Olivier Poivre d’Arvoir: « mon combat quotidien, faire connaître la belle et entreprenante Tunisie » 

« Je consacre
toute mon énergie
à faire que la Tunisie
ne disparaisse jamais
du radar français »

 

Quand il avait 12 ans, Olivier Poivre d’Arvor avait acheté une grande carte qu’il avait installée dans le couloir de l’appartement de ses parents,  et pendant longtemps il y implanta de petites épingles à tête de couleur sur les pays du monde. Il voulait en mettre partout.Certainement l’une d’elles s’accrocha fortement sur la Tunisie. En effet  ce pays est « une affaire ancienne d’auteurs, de cinéastes, de culture au sens large, d’Histoire, et un pays découvert à 20 ans. Après, il y a eu les amitiés…» affirmera-t-il un jour.  C’est sans doute avec plaisir qu’il accepta le poste d’ambassadeur en Tunisie.
Arrivé en septembre 2016, l’ambassadeur de France s’est très vite attiré la sympathie des Tunisiens par sa simplicité, sa proximité avec les préoccupations des populations et son engagement démocratique.
C’est aussi avec beaucoup d’amabilité qu’il a accepté de répondre à nos questions malgré un agenda toujours aussi chargé. Entretien

 Un grincement de dents s’est fait entendre en France lors de votre nomination en tant qu’ambassadeur en Tunisie «  recaser un intellectuel de gauche». Au même moment une voix diplomatique s’est fait également entendre pour répondre qu’une « ambassade, ce n’est pas un homme mais une équipe, et les diplomates qui vont travailler à ses côtés sont parfaitement rodés.» Les esprits se sont-ils calmés entre-temps ?
Notre ambassade en Tunisie est certainement à la fois prestigieuse et stratégique et la relation avec votre pays particulièrement importante, notamment depuis 2011, vu de Paris, pour susciter un peu de compétition, voire de jalousie, peut-être… Diplomate depuis trente ans, ministre plénipotentiaire depuis dix ans, j’ai également en effet un parcours culturel. Ecrivain, philosophe de formation, éditeur, comédien à mes débuts, puis journaliste, j’ai ainsi animé pour le Quai d’Orsay dix ans durant l’action artistique extérieure de la France, publié de nombreux ouvrages, dirigé pendant cinq ans la radio de service publique France Culture. Et à chaque fois, j’ai beaucoup travaillé avec et en Tunisie. Ce qui ne retire rien au fait que je suis pleinement diplomate de carrière, que j’ai dirigé des équipes nombreuses, piloté des entreprises avec des budgets importants… On peut aimer les idées et les arts, lire deux à trois livres par semaine, oui, être intellectuel, et ce n’est pas un gros mot dans un pays de grande culture comme la Tunisie, mais en même temps pratiquer une autre culture, celle du résultat. C’est peut-être, au vu des missions que j’ai dirigées précédemment, de mon lien très sensible avec la Tunisie, seul poste que je désirais occuper comme ambassadeur, ce qui a prévalu dans le choix du président de la République, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères.

Avant votre arrivée en Tunisie tout a commencé par un malentendu qui s’est complètement dissipé. Aujourd’hui vous paraissez si proche des Tunisiens et surtout des médias. Vous ne désiriez surtout pas suivre un ex-ambassadeur « qui s’est brûlé les ailes à ce poste » en étant imprudent envers les journalistes ?
J’ai une personnalité, un style. Assez libre, je crois, décontracté. Les médias sont, pour moi, l’un des meilleurs baromètres de la démocratie. Je les pratique, je lis, écoute, regarde. Et être diplomate, c’est du savoir-faire, ce que je mène en effet avec une équipe de grand talent ici en Tunisie, mais également du faire-savoir. Car sans explication, pas d’action lisible. Je relis Descartes régulièrement. Enoncer, c’est penser clairement. Et dire, c’est parfois s’obliger à faire. L’action de la France dans ce pays, comme au Maghreb, dans la région et le reste du monde, a besoin d’être expliquée. Sans quoi fantasmes et malentendus prennent forme. Alors je dis très simplement les choses. Au nom des liens forgés par l’histoire, la culture et la langue qui nous relient, au nom des 700.000 franco-tunisiens qui vivent en France et des dizaines de millions qui ont la Tunisie au cœur, au regard de notre extrême proximité géographique, de nos échanges économiques comme éducatifs, la France ne peut qu’admirer le choix fait par votre pays de la démocratie et l’accompagner au plus près. Depuis septembre dernier, grâce aux échanges entre Présidents et aux visites respectives des chefs de gouvernement, les relations politiques entre nos deux pays ont atteint un niveau inégalé de qualité comme de clarté et d’intérêt commun bien senti et bien concret. Quant à moi, je consacre toute mon énergie à faire que la Tunisie ne disparaisse jamais du radar français, qu’elle soit une priorité absolue et qu’elle bénéficie en France – comme à l’échelle européenne- d’un traitement différencié.

