La Fédération tunisienne des Droits de l’Homme a publié mardi 3 juin un rapport accablant sur le droit des femmes en Tunisie dans lequel il apparaît que malgré les mesures prises pour la protection des femmes, ces dernières subissent encore et toujours des violences physiques, morales et sexuelles.
Avec l’adoption de sa nouvelle Constitution en janvier dernier dont bon nombre de pays ont salué les mesures prises à l’égard des femmes, la Tunisie semblait aller dans le bon sens en se positionnant comme étant «avant-gardiste» par rapport à ses voisins arabes, mais en réalité le pays fait pâle figure. Le 9 mai dernier par exemple, à l’occasion de la deuxième session de formation des formateurs concernant la lutte contre la violence conjugale, le ministre de la Santé, Mohamed Salah Ben Ammar, a déclaré que les chiffres du rapport de l’Office national de la famille et de la population (ONFP) montrent que la violence conjugale reste la première cause d’agressions physiques et de décès des femmes entre 16 et 44 ans. Chose plus alarmante encore, le rapport de l’ONFP précise que 57% des femmes victimes d’agressions conjugales acceptent cette violence. Cette fois, c’est le rapport de la Fédération tunisienne des Droits de l’Homme qui lance un nouveau pavé dans la mare en soulignant que les violences subies par les femmes constituent «l’un des plus importants points faibles des nombreuses lois et politiques qui tentent de protéger les femmes et leur permette de jouir de leurs droits et libertés». Qui plus est, le 28 avril dernier, la Tunisie a accepté d’adhérer sans aucune réserve à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), convention, certes ratifiée depuis 1985, mais avec de nombreuses réserves comme à propos de l’égalité devant la loi, de l’héritage ou encore du mariage… C’est là l’occasion de faire le point sur le droit des femmes en Tunisie.
Les femmes et la Constitution
La nouvelle Constitution tunisienne stipule via son article 46 que «l’État prend les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre les femmes». Cependant, pour Bochra Belhaj Hmida, avocate activiste des droits humains et des droits des femmes, membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes et ancienne présidente de l’association tunisienne des femmes démocrates, la nouvelle Constitution ne change rien à la donne. «La constitution tunisienne est récente, elle ne peut pas avoir un impact immédiat sur le vécu des femmes tunisiennes. La mise en pratique des principes constitutionnels suppose que le prochain Parlement et gouvernement, en partenariat avec la société civile, prennent toutes les mesures législatives, sociales, politiques administratives, culturelles, médicales, psychologiques, éducationnelles et médiatiques pour la prévention et l’éradication de ce phénomène qui est international». Elle dénonce même la politique de l’État qui refusait d’associer les ONG non gouvernementales qui étaient engagées depuis plus de deux décennies dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes. «Après les élections 2011, le gouvernement a non seulement négligé ces questions, mais plus encore a favorisé des discours encourageants les discriminations à l’égard des femmes. Le ministère de la Femme n’a commencé à se pencher sur ce phénomène qu’après deux années de silence complice». À en croire la Constitution, les femmes semblent être protégées de toute violence par l’appareil législatif. Or, il n’en est rien. Dans la réalité, une femme qui ira se plaindre dans un commissariat de police d’un mari violent ne sera que très rarement entendue et se verra même ramenée dans son foyer sans qu’aucune mesure ne soit prise pour sa protection. En effet les violences conjugales demeurent un tabou au sein de la société et bon nombre de femmes qui les subissent préfèrent se taire afin d’éviter le jugement d’une société aux préjugés encore bien tenaces. À ce sujet-là, Bochra Belhaj Hmida explique que «toutes les violences demeurent un tabou dans tous les pays, surtout les violences sexuelles pour diverses raisons, dont le refus de la société à reconnaître la discrimination basée sur le genre qui est le fondement de ce phénomène. Reconnaître les violences c’est remettre en cause la société toute entière et ses fondements, c’est une vraie révolution à laquelle nous ne sommes pas encore prêts. C’est pourquoi souvent les femmes n’en parlent pas, elles se sentent coupables, elles intériorisent la légitimité sociale de la violence. Si elles ont subi une violence quelconque, c’est que quelque part elles l’ont méritée.»
De son côté, la secrétaire d’État auprès du ministère de la Femme et de la famille, Neila Chaâbane, a indiqué la création d’un projet de loi relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes ainsi que la création d’un centre d’accueil pour les femmes victimes de violence conjugale en collaboration avec la Croix-Rouge. L’article 21 de la Constitution garantit l’égalité des citoyens devant la loi. «Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune. L’État garantit aux citoyens les libertés et les droits individuels et collectifs. Il leur assure les conditions d’une vie décente». Cela pose donc l’épineuse question de savoir si dans les faits les femmes tunisiennes qui héritent moins que les hommes pourront exiger via ce texte un héritage égal à leurs homologues masculins.
Retour sur un combat pour l’égalité
En 1956, année du Code du statut personnel promulgué par Bourguiba, la femme tunisienne a vu son émancipation commencer avec de nombreuses lois vivement décriées à l’époque telles que l’abolition de la polygamie, le droit au divorce, l’accès à l’éducation… En 1965, la femme tunisienne obtient le droit à l’avortement, en 1993 le droit de transmettre son patronyme et sa nationalité à ses enfants au même titre que son époux. Bien que constituant une réelle avancée en matière de droit pour les femmes, le Code du statut personnel a maintes fois fait l’objet de polémiques auprès d’une tranche conservatrice de la société qui y voit une atteinte à l’Islam et aux bonnes moeurs. Malgré ces avancées notoires, la FTDH pointe du doigt des chiffres accablants. 47% des femmes entre 18 et 64 ans avouent avoir déjà fait l’objet de violences au moins une fois dans leurs vies. Bochra Belhaj Hmida relève que «le rapport de la FIDH est venu confirmer le rapport de l’Office national de la famille et de la population 2010 qui a annoncé le chiffre terrifiant de presqu’une femme sur deux qui a subi des violences .L’appui de la FIDH a toujours été important pour la société civile pour continuer et renforcer son travail contre ces violences, mais aussi pour faire pression sur l’État tunisien afin qu’il s’engage dans ce combat». Les violences physiques sont les plus répandues avec 31,7%, suivies des violences psychologiques avec 28,9% et enfin les violences sexuelles avec 15,7%. Concernant ces dernières, il est important de rappeler l’article 227 du Code pénal qui stipule qu’une mineure ayant subi un viol peut épouser son violeur afin que ce dernier se retrouve acquitté. Cet article résulte d’une mentalité encore ancrée au sein de toute une partie de la société qui veut qu’une fille violée «déshonore» ainsi sa famille alors qu’elle a pourtant été victime (et le mot a toute son importance) d’un viol. Le Maroc avait d’ailleurs défrayé la chronique concernant l’affaire Amina Al Filali, jeune fille de 16 ans violée qui s’était vue obligée d’épouser son violeur afin de «laver sa réputation» et qui a fini par se suicider. Bien que la Tunisie fasse partie des pays arabes les plus évolués en matière des droits de la femme, le chemin à parcourir demeure encore long et jonché d’embuches avant d’arriver à une réelle égalité.
Inès Aloui