle économique néolibéral dominant à l’époque et brider « l’hégémonie » déstabilisante des marchés financiers.
Le retour des fluctuations économiques liées cette fois- ci à des régimes sociaux de santé ébranlés par un choc biologique majeur, appelle indubitablement le renforcement de la régulation sociale dans son ensemble. Le renouveau recherché de cette régulation consiste, d’une part, en la réaffirmation de l’apport de la croissance inclusive et, d’autre part, la mise en place de règles budgétaires liées aux dépenses sociales.
La finalité du renouvellement des principes de régulation sociale est de renforcer la résilience du capital humain et des systèmes de protection sociale aux chocs défavorables et par ricochet, réduire l’ampleur des récessions économiques.
La consécration de l’inclusion sociale
Les crises économiques affectent plus les populations vulnérables et insuffisamment intégrées à la vie économique et sociale. La montée préoccupante de la pauvreté et des inégalités de revenu à l’échelle mondiale est un facteur potentiel d’instabilité politique et sociale préjudiciable à la croissance et au développement économique.
L’émergence depuis une dizaine d’années du paradigme de la croissance inclusive ne cesse de s’imposer en tant que réponse idoine aux problèmes de développement. L’apport de ce paradigme tient à la multidisciplinarité du développement humain et à la reconnaissance du rôle de premier plan de la structure de la croissance, plutôt qu’à son niveau dans l’explication de la pauvreté, de l’inégalité et des différentes dimensions du développement humain.
Selon ce paradigme, toutes les couches sociales doivent participer et bénéficier à la fois des fruits de la croissance. Tout de même, cette inclusion ne peut avoir lieu si une partie de la population ne dispose pas des mêmes opportunités dont se prévalent les classes nantie et moyenne pour pouvoir accéder aux emplois décents et faire entendre sa voix. La stratégie d’intervention directe de l’Etat aux fins de création des opportunités au profit des populations hors circuit économique, s’avère la stratégie appropriée. Cette stratégie de réduction de pauvreté pro- croissance est axée sur l’investissement dans l’éducation, la santé et la protection sociale. Ce genre d’investissement est non seulement réducteur de pauvreté mais en même temps, productif et favorable à la croissance.
La réalité est que l’investissement dans le développement humain demeure largement insuffisant dans les pays en développement. La consolidation de l’investissement public dans le savoir et la santé, ainsi que la réduction de la pauvreté, seront en mesure d’ouvrir d’amples opportunités aux populations marginalisées, leur permettant de s’intégrer activement dans la sphère économique. La résolution de la crise financière, de l’efficacité et de la légitimité de l’Etat- providence s’avère également une nécessité précieuse pour inculquer un système de protection sociale résilient et efficace aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Le renouvellement de l’Etat-providence est le mieux à même d’assurer l’inclusion sociale, vecteur de résilience aux crises économiques.
Des règles budgétaires régissant les dépenses sociales
Beaucoup de pays développés adoptent des règles budgétaires inscrites dans des traités spécifiques aux fins de discipline budgétaire favorable à la croissance. Ces règles prévoient généralement des plafonds aux indicateurs de déficit global et aux taux d’endettement, ainsi que des conditions de financement des dépenses d’investissement public. En cas de non-respect de ces règles, un mécanisme de correction des trajectoires budgétaires sera automatiquement déclenché. De facto, les pays nordiques de tradition social-démocrate consacrent des niveaux élevés de dépenses à la protection sociale pouvant dépasser le seuil de 30% du PIB.
Une infrastructure sanitaire et sociale résiliente et pro- développement humain requiert ainsi un niveau minimal « obligatoire » de dépenses publiques.
A l’instar des règles de gestion macro-budgétaire, il est question de songer à l’établissement de règles de gestion micro-budgétaire sous forme de quotité minimale de dépenses de santé et/ ou d’éducation en rapport avec le produit intérieur brut (PIB) ou avec le total budget. Des seuils réglementaires minima de dépenses sociales semblent être appropriés à la réduction des vulnérabilités des systèmes de santé et d’éducation.
Plus que jamais, une nouvelle régulation sociale basée sur un effort d’investissement public conséquent dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la protection sociale, associée à des règles « d’or » budgétaires contraignantes, s’impose désormais pour accroître la résilience sociale elle-même et augmenter par-là, la résilience économique face à de nouveaux chocs qui s’annoncent plus virulents.
Aleya Becheikh