Longtemps attendue, la rencontre entre Ghannouchi et Essebssi a bien eu lieu à Paris. Mais au-delà de l’effet de surprise, les négociations pour la sortie de crise, ne semblent pas avoir beaucoup avancé.
La nouvelle de la rencontre des deux ténors de la scène politique tunisienne est tombée comme une bombe, d’autant plus qu’elle s’est tenue à Paris, dans un secret total. Deux médiateurs en étaient à l’origine : Nabil Karoui, patron de la chaîne Nessma TV et Slim Riahi, président de l’UPL (Union patriotique libre) et propriétaire des fréquences d’Ettounissiya TV. On sait d’après les premières révélations que c’est Rached Ghannouchi, dont la position est fragilisée, qui est allé voir Béji Caïd Essebsi en prenant un avion spécial, mis à sa disposition par Riahi, afin de tenter une sortie de la crise. Pendant plus de trois heures le chef d’Ennahdha a essayé de convaincre son homologue de faire des concessions quant à l’exigence d’un gouvernement de salut national. Pour cela, il n’a pas manqué d’arguments, en allant jusqu’à proposer à Essebssi, la présidence de la République et quatre portefeuilles ministériels, dont un ministère de souveraineté. Mais à chaque fois, il s’est heurté à un «non» catégorique de la part du chef de Nidaa Tounes, resté ferme sur les positions du Front de salut national, d’après ce que nous assurent des sources du parti. Et pourtant, la nouvelle de la rencontre a semé le doute au sein de l’opposition qui s’est précipitée pour se réunir le lendemain (lundi 19 août). Il y a eu tout d’abord le meeting de l’Union pour la Tunisie, ensuite celui du Front de Salut. À l’issue de ces deux rencontres, l’opposition a réaffirmé ses positions quant à l’appel à la dissolution de l’ANC et du gouvernement actuel. Rien de nouveau donc. Et la manœuvre de Ghannouchi, essayant de diviser le Front en lui enlevant sa principale composante (Nidaa Tounes) a échoué.
Négociations : le statu quo
Rien de nouveau non plus concernant la position d’Ennahdha qui, à l’issue de son Conseil de la Choura, le week-end dernier, a publié un communiqué dans lequel il a, encore une fois, réitéré son attachement à un gouvernement d’unité nationale.
La rencontre du lundi 19 août entre Rached Ghannouchi et Houcine Abassi, Secrétaire général de l’UGTT, est restée, elle aussi, sans conséquence, en promettant d’autres réunions de concertations.
Si l’on analyse toutes ces données, on peut bien conclure que les différentes parties prenantes ne se sont pas encore mises d’accord sur un minimum de plate-forme commune pour commencer un vrai dialogue. D’un côté Ennahdha, complètement isolé, cherche à gagner du temps en tablant sur la division du Front de Salut. De l’autre, l’opposition se montre intransigeante quant au changement du gouvernement, en comptant poursuivre ses pressions populaires au Bardo et à l’intérieur du pays à travers la campagne Irhal. Une opposition qui s’est même donnée rendez-vous le 23 août prochain pour une grande mobilisation populaire au Bardo et le 4 septembre, pour commémorer le quarantième jour de la mort de Mohamed Brahmi.
Pressions étrangères
Mais, entretemps, se poursuivent les pressions étrangères pour arriver à une solution. La visite du ministre des Affaires étrangères allemand, suivie, deux jours après, par la rencontre entre Ali Laarayedh, chef du gouvernement et l’ambassadeur américain, Jacob Walles allaient dans ce sens. L’Union européenne et les USA cherchent à éviter, coûte que coûte, la reproduction du scénario sanglant de l’Égypte. Ils mettent tout leur poids pour inciter, aussi bien l’opposition que les islamistes, à faire des concessions et à trouver une sortie pacifique à la crise, allant jusqu’à menacer de couper les aides. D’ailleurs, la fameuse rencontre entre Ghannouchi et Essebssi est le résultat de ces pressions étrangères.
Que veut Ben Jâafar ?
De son côté, Mustapha Ben Jâafar essaie de jouer le médiateur. Ce dernier a multiplié dernièrement les rencontres avec les représentants des différents partis politiques. Il en a surpris plus d’un en déclarant lors du congrès national d’Ettakattol qu’il était pour un cabinet non partisan. Une déclaration qui lui a attiré les foudres de Noureddine Bhiri, conseiller politique à la présidence du gouvernement, qui lui a demandé de se consacrer aux travaux de l’ANC, qu’il avait suspendus.
Ce clash fait penser à un possible éclatement définitif de la Troïka. Mais Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakattol a tenu à préciser que son parti est pour «un gouvernement élargi à dominance technocrate, mais pas complètement non politique». Revoilà donc Ben Jaâfar se positionnant entre deux chaises, en essayant de garantir ses chances aussi bien auprès de la Troïka qu’aux côtés de l’opposition. Quant au travail de l’ANC, il a promis de les reprendre dès que tous les antagonistes politiques se mettront autour d’une même table de dialogue.
Les négociations vont vraisemblablement s’étaler sur plusieurs semaines. «Mais est-ce que le peuple supportera cette perte de temps ? Est-ce que l’économie tunisienne pourrait tenir encore le coup face à une crise grave qui risque de mener le pays à la banqueroute ?», s’interroge le politologue Hamadi Redissi qui estime qu’aussi bien Ennahdha que la Troïka sont arrivés dans une impasse et que le processus démocratique en Tunisie est définitivement bloqué, «ce qui nécessite la reprise du dialogue sur de nouvelles bases.»
Hanène Zbiss