Selon l’étude d’un éminent scientifique parue jeudi dans la revue Science, la première infection officielle au Sars-CoV-2 daterait du 11 décembre 2019 à Wuhan, et non du 8 décembre comme affirmé jusqu’alors.
Qui est la première personne à avoir été infectée par le Sars-CoV-2 ? La question taraude et divise les scientifiques depuis le début de la pandémie fin 2019. Et les indices sont minces. Jusqu’ici, le premier cas documenté était un homme du nom de Chen. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ce quadragénaire, originaire de Wuhan, avait officiellement contracté le nouveau coronavirus le 8 décembre 2019. Comment et où a-t-il été infecté ? Nul ne le sait. Dans son rapport sur la genèse de la pandémie publié en mars, l’OMS donne quelques détails sur ce patient, appelé « S01 » : il est comptable et n’a pas voyagé avant son infection. Par ailleurs, il ne fréquentait pas le marché Huanan – considéré aujourd’hui comme le lieu de superpropagation de l’épidémie -, mais un supermarché moderne appelé RT-Mart, situé sur l’autre rive du fleuve Yangzi, qui coupe la ville en deux.
Un article signé d’un éminent scientifique, le virologue Michael Worobey, publié jeudi dans la prestigieuse revue Science conteste cette version. Selon lui, le mystérieux M. Chen n’est pas tombé malade le 8 décembre, comme l’affirme l’organisation onusienne, mais bien le 16 décembre. Une déduction faite à partir d’une interview vidéo retrouvée, d’un cas décrit dans un article scientifique et d’un dossier médical d’hôpital qui coïncident avec cet homme de 41 ans. En reculant de huit jours la date d’infection de cet homme, le premier cas connu de Covid-19 serait donc désormais une vendeuse ayant travaillé dans le marché aux animaux de Wuhan qui est tombée malade le 11 décembre. Interrogé par le New York Times, le chercheur Peter Daszak, ardent défenseur de la thèse de l’origine animale du virus et qui faisait partie des experts envoyés par l’OMS à Wuhan en janvier 2021, a reconnu que « la date du 8 décembre était une erreur ».
Des indices laissaient planer le doute sur le premier cas documenté. Dans son rapport, l’OMS livrait l’identifiant génétique de S01 : EPI_ISL_403928. Une sorte de code-barres propre à chaque échantillon de sang analysé. Or, cette série de chiffres correspond dans les bases de données chinoises à un employé du marché Huanan de 61 ans tombé malade le 20 décembre 2019. Le profil de M. Chen correspond davantage à un autre identifiant génétique mais, là encore, il y avait un hic : à en croire les données partagées par Pékin, ce suspect n° 1 était officiellement tombé malade le 16 décembre, et non le 8. Face à ces imprécisions, l’OMS a reconnu en juillet des « erreurs d’édition » dans le rapport conjoint avec la Chine de mars dernier, et modifié le code pour le patient S01, qui s’appelle désormais EPI_ISL_403930. Une légère correction qui ne risque pas d’accélérer la recherche du fameux patient zéro, mais qui en dit long sur l’efficacité de l’enquête sur l’origine de la pandémie et les obstacles incessants dressés par Pékin.
Affirmer que M. Chen n’est plus le premier patient connu n’est pas neutre, tant il a contribué à mettre en avant la thèse d’une fuite d’un laboratoire comme origine du Covid-19. Notamment parce qu’il n’avait aucun lien avec le marché Huanan. Pour le virologue Michael Worobey, cette découverte, ainsi que l’analyse des tout premiers cas de Covid-19 dans la ville, font clairement pencher la balance vers une origine animale du virus. Le débat fait rage depuis le début de la pandémie entre les experts, qui cherchent encore deux ans après à élucider le mystère de l’origine du virus, en l’absence de preuves définitives. Michael Worobey appartenait lui-même à la quinzaine d’experts ayant publié mi-mai une tribune dans la revue Science appelant à considérer sérieusement l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire de Wuhan. Il écrit aujourd’hui que ses recherches « livrent des preuves solides en faveur d’une origine de la pandémie via un animal vivant » de ce marché.
L’une des critiques de cette théorie reposait sur l’argument suivant : puisque les autorités sanitaires ont alerté de cas d’une maladie suspecte liés au marché dès le 30 décembre 2019, un biais aurait été introduit, ayant conduit à l’identification de davantage de cas à cet endroit qu’ailleurs, l’attention étant portée sur lui. Pour contourner ce biais, Michael Worobey a analysé les cas rapportés par deux hôpitaux avant que l’alerte ne soit donnée. Or ces cas sont également largement liés au marché, et ceux qui ne le sont pas sont malgré tout géographiquement concentrés autour de lui. « Dans cette ville de 11 millions d’habitants, la moitié des premiers cas sont liés à un lieu de la taille d’un terrain de foot », a relevé Michael Worobey, interviewé par le New York Times. « Cela devient très difficile d’expliquer cette tendance si l’épidémie n’a pas démarré dans ce marché. »
*De Wuhan à Paris
Connaîtra-t-on un jour la première personne infectée par le Sars-CoV-2 ? « Nous ne pouvons pas dire avec certitude qui est le ‘patient zéro’, regrette auprès de L’Express Lawrence Gostin, professeur en droit de la santé mondiale à l’université Georgetown de Washington. Il vient très probablement de Chine, mais ce n’est pas prouvé. » Malgré un désir intense de comprendre les origines de ce virus, il n’est pas surprenant que des zones d’ombre demeurent. Selon des experts en phylogénétique, discipline étudiant des souches de virus pour en recomposer l’origine, l’épidémie mondiale de SARS-CoV-2 serait apparue chez l’homme entre la fin août et le début décembre. Problème : alors qu’en juin, Gao Fu, directeur du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, déclare que le système de monitoring médical centralisé permet à Pékin d’être au courant d’une nouvelle maladie en six heures seulement, celle-ci passe alors complètement inaperçue. Les plus anciens cas connus, découverts rétrospectivement en analysant des archives de radios pulmonaires, ont été hospitalisés le 16 novembre à Colmar en France et le 17 novembre dans la région du Hubei en Chine, même si ces analyses a posteriori, sans analyse sérologique, ne permettent pas d’attester à 100 % qu’il s’agit de malades du Covid-19.
En France, une équipe de l’Inserm a ainsi découvert a posteriori des anticorps au Covid-19 dans 13 prélèvements sanguins effectués de novembre 2019 à janvier 2020. Pour Marie Zins, directrice scientifique du projet, cette étude « montre que le virus circulait en Europe à cette période », peut-être sous une forme moins agressive, mais « cela ne signifie en aucun cas qu’il était originaire d’Europe ». « Ce que l’on sait, poursuit-elle, c’est que, chaque fois qu’on a eu accès à des prélèvements viraux chez des patients atteints de la maladie telle qu’on la connaît, il s’agissait du virus de Wuhan. » Connaîtra-t-on un jour le fin mot de l’histoire ? La tâche sera, à coup sûr, délicate mais essentielle.
(L’Express)