L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) reprend la deuxième phase de son initiative de dialogue national. Après avoir boycotté la première partie à la dernière minute, Ennahdha et le Congrès pour la République (CPR) ont annoncé cette fois-ci leur intention de participer au dialogue. Dans le même temps, Ajmi Lourimi, membre du Conseil de la choura du mouvement islamiste, lance une campagne contre les «grèves» jugées «contre-productives», brouillant ce faisant les cartes. Analyse
«Nous allons y participer. Nous souhaitons poursuivre le dialogue, non pas en retournant à la première phase d’octobre, mais en nous basant sur les résultats du dialogue national (NDLR lancé par le président de la République) qui s’est déroulé à Dar Dhiafa. Nous avons discuté de la Constitution, du régime politique et des prérogatives du président. Nous espérons aborder la loi électorale, les élections et surtout notre proposition d’un"arrêt momentané des grèves"» jusqu’à la fin de l’année afin de faciliter le processus démocratique. Nous allons contacter les partis afin de les convaincre», nous a déclaré Ajmi Lourimi, membre du Conseil de la choura du mouvement Ennahdha quelques jours avant le début du dialogue. À l’heure où l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) exprime clairement son mécontentement quant aux dispositions relatives au droit de grève prévues dans la Constitution et justifie les mouvements actuels par un non respect des accords signés l’année dernière, la proposition du mouvement Ennahdha pourrait rallumer un incendie qui n’avait jamais été réellement éteint…
Place au dialogue ?
Forte de sa légitimité «historique» et de son «poids», l’UGTT organise donc la deuxième phase du dialogue national à la suite d’un autre dialogue qui s’est tenu à Dar Dhiafa, à Carthage. Initiés par la présidence de la République et la présidence du gouvernement, les pourparlers s’étaient étendus sur plusieurs jours en présence des partis représentés au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC) à l’exception d’Al Massar, du Front Populaire puis, quelques jours après, Nidaa Tounes. L’initiative gouverno-présidentielle avait également été boudée par la Centrale syndicale, pour qui le cadre jugé strictement partisan l’excluait d’office. Certes, le bilan de Dar Dhiafa est mitigé. Cependant, il aura permis de lever un obstacle, à savoir la coexistence dans un même espace du mouvement Ennahdha, du CPR et de Nidaa Tounes ; les deux premières formations ayant longtemps exclu toutes négociations avec la troisième. «Nous étions dans une période délicate. Ennahdha et en particulier son leader étaient attaqués de toutes parts et l’insistance de l’UGTT à inviter Nidaa Tounes nous a gênés. Actuellement, ce n’est plus le cas… Nous nous sommes rendus compte que les priorités relevant de l’intérêt du pays devaient l’emporter sur toute autre considération, notamment à la suite de la formation du gouvernement de compétences et surtout après l’assassinat de Chokri Belaïd», a insisté Ajmi Lourimi. Le tabou Nidaa Tounes est à présent brisé au nom de «l’intérêt général». Et la nouvelle ravit l’UGTT. «Le dialogue de Carthage n’a réuni que trois ou quatre partis. Toutefois, cette initiative les (NDLR ces partis) a aidés à s’unir pour participer à notre dialogue le 16 mai. Toutes les propositions sont les bienvenues. Notre initiative n’est pas une contradiction, mais une continuité par rapport à celle lancée par le président Marzouki. Toutefois, l’avantage réside dans la présence de plusieurs partis et associations», nous a affirmé Sami Tahri, le Secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé de l’information. Les points du dialogue portent essentiellement sur le calendrier électoral et la loi électorale, mais aussi sur la situation actuelle que traverse la Tunisie. D’autres thèmes tels que la violence sont bien entendus programmés. «Ennahdha et le CPR ont confirmé leur participation et nous n’avons pas d’objections. Le seul parti qui ne participera pas est le mouvement Wafa. Nous avons certes mis du temps pour relancer notre initiative. Nous voulions au départ tenir la deuxième phase en décembre 2012, mais nous n’avions pas eu le choix. Notre objectif était de convaincre Ennahdha et le CPR», a-t-il poursuivi.
La grève : le nouveau bras de fer ?
«Par "Non à la grève", nous ne disons pas "non à l’UGTT". Nous voulons simplement que l’organisation de Farhat Hachad contribue à la construction des projets de la société. Nous considérons que la grève est un droit, nous y croyons et appelons à sa constitutionnalisation. Mais elle peut également conduire à la frustration et au chômage, ce qui constituera un obstacle pour le secteur économique et touristique», a estimé Ajmi Lourimi avant de préciser que son initiative lancée le 9 mai était «personnelle» mais comptait «l’adhésion de certains amis». «C’est une initiative de bonne volonté qui interpelle la conscience des Tunisiens. Il ne s’agit pas d’une campagne politique, mais plutôt d’une campagne déontologique qui ne concerne que l’intérêt général, préconisant l’utilisation symbolique de la banderole rouge comme signe de mécontentement», a-t-il poursuivi. «La grève n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour trouver les solutions à différents points», rétorque Sami Tahri… Intraitable sur ce point, le syndicat multiplie depuis un certain temps les actions visant à défendre ce droit. Le sujet ainsi abordé risque de provoquer des étincelles.
Quel rôle pour l’UGTT ?
Sommes-nous entrés dans une phase de dialogue entre le mouvement Ennahdha et l’UGTT ? La hache de guerre est-elle enterrée ? Oui, répondent les intéressés, selon qui nécessité fait loi. Les récents évènements au Mont Chaâmbi auraient redistribué presque toutes les cartes… Car le syndicat se montre inflexible sur son «rôle» qu’il rappelle à chaque occasion. «Médiateur incontournable» et «acteur politique, mais non partisan», l’UGTT se considère comme le «partenaire incontournable» dans le processus transitionnel en cours. «Même si l’UGTT ne fait pas un travail de parti politique, toute son action sociale ne peut que converger vers une action politique parce que le social a des implications dans tous les domaines. Les grands engagements politiques, les choix économiques importants, l’élaboration de la Constitution notamment, devraient faire l’objet de concertation entre d’une part les partis politiques et d’autre part l’UGTT et la société civile. Cela ne peut qu’apaiser le climat social», estime l’historien Faycel Cherif. Et de poursuivre : «La culture syndicale pourrait éventuellement agir sur les choix nationaux. L’UGTT doit être toujours au cœur des négociations et au cœur du projet de la construction d’une Tunisie démocratique. On ne peut pas refuser le dialogue. Tout dialogue ne peut être qu’utile. Le refuser, c’est aller droit dans le mur… C’est du moins ce que nous a prouvé l’Histoire», conclut-il.
Chaimae Bouazzaoui