Otages et guerre des images

Pour Michel Onfray, les trois religions révélées furent et demeurent à l’origine de la haine partagée : « Une série de haines violemment imposées dans l’histoire par des hommes qui se prétendent dépositaires et interprètes de la parole de Dieu, les clergés. Haine de l’intelligence à laquelle les monothéistes préfèrent l’obéissance et la soumission ». Maintenant, Hamas et Israël présentent les images contraires de la guerre. Les commentateurs évoquent le droit et les Occidentaux, tels Blinken ou Macron, reconnaissent à Israël attaqué « le droit de se défendre ». Or Sharon balaye, d’un revers de main, ce juridisme à son avis mesquin : il y a une seule terre pour deux peuples. L’un d’entre eux doit éliminer l’autre. Bourguiba, le juriste et homme d’Etat, soutenait la solution du partage territorial entre Palestiniens et Israéliens. L’avocat fonde pareille solution sur le droit. Le philosophe indochinois Tran Duc Thao le définit par la répression de la tendance à revenir au comportement naturel. Je m’explique : placez un gâteau entre deux gamins. Chacun cherche à s’emparer de la totalité de ce délice quitte à imposer à l’autre un supplice. Le droit émerge au moment où le glouton réfrène son égocentrisme au profit du vis-à-vis. Dans ces conditions, l’éradication des Palestiniens par les Israéliens, ou bien l’inverse, contrevient aux dispositions prescrites à la fois par l’éthique et par le droit. Le background abstrait cligne vers le concre. Même si, à l’origine, Israël a délogé les Palestiniens par la violence, moment où l’opposition à cette usurpation portait un sens, de nos jours Israël donne à voir une société bel et bien constituée. Il n’est donc plus question de le noyer en Méditerranée ou de l’inciter à décamper. De même, les Palestiniens, jadis dégagés, ne sont plus à liquider. Sans la solution à deux Etats, la guerre continuera. A ce propos, Bernard-Henri Lévy accouche d’une souris bien triste et verrait dans le miroir son visage de terroriste. La défense, aveugle, du judaïsme bute sur les propos de Michel Onfray : « La théocratie trouve son remède dans la démocratie, le pouvoir du peuple, la souveraineté immanente des citoyens contre le prétendu magistère de Dieu, en fait de ceux qui s’en réclament … Au nom de Dieu l’histoire témoigne, les trois monothéismes font couler pendant des siècles d’incroyables fleuves de sang ! » L’extrême droite israélienne, religieuse et belliqueuse, charrie le boulet des territoires occupés. Les Palestiniens aussi ont à voir avec le Coran. Mais ils n’ont colonisé personne. Hélas, « les hommes, quand ils se mettent en tête de donner le jour à un Dieu unique, le font à leur image : violent, jaloux, vengeur, misogyne, agressif, tyrannique, intolérant ».
Pour tout dire, ils sculptent leur pulsion de mort, leur part sombre, et en font une machine lancée à pleine vitesse contre eux-mêmes. Cependant, Palestiniens et Israéliens énoncent le droit au principe de leur action. Pour les dirigeants occidentaux, Israël a donc « le droit de se défendre». De même, pour légitimer le massacre des indiens par les conquistadores, l’église posait la question : « Les aborigènes ont-ils une âme? » Les colons français ou anglais auraient eu le droit de civiliser les populations attardées. Aujourd’hui encore, les Israéliens massacrent la population gazaouie au nom du droit de se défendre. Cet usage du « droit » occulte son mésusage dans la mesure où il inscrit l’usurpation des terres occupées par pertes et profits. Les marées humaines rassemblées vendredi 13 à Bagdad, en Tunisie et ailleurs, mettent les points sur les i de l’infamie. En soi, le droit n’existe pas hors des rapports de force. Il dépend du lieu où le parleur l’énonce. Je commence par chasser un peuple pour occuper son territoire et lorsqu’il revendique, à juste titre, le droit au retour, je lui oppose le droit de me défendre. Autour de ce paradigme fondamental, Orient et Occident assistent à leur confrontation. Dans ces conditions, les envahisseurs, venus d’ailleurs, opposent le non-droit au droit. Leurs propagandistes brouillent la piste lorsqu’ils se disent défenseurs de la « démocratie », pour avoir demandé à la population de Gaza de déguerpir avant de bombarder le pays. Mais où aller avec une enclave réduite à la portion congrue, encerclée ? Œil pour œil, répète la Bible, avec un cynisme horrible. Le droit israélien, tout entier, baigne dans la mare de sang nimbée de religiosité talmudique. Henri Lefèvre débusque cette logique de bourrique : «Sous couvert du sublime et du surhumain, tout l’inhumain passe en contrebande. » Le « droit » israélien mène le monde au bord de l’apocalypse. Ce rivage borde les images afférentes aux otages.

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