Opérations de Raoued et de l’Ariana : est-ce le début de la fin du terrorisme ?

Après une accalmie de quelques mois, voilà les cellules terroristes qui s’activent à nouveau. Deux opérations de traque en un laps de quatre jours dans une même zone : l’Ariana. Bilan : 7 terroristes tués et cinq autres arrêtés. Est-ce le début de la fin du terrorisme en Tunisie ?

 

Dans la nuit du 3 au 4 février, pendant 20 heures, les forces de sécurité ont encerclé une maison à Raoued (gouvernorat de l’Ariana). Une information des services de renseignement avait révélé que la demeure en question abritait des terroristes dont le nombre n’avait pas été identifié au début. Ce n’est qu’à la fin de l’opération que la présence de sept terroristes, parmi les éléments les plus dangereux, dont  Kamel Gadhgadhi, le tueur présumé de Chokri Belaid, Mohamed Naceur Dridi et Alaeddine Najahi, les deux ayant participé à l’assassinat de l’opposant tunisien, a été avérée. Les unités spéciales de la Garde nationale auraient voulu les capturer vivants, mais ces derniers ont résisté jusqu’à la dernière minute, tentant de procéder à des opérations kamikazes en envoyant un des leurs se faire exploser à proximité des agents des forces spéciales, ou d’entrainer les agents à l’intérieur de la maison au prétexte qu’ils avaient un blessé à secourir en urgence. Vers la fin de la matinée du 4 février, l’opération avait pris fin. Bilan : sept terroristes tués. Un exploit pour les forces de l’ordre d’avoir pu anéantir d’un seul coup des têtes du terrorisme en Tunisie et surtout des coupables du meurtre de Belaid et de l’égorgement des sept soldats tunisiens en août 2013. Tout cela arrivait à un moment crucial, à la veille de la commémoration de l’assassinat de Belaid.

 

Sept terroristes réunis dans une seule maison, pourquoi ?

De nombreux doutes planent sur le traitement sécuritaire de cette opération et sur la possibilité d’éviter la mort des six éléments terroristes, en utilisant le gaz lacrymogène pour les obliger à sortir et les capturer ensuite. Noureddine Enneifer, expert sécuritaire, estime que le gaz aurait pu asphyxier aussi bien les terroristes que les forces spéciales et que son utilisation obéit à des normes bien précises  «usage dans un espace ouvert où il y a au moins 100 personnes». Mais la question qui se pose réellement et à laquelle personne n’a pu apporter d’élément de réponse, que faisaient ces sept terroristes dangereux, réunis dans un même endroit ? Que projetaient-ils ?

«Le regroupement de ces éléments avait pour objectif, selon ce qu’a révélé l’enquête préliminaire, de préparer une opération d’envergure à l’Aouina à la fois contre le siège de l’Armée et celui de la Garde Nationale», explique N. Enneifer. «Tout un plan a été mis en place dans ce sens depuis quelque temps. D’où la nécessité de mobiliser les meilleurs éléments terroristes pour une telle opération», ajoute-t-il.

Le mouvement Ansar Acharia, qui se sent menacé actuellement après le renforcement du dispositif sécuritaire dans le pays et le changement du gouvernement, se trouve dans la nécessité de réagir pour se faire valoir auprès de ses adeptes. Cela pourrait-il donc expliquer la récurrence des opérations terroristes de ces derniers jours ?

 

Un scénario qui se répète

Le 8 février, d’autres affrontements entre terroristes et forces de sécurité ont eu lieu, toujours dans la même zone de l’Ariana, plus précisément dans une maison du quartier Ennassim. Le même scénario qu’à Raoued s’est répété. Une information est parvenue aux forces de sécurité sur la présence de quatre éléments terroristes dans ladite demeure, ce qui les a consuits à l’encercler. La seule différence, cette fois, c’est que les quatre terroristes ont été arrêtés, ce qui permettra d’obtenir des informations précieuses. D’autant plus que parmi eux se trouve Ahmed Melki, alias «le Somalien», un élément redoutable impliqué dans l’assassinat de Mohamed Brahmi. Selon le fils de ce dernier, Adnen Brahmi, ce personnage était le voisin de la famille et était chargé par l’organisation terroriste de surveiller son père pendant des semaines.  «Le Somalien» est aussi le chef des opérations militaires au sein du mouvement Ansar Acharia et le responsable de l’exécution des assassinats.

