Opportunisme «intellectuel» !

Par Mustapha Attia 

Les réactions ont déferlé à propos de ce que j’ai écrit dans cette rubrique (Un bon vieux temps, Réalités du 23 au 29 juin 2022) sur Attaliâa Al-Adabia (l’Avant-Garde littéraire) et les commentaires ont pris plusieurs orientations. Certains se sont arrêtés aux vérités partielles avancées, d’autres se sont contentés d’interpréter mes propos selon leurs convictions personnelles. Quelques-uns, adeptes de la lecture oblique, ont cherché à dénicher entre les lignes des «idées piégées» en vue d’en tirer profit conformément aux exigences du deuxième plus vieux métier du monde après celui de la prostitution : la calomnie.
La tempête était prévisible et depuis la parution de l’article, nombreux étaient les amis qui m’avaient prévenu de son éclatement. «Attaliâa» avait toujours suscité des controverses, et l’encre qu’elle a fait couler dépasse de loin la littérature léguée par ses principaux représentants. L’évaluer de nouveau, c’est forcément renouer avec la polémique. Mais ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est que tous les symboles de ce mouvement littéraire, qu’ils soient «sages» ou «turbulents», «renégats» ou «persévérants», «conservateurs» ou «révisionnistes», ne font que se taire et se résigner à un rôle d’observateurs, comme si l’expérience des «années de braise» leur avait enseigné l’art du silence. Se sont multipliés alors, les points de vue divergents sur les prises de position respectives de ceux qui cherchaient une «légitimité» illusoire à leur existence sur la scène. J’ai toujours refusé, dans mes écrits, d’ergoter sur la question de l’engagement de l’intellectuel tunisien. Car, j’ai la ferme conviction qu’une telle pratique est semblable à un cercle vicieux. Mais voilà que quelque temps après, j’ai dû réviser mon attitude. C’est un aveu que je fais aujourd’hui sans gêne aucune. Effectivement, la critique formulée par un ami écrivain concernant mes idées dans ce sens était pour le moins désobligeante pour ne pas dire provocatrice, ce qui ne peut en aucun cas être passé sous silence.
Après avoir lu mon article, il s’est arrêté sur l’essentiel de mon approche selon laquelle le fond du problème réside en fait davantage dans la relation qu’entretient l’intellectuel avec le pouvoir. Il ne s’opposait pas aux analyses et déductions que j’ai faites, mais selon lui, j’ai «oublié» d’aborder l’opportunisme comme l’une des manifestations de cette relation ! La remarque était fine et chargée de sens. Bien qu’ayant été entièrement conscient du fait que la mauvaise foi pouvait parfois avoir de «bons arguments» et qu’il était permis parfois d’exploiter certaines valeurs dans un sens tout à fait autre, je trouvais dans cette remarque ce qui justifiait mon retour à ce sujet. Afin qu’il ne me soit point reproché, donc, le fait de vouloir jouer avec les mots, à l’instar de ceux qui, étant à court d’idées, se glissent derrière des vocables tautologiques et des amalgames délibérés, je dirai que la conjonction entre les deux notions, pouvoir et opportunisme est, sans doute, incontestable. L’opportunisme de quelques «intellectuels» n’est pas seulement ce suivisme flagrant. Il consiste aussi à jouer le rôle de l’éternel opposant et la victime de toujours. Mais il n’y a pas de martyr sans bourreau, et ici c’est le bourreau qui manque ! Nombreux en effet, sont ceux qui, en tout temps et en tout lieu, ont su tirer profit de ce rôle opportuniste. À ce propos, je me souviens de ce qui m’est arrivé avec un poète à qui les autorités avaient censuré un recueil. À l’époque, précisément en 1988, des consignes claires étaient données en vue d’affranchir tout ce qui était censuré jusque-là. Le ministre de la Culture de l’époque, Habib Boularès, m’a chargé alors d’annoncer l’heureuse nouvelle à l’auteur de l’ouvrage en question. Après l’avoir longtemps cherché partout, je le trouvais enfin dans un café entouré de ses amis. En l’informant de la «libération» de son recueil, il a failli perdre connaissance, ce qui provoqua la stupéfaction de tout l’entourage qui ne s’attendait point du tout à une telle réaction. Notre ami, complètement déstabilisé et perplexe, avait, en fait, ressenti que la feuille de mûrier qui voilait sa «vérité» était tombée !

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