On ne sait pas communiquer

L’information circule sur le fil : quatre bateaux chargés de blé, dont un navire russe, ont fini par décharger leurs cargaisons après être restés plus de trois semaines en rade au port de Sfax. Sept autres navires transportant le même sésame connaissent le même sort au moment où nous mettions sous presse. Depuis plusieurs mois, les fournisseurs de l’Etat tunisien exigent le payement cash à la livraison de la marchandise, sinon rien. Cette situation perdure et s’aggrave en l’absence d’un dénouement au sujet du blocage que connaît l’hypothétique prêt du FMI, qui devrait, dans le cas de son attribution, ouvrir la voie à d’autres emprunts et financements extérieurs, vitaux pour l’Etat tunisien. Des échéances douloureuses attendent la Tunisie dès septembre prochain, des remboursements de dettes que l’Exécutif se refuse de sauter ou de rééchelonner et qui ne manqueront donc pas de peser sur la balance commerciale, déjà déficitaire. La crise du pain bat son plein dans un tourbillon de mensonges et de contre-vérités entre les différents intervenants, en l’absence d’une communication officielle claire et crédible sur ce qui se trame en termes de spéculation autour des farines compensées. Le président de la République, lui, parle, accuse mais n’explique rien. Exaspéré par les pénuries successives et frustré par l’absence d’informations qui lui permettent de comprendre les tenants et aboutissants de cette crise, le citoyen patiente, pour le moment, des heures devant les boulangeries, pendant que la colère monte.
Le même flou plane sur ce qu’on devrait appeler le scandale des migrants ou la polémique du siècle. Face à la campagne internationale menée par les médias occidentaux contre une Tunisie « raciste » et « négrophobe » qui n’est pas la nôtre, que l’on ne connaît pas, les autorités restent muettes ou balbutiantes, tétanisées face à une société civile frondeuse formée et rompue au lynchage des pouvoirs politiques, à tort ou à raison, dans les affaires des migrants et des droits de l’homme. Ce, alors qu’aucun pays, aussi riche et nanti soit-il, n’a su ou pu un jour stopper ce phénomène de la migration clandestine ou absorber dans ses terres les milliers de migrants qui arrivent chaque jour.
L’Union européenne compte sur la Tunisie pour accueillir sur ses terres « les indésirables » dans leurs contrées. Même le secrétaire général des Nations unies s’est aligné sur les Européens en demandant à la Tunisie d’interrompre les expulsions des migrants irréguliers.  Ce, alors qu’aucune organisation onusienne ou internationale ne s’est manifestée pour aider la Tunisie à gérer cette crise migratoire inédite. Les critiques fusent de partout dans un dédain total et mondial des difficultés rencontrées par les autorités tunisiennes dans la gestion de cette crise. Du jamais vu. C’est exactement cela la politique des deux poids deux mesures qui a fini par sortir de leurs gonds les pays opprimés par l’hégémonie occidentale et leur injustice quand il s’agit de défendre leurs intérêts. Quand ce sont les Etats-Unis d’Amérique ou les pays européens qui expulsent les migrants clandestins, ils évoquent le droit international et la sécurité intérieure, mais quand ce sont les pays du Sud, arabes ou africains, cela devient de la xénophobie et du racisme. Dans cette affaire, également, la réaction de l’Etat est loin d’être énergique. Certes, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a donné une nouvelle impulsion à la diplomatie tunisienne, les résultats s’en ressentent, mais que peut-il faire de conséquent dans la question des migrants quand il ne trouve pas le soutien nécessaire auprès de la société civile et des médias, ceux qui, loin de faire de la Com ou de l’information, trouvent « leurs comptes » en semant le doute au sein de la société et en exacerbant les sentiments de haine et de rejet. Le tout, dans une absence totale d’institution de régulation ou de contrôle.
A croire les instances judiciaires, un scandale peut en cacher un autre. Les flux migratoires irréguliers de ces derniers mois cachaient un important trafic d’organes, l’affaire est instruite actuellement par le tribunal de première instance de Kasserine, cinq mandats de dépôt ont été émis dans un premier temps. Finalement, l’on peut dire que Kaïs Saïed ne délirait pas quand, dans une sortie médiatique en février dernier, jugée « violente », il avait alerté les Tunisiens sur les macabres desseins cachés des « hordes » migratoires.
La crise migratoire que connaît la Tunisie depuis plusieurs mois est inédite et suscite nombre d’interrogations, mais ce qui paraît encore plus inédit et incompréhensible, c’est la désolidarisation des groupes de pression et des forces vives de leur pays. L’opposition politique à Kaïs Saïed ne peut être aussi aveugle car au final, c’est la réputation de la Tunisie qui a été souillée. Kaïs Saïed partira un jour, mais la Tunisie « raciste » et « négrophobe » restera. Il faudra des décennies pour laver cet affront. Peut-être ne sera-t-il jamais lavé et les Tunisiens, y compris les générations futures, auront à porter ce fardeau et à en payer le prix.

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