Cette nouvelle n’a pas fait les gros titres. Pourtant, elle pourrait rebattre les cartes du commerce extérieur tunisien, dans un contexte de fragilisation des exportations du pays du jasmin. Et cela, la Banque européenne de développement l’a bien compris, en invitant de nombreux opérateurs du commerce international tunisien à une journée d’information sur les nouvelles règles d’origine. C’est dans une ambiance presque scolaire qu’ils y ont assisté. Questions, échanges, remarques… Les interventions se sont multipliées, démontrant l’intérêt pour ce sujet hautement technique, mais essentiel.
De quoi parle-t-on ?
La convention pan-euro-méditerranéenne (PEM), adoptée pour sa première version en 2012, contient un ensemble d’accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et 24 pays situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, dont la Tunisie. Elle fixe notamment un tarif préférentiel des droits de douane, si un produit est confirmé originaire d’un pays signataire de la convention. En 2023, cette convention a été actualisée, assouplissant les règles d’obtention de cette origine. La nouvelle version est appliquée en Tunisie depuis le 1er mars dernier.
« Les négociations ont été entamées en 2013. Mais malheureusement, ces négociations ont été difficiles, au regard de leur importance, de l’enjeu économique et des conflits d’intérêts entre les différentes parties. Donc, il y a eu presque un blocage qui empêchait tout avancement. Pour la Tunisie, c’était le secteur du textile qui était le problème. Parce que les règles du textile sont très, très complexes. Il faut comprendre que c’est la Turquie qui domine ce secteur dans la région, qui a refusé la facilitation et la simplification des règles relatives au textile. Voilà ce qui a bloqué ces négociations pendant presque 10 ans. Donc, en 2023, on a adopté un compromis. […] Le textile est un secteur sensible. Il est très important en Tunisie, mais on ne possède pas toute la chaîne. On ne dispose pas d’un tissu industriel important pour passer du fil au tissu. Donc, on est obligé d’importer le tissu. La demande de la Tunisie était de se limiter à une seule opération pour obtenir l’origine [actuellement, deux opérations sont nécessaires après importation. Le plus souvent, cela consiste à transformer le fil en tissu, puis le tissu en vêtement]. Hélas, nous n’avons pas réussi à imposer cette demande. Mais on a eu quelques avantages : notamment, l’impression acquiert l’origine. Ainsi, il est possible d’importer le tissu d’Inde ou du Sri Lanka, qui est plus compétitif, et de bénéficier du tarif préférentiel », a expliqué Nabil Arfaoui, directeur de la coopération avec l’Europe.
… Mais de nouvelles opportunités pour les exportations tunisiennes
Afin de bénéficier du caractère originaire dans le cadre de la convention PEM, un commerçant tunisien a trois choix. Le premier est d’exporter un produit dit “entièrement obtenu”, donc qui provient directement du territoire tunisien, à l’instar de l’huile d’olive. Sur ce point, ce sont surtout les produits de la pêche qui vont tirer les plus grands avantages des modifications. En effet, l’ancienne version mettait en place des conditions restrictives lorsque les produits étaient pêchés en dehors des eaux territoriales. Ce qu’a résumé Mohamed Rabie Belhaj, directeur de la Direction de l’Origine : « Avec les anciennes règles, l’équipage du navire de pêche devait être composé à 75 % de ressortissants tunisiens. Cette règle, par exemple, a été supprimée. D’autres conditions restrictives ont été assouplies. Désormais, il n’y a que trois conditions pour que le produit de pêche soit considéré comme entièrement obtenu : le navire doit être immatriculé en Tunisie ou dans la partie importatrice européenne, doit battre pavillon tunisien ou européen et doit appartenir à 50 % à des ressortissants de la Tunisie ou de l’Union européenne. »
« L’ancienne convention ne permettait pas d’importer le thon ou les produits de la pêche en provenance de l’Europe, de les transformer, puis de les exporter vers l’Europe. Suite à cette suppression des deux conditions, sans avoir le personnel sur le navire, la nationalité du personnel sur le navire, tous les opérateurs tunisiens peuvent importer du thon ou des produits de la pêche européens, les transformer et les exporter sans droit de douane vers le marché européen. […] À partir du 1er janvier 2025, on aura d’énormes opportunités de nouvelles exportations, et plusieurs contrats avaient été annulés puisque la Tunisie n’avait pas encore adopté les nouvelles règles », a complété Nabil Arfaoui.
La deuxième possibilité est de procéder à des opérations après importation : ce sont les produits dits “suffisamment transformés”. « Avec la nouvelle règle, on passe d’un taux de 10 % du prix départ usine, de tolérance d’utilisation d’intrants ne respectant pas la règle d’origine [soit importés d’un pays hors convention PEM] à 15 %, pour les produits agricoles. En plus, nous avons intégré le critère du poids, qui pour certains produits, remplace le critère de la valeur, là où pour d’autres produits, le choix est laissé aux exportateurs. Cela permet de les protéger des fluctuations des prix au niveau mondial », a précisé Mohamed Rabie Belhaj, suite à une question de Réalités Online. Une protection importante dans un contexte d’accroissement des tensions économiques mondiales.
Enfin, la dernière possibilité est d’appliquer le cumul d’origine. Soit bilatéral, où les matières sont originaires de l’une des deux parties, soit diagonal, s’appliquant pour tous les pays ayant les mêmes règles d’origine (donc dans la convention PEM), ou bien le cumul total, qui prend en compte les transformations. C’est sur ce point que la version actualisée de la convention intervient : « Désormais, le cumul total est généralisé pour être utilisé dans le cadre du cumul diagonal et bilatéral. Lors de l’application du cumul diagonal dans le cadre des règles PEM 2012, les matières devaient être originaires des pays participant au cumul diagonal. Dans les nouvelles règles, ce n’est plus une exigence », a mis en avant Nabil Arfaoui.
En d’autres termes, les produits exportés de la Tunisie vers les pays signataires de la convention PEM bénéficient, depuis le 1er mars, de plusieurs assouplissements relatifs à l’obtention de l’origine tunisienne, et donc du tarif préférentiel. Que ce soit au niveau de l’exportation de thon en conserve ou du prêt-à-porter, l’espoir est placé dans une hausse des échanges.