Les premières révélations qu’il a fournies durant l’enquête confirment la volonté des terroristes de perpétrer des explosions, par voitures piégées et par des kamikazes, ciblant des personnalités politiques et des institutions sécuritaires et économiques dans le pays. En effet, Ahmed Melki dit avoir reçu l’ordre depuis deux mois de quitter le mont Chaâmbi et d’aller s’installer en ville, dans le quartier Ennassim, pour rejoindre Gadhgadhi. Le groupe a pu faire entrer une quantité importante d’armes et d’explosifs. En témoigne ceux trouvés dans les deux maisons, dont une mitrailleuse lourde pouvant contenir jusqu’à 430 cartouches. Le groupe de l’Ariana projetait, selon Sofiène Silliti, porte-parole du ministère public et procureur adjoint de la République, de s’attaquer au poste de police de Borj El Ouzir et aux patrouilles sécuritaires. Il s’agit de tentatives de représailles de la part des terroristes suite à la mort de ceux de Raoued.

Cellules dormantes activées et risques de représailles

Ces deux opérations successives interpellent sur l’actuelle stratégie d’Ansar Acharia. Les cellules dormantes, dont la mission était jusque-là de recruter, rassembler le maximum d’armes et de fabriquer des explosifs afin de les utiliser le moment venu, semblent s’activer. «Il en existe actuellement plus de 400 cellules éparpillées dans le pays, lesquelles ont été renforcées par le retour de djihadistes tunisiens de Syrie, de Libye et du Mali. Les terroristes ont le sentiment qu’avec l’avènement de la Constitution et l’arrivée d’un nouveau gouvernement, le pays a su éviter la phase de chaos. Or, ils tablaient justement sur l’entrée de la Tunisie dans une guerre civile, ce qui favoriserait le développement du terrorisme et de la contrebande», précise Enneifer.

Le choix des quartiers populaires et reculés pour s’implanter est justifié par la facilité de se fondre dans la foule et de ne pas se faire découvrir. «Il ne faut pas oublier que dans ces quartiers, comme Raoued, Ariana, Douar Hicher et cité Ettadhamen, les terroristes ont des bases», note Alaya Allani, spécialiste de l’islamisme au Maghreb, qui va jusqu’à soupçonner ces derniers de bénéficier de «l’appui logistique et matériel de la part de la population». Pour lui, «Le mont Chaâmbi n’est plus une zone sécurisée pour ces éléments, surtout après l’intensification des frappes aériennes, ce qui les a poussés à descendre en ville.»

Par ailleurs, Ansar Acharia, classée depuis l’année dernière organisation terroriste, aurait besoin actuellement de redorer son blason, en programmant une série d’opérations d’envergure pour marquer les esprits et «remonter le moral» de ses adhérents.

Il reste à savoir maintenant ce que les djihadistes comptent faire après les lourdes pertes subies, suite dans les opérations de Raoued et de l’Ariana. Vont-ils s’arrêter là ?

«Il est très probable qu’ils vont intensifier les représailles, en organisant des opérations terroristes de plus en plus dangereuses, puisqu’ils sont animés désormais d’un sentiment de vengeance qui pourrait provoquer une violence aveugle», souligne Noureddine Enneifer. D’où la nécessité d’augmenter encore la vigilance au niveau sécuritaire, ce que les forces de la Garde nationale et de la police ont déjà commencé à faire. En témoigne la dernière descente effectuée à Carthage où l’on soupçonnait l’existence d’une cache d’armes dans une maison.

 

Meilleur rendement de l’institution sécuritaire

Il est clair que les deux dernières opérations ont révélé les capacités de ces forces à mieux lutter contre le terrorisme et à pallier aux erreurs du passé. Le bilan plus qu’encourageant montre qu’un changement s’est opéré au niveau de l’institution sécuritaire elle-même. «De nouveaux procédés de travail sont employés désormais par le gouvernement Jomaâ, qui semblent donner déjà leurs fruits», indique Alaya Allani.

Certaines sources proches de M. Jomaâ indiquent que ce dernier était présent dans la salle des opérations, lors des incidents de Raoued.  Il est évident qu’écarter l’institution sécuritaire des calculs politiques et partisans a eu des conséquences positives», déclare Enneifer, en ajoutant que la création d’un nouveau portefeuille au niveau du ministère de l’Intérieur, celui du ministre délégué chargé de la Sécurité nationale accordé à Ridha Sfar, un homme venant de l’institution sécuritaire, a aussi été un facteur important de réussite.

Une chose est sûre aujourd’hui, c’est qu’il faut que cet effort de lutte antiterroriste se poursuive et se consolide, d’autant plus que le pays s’apprête à entrer dans une phase préélectorale qui ne pourra aboutir à la tenue d’un scrutin démocratique et transparent sans un climat sécuritaire stable.

 

Hanène Zbiss

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