L'Oblation est l’action par laquelle on offre quelque chose à Dieu. Le titre intrigue, interpelle, questionne. Un sacrifice pour qui, pourquoi, comment ?
Tout commence par une couverture, une couverture ton pastel, un brin enfantin et pourtant un détail dérange, interpelle, sidère… si la jeune fille de dos semble tout à fait normale, ce qu’elle tient à la main droite, son ours en peluche, est décapité. Entre les couleurs chatoyantes du vert de l’herbe et du bleu du ciel, pris en tenailles, le gris… indice d’une féerie sanguinaire.
Pourtant, il ne faut pas s’attendre à une débauche d’hémoglobine, de corps éviscérés ou de gros plans gore. « Oblation » est bien plus intelligent que ça, bien plus subtile et misant davantage sur l’implicite que l’explicite
De quoi ça parle ?
Une petite fille dans son lit est réveillée par son ours en peluche, un ours en peluche qui n’a plus de tête. Elle se réveille, étonnée, traverse un jardin. L’arc narratif proposé par Abir Gasmi et mis en images par Moez Tabia est un cas à part dans la BD tunisienne, tout est dans le mouvement, les couleurs, le regard, le statisme… aucune parole n’est échangée sous forme de lignes de dialogues ou de bulles, et pourtant
Oblation est donc une bande dessinée, je dirai plutôt un roman graphique qui parle d’une fillette. Une gamine qui s’aventure dans l’inconnu, à la quête de la tête de sa peluche.
Au gré des rencontres, comme ces aléas de la vie que nous subissons, elle sera livrée à des mondes horribles, oppressants alternant avec des plages douces, tendres, fraternelles, maternelles.
Ce livre destiné aux plus petits les poussera à imaginer, à extrapoler, à tenter de comprendre, de cerner dans le dessin la vie. Ce cri du cœur contractera celui des adultes qui penseront à tous ces enfants qui meurent chaque jour à cause de la barbarie et l’inhumanité des « grands ».
Il faut lire la préface pour comprendre qu’au-delà de l’histoire troublante et touchante qui structure « Oblation » se cache le drame d’une enfant Fatima Al-Meghlaj, dont la tête fut séparée du corps et dont une photo la représente tenant un ours en peluche à la main… la boucle de la barbarie sanguinaire semble donc être bouclée.
Comment décrire la barbarie tout en demeurant poétique ? C’est la question à laquelle Oblation tente de répondre… « Souvent inattendue et souvent scandaleuse, la beauté, venue de nulle part, nous frappe au cœur avec une violence toujours neuve et toujours répétée. Elle est liée à l’amour. Elle est une promesse de bonheur. » écrivait Jean d’Ormesson… Il est certain qu’il n’avait pas tort.
*Oblation, Ed. Pop Libris, 50 p., 2014
Farouk Bahri