La France, premier partenaire économique de la Tunisie est talonnée par plusieurs autres pays notamment européens. Comment comptez-vous procéder pour garder cette position ? Qu’est-ce qui différencie la coopération franco-tunisienne des autres partenariats bilatéraux ?
Premier client, premier fournisseur de la Tunisie, et de très loin, premier bailleur de fonds bilatéral dans l’aide au développement, grâce à l’excellente politique de l’Agence française de développement, la France n’a pas cessé depuis 2011 de donner des preuves de son soutien économique. Je tiens à saluer le travail des 1300 PME qui sont restées en Tunisie pendant toutes ces années et qui font vivre plus de 130.000 emplois, du travail mené par la Chambre de commerce tuniso-française et par la dynamique insufflée par les Conseillers du commerce extérieur français. Le président de la République avait annoncé un engagement d’1 milliard d’euros début 2016 pour les cinq années à venir. Il est passé, grâce à la conférence Tunisia 2020 dont il faut rappeler l’extraordinaire succès, à 1,2 milliard. Après avoir engagé dans le cadre de la conversion de la dette tunisienne 60 millions d’euros pour un hôpital à Gafsa, nous nous préparons, sur la base de projets liés aux secteurs de la santé et de l’éducation, à aller plus loin encore dans cette reconversion… encourageant par ainsi d’autres pays à suivre ce mouvement. Au delà du constat, je mesure depuis un trimestre une nouvelle curiosité des entreprises françaises pour la Tunisie et 2017 sera l’occasion d’annoncer de bonnes nouvelles. Et notamment une montée en puissance de la coopération décentralisée que j’ai souhaité activer dans la perspective de l’essentielle décentralisation tunisienne qui sera permise par l’élection de maires à la tête des villes et communes de votre pays. Cette élection dont j’espère qu’elle se tiendra, comme annoncé, avant la fin 2017 est tout à fait décisive pour le développement des régions intérieures, frontalières, qui sont objectivement défavorisées sur le plan économique, social, culturel. Ces élus pourront travailler avec nos élus, je pense notamment à nos grandes villes et à nos régions. En février, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile de France, et Hervé Morin, président de la région Normandie, vont ainsi, par leur venue en Tunisie, engager des coopérations importantes avec plusieurs gouvernorats tunisiens.

A titre personnel, ressentez-vous un décalage entre la réalité vécue en  Tunisie et la perception qu’on en fait en France ?
Que la Tunisie sache avant tout que son image, notamment en France, est depuis 2011, celle d’un pays «exceptionnel», qui a réussi sa transition démocratique de manière exemplaire. Et qui peut en être extraordinairement fier. Ce qui nous oblige tous à être solidaires – et nous Français particulièrement – de sa lutte contre le terrorisme qui en fait une des premières victimes. Mon combat quotidien, c’est de faire connaître la belle et entreprenante Tunisie, c’est de persuader les touristes français que ce pays a pris des mesures drastiques pour assurer la sécurité sur son territoire et qu’ils peuvent revenir nombreux à Hammamet, Djerba, Tunis, Tozeur, Sousse, Mahdia, Bizerte, mais également découvrir les ksars de Tataouine, les trésors archéologiques de Dougga, El Jem…Nous allons y arriver. Une grande saison culturelle « DjF» (Djerba invite la France) va d’avril à septembre 2017 faire revenir mes compatriotes dans un site, qui mériterait, par ailleurs, d’être classé au patrimoine mondial de l’humanité. Et dernier conseil amical: que la Tunisie soit fière de ce qu’elle a accompli, six ans après sa révolution! Je peux vous assurer qu’en l’An VI après 1789, nous en étions beaucoup moins loin en France, ce qui est parfaitement normal quand on change ainsi de logiciel! Mais le choix de la démocratie, c’est un choix social et économique gagnant pour la génération qui vient. Et c’est l’essentiel.

Vous, qui êtes le formidable initiateur du «Marathon des mots», chevalier de la francophonie et fervent défenseur « du rayonnement culturel français »,  nous observons un recul  de l’usage du français comme moyen de communication depuis plus d’une décennie  en Tunisie. Quelle stratégie pour y remédier ?
Avec le français, la Tunisie, qui parle sa langue, l’arabe, dispose d’un atout supplémentaire sur bien des pays unilingues, à commencer par le mien. C’est l’ouverture au marché francophone qui est ainsi permise.  Juste un chiffre, alors qu’aujourd’hui 250 millions de personnes parlent le français dans le monde, nous serons plus de 600  millions en 2050. Et principalement en Afrique, ce qui est un atout considérable quand on regarde la situation géographique de la Tunisie. Le français aura alors progressé et sera la troisième langue la plus parlée dans le monde. C’est un argument majeur pour que cette langue qui nous est commune reste à la place qui est la sienne dans les programmes de l’enseignement tunisien. Ce qui n’exclut évidemment pas de parler en plus l’anglais…Nous allons faire de la formation de formateurs de manière intensive afin que le niveau de la langue enseignée dans le système public soit renforcé. Un puissant réseau d’alliances françaises dans des villes comme Bizerte, Djerba, le Kef, Gafsa sera créé… sera créé. Je salue donc le choix qui a été fait de confier à la Tunisie le soin d’organiser le grand sommet de la Francophonie en 2020. Ce sera le sommet dit du Cinquantenaire, qui réunira une cinquantaine de chefs d’états et de gouvernements, 50 ans après la création de la Francophonie par un certain… Habib Bourguiba. Et la première fois qu’un pareil rendez-vous politique se tient au Maghreb! Bravo la diplomatie tunisienne!

OPDA avec sa fille Faïza: « c’est elle, pourtant apparemment démunie, qui allait tout me donner ».

« A travers cette “autobiographie séminale”, j’ai pu dérouler le fil de ma vie et faire un retour sur moi-même, jusqu’à ma rencontre avec Faïza (Amaal dans le roman), celle qui est devenue officiellement ma fille ».

Votre goût pour l’aventure provient sans doute de votre enfance noyée dans les livres où vous vous êtes imaginé « marcher sur les brisées” de votre ancêtre.  Celui-ci “ vous sauve également d’une bourgeoisie traditionnelle ». C’est ce qui pourrait expliquer sans doute votre acceptation de la différence et votre proximité envers les défavorisés?
Mon grand père maternel, ouvrier corroyeur, orphelin à quatre ans, a exercé une très grande influence sur moi. Sorti de l’école à onze ans, il a tout appris par lui-même et est devenu lecteur, poète, et un humaniste par sa passion de l’apprentissage… J’aime plus que tout les gens simples et vrais. Vivre, c’est être solidaire, c’est partager, donner. Je le fais, à titre personnel, sans publicité. Ma fille Faïza, africaine, noire de peau, musulmane par ses origines peules, incarne tout cela. L’extrême différence. Je l’ai rencontrée quand elle avait sept ans. Orpheline, elle vivait de très peu. Quand je l’ai adoptée, en 2011, en papa célibataire, ce qui est assez inédit, je ne savais pas que c’est elle, pourtant apparemment démunie, qui allait tout me donner. Plus tard, elle et moi redonnerons tout ce que la vie nous aura offert de richesses en créant une fondation pour les enfants privés de parents.

On ne peut que vous croire car votre sincérité émeut dans vos divers ouvrages presque autobiographiques et votre plume y est même «clinique». On dit que «tout commence par l’âge qui vient».  A la cinquantaine chez vous… et tout a commencé en Afrique, «cette terre fertile où l’espoir renaît». Votre africanité surgit et vous craquez devant une petite fille nommée Amaal. «Espoir» qui évoluera vers un succès sentimental nommé «Faiza» «La gagnante».  Vous avez trouvé «un échantillon de vous-même» en Afrique ? Et les Maghrébins que nous sommes sont aussi Africains. N’est-ce pas ?
La Tunisie est africaine. Pas uniquement. Mais c’est un atout considérable. Et un marché considérable. Ce pays a vocation à être une plate-forme, un hub, entre l’Afrique sub-saharienne et la Méditerranée, l’Europe du Sud, la France, l’Italie, l’Espagne…

Un sujet d’actualité : le retour des djihadistes dans leurs pays d’origine. Comment la France compte-t-elle procéder pour endiguer ce phénomène ?
Comme vous et avec vous. Par la fermeté absolue. Par la justice. Avec des actions coordonnées de renseignement et d’échanges d’informations pour assurer à nos citoyens la sécurité à laquelle ils ont le droit, plus que tout. Mais également par la prévention, la production d’un discours efficace, y compris sur les réseaux sociaux et la toile, de contre-radicalisation. Nous y travaillons avec le ministre Mehdi Ben Gharbia. Et évidemment par le traitement de la pauvreté, de la misère sociale, du sentiment d’isolement, d’absence de perspective de la jeunesse, par la lutte contre le chômage, le décrochage scolaire.

Denis Diderot avait défini l’ambassadeur comme étant « un homme rusé, instruit et faux envoyé aux nations étrangères en faveur de la chose publique ». Si vous aviez à vous définir, vous diriez quoi ?
J’ai toujours préféré Rousseau à Diderot! Un ambassadeur, c’est celui qui, du matin au soir, tard parfois, chaque jour de sa mission, crée les conditions de la rencontre, d’égal à égal, du dialogue, de l’échange véritable, de la connaissance. Ici, en Tunisie, c’est l’évidence. J’apprends chaque jour de votre pays, de ses élites comme de son peuple. Une leçon de courage, d’agilité – ce fameux sens du compromis et du consensus bien tunisien-, une leçon d’audace également, car petit pays par sa taille et sa population, il est très grand par son histoire, ses choix récents, son niveau d’éducation, sa capacité de comprendre plusieurs mondes. Aujourd’hui les destins de nos deux pays sont complètement interconnectés. J’ai beaucoup de chance d’être à la barre de  ce magnifique navire à un moment aussi décisif et exaltant pour nos deux peuples.

Propos recueillis par Nadia Ayadi

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