Où est la méritocratie dans l’Etat social ?

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Le dernier mouvement de grève de cinq jours, après une série de mobilisations, opéré par les jeunes médecins, résidents et internes, dont le nombre est évalué à 7000 par l’Association tunisienne des jeunes médecins, doit retentir comme une sonnette d’alarme sur l’état du service public et son avenir, incertain. Pour les jeunes médecins en exercice dans les hôpitaux publics, c’est la galère : conditions de travail difficiles, voire dégradantes, rémunérations ridicules, voire humiliantes, menaces d’agressions, parfois, précarité, souvent. Le tableau sombre a été brossé par le jeune médecin Wajih Dhokkar, président de l’association sus-indiquée, pour expliquer les raisons de ce énième débrayage des jeunes blouses blanches et justifier ses lourdes conséquences sur le fonctionnement des hôpitaux et les soins prodigués aux patients.
Au moment où les élites du pays « fuient » par milliers vers des horizons étrangers plus prometteurs, ce cri d’alerte des jeunes médecins est un rappel au pouvoir en place de l’état déplorable du service public, tous domaines confondus, sur lequel reposent et comptent l’Etat, ses institutions et ses structures et sur l’urgence des actions à entreprendre pour sauver ce qui peut être encore sauvé. Les doléances des jeunes médecins sont celles de tous les autres jeunes cadres et fonctionnaires, les responsables et décideurs de demain. Combien d’ingénieurs, d’enseignants de tous les cycles (primaire, secondaire, supérieur), de cadres paramédicaux, de médecins, d’architectes, de techniciens qualifiés, de jeunes talents, ont-ils quitté le pays pour aller chercher dans d’autres pays une meilleure situation professionnelle, une carrière plus prometteuse et un avenir plus sûr ? Ils se comptent par milliers, par dizaines de milliers, voire des centaines de milliers cumulées sur plusieurs années successives, sans répit. Toutes ces ressources humaines, ce savoir-faire, ces compétences qui fuient une situation économique et sociale démotivante, sans horizon de prospérité, sans les moyens de bien vivre de son travail dans son propre pays, le manque, souvent, de considération et de reconnaissance au travail, dans l’exercice d’une fonction, sont une perte pour la Tunisie, une perte humaine, financière, technologique et à plus ou moins long terme, une perte en points de croissance et en développement. Un recul à l’échelle des nations.
Il est imprudent de croire que ces ressources sont remplaçables par les nouveaux diplômés qui arrivent régulièrement, chaque année, sur le marché du travail grâce à une politique volontariste de démocratisation de l’éducation, de l’enseignement et de la formation datant de l’indépendance, sans compter les chômeurs de longue date. Car l’expérience acquise au fil des ans de ceux qui partent et qui aurait dû être exploitée à bon escient pour former la relève est une richesse irremplaçable sur de nombreuses années, jusqu’à la nouvelle génération de chefs de file qui, à son tour, sera, probablement, tentée par le départ.
Le choix stratégique qu’a fait la Tunisie de réhabiliter l’Etat social en vue de réduire les effets pervers du système économique ultra-libéral n’est pas une tâche aisée surtout quand les moyens financiers nécessaires à cette réorientation manquent considérablement. Il reste les ressources humaines, des ressources intarissables qui sont à l’origine de la création de toutes les richesses. Pour ce faire, il convient de doter ces ressources de toutes les conditions nécessaires de réussite, d’épanouissement et de développement. C’est ce que revendiquent les jeunes médecins, les enseignants, les ingénieurs et toutes les autres professions qui ont battu le pavé pour faire entendre leurs voix et leurs doléances. Non pas pour semer la zizanie dans l’espace public mais pour indiquer la voie, celle du labeur, de la productivité et de l’innovation, à même de guider la Tunisie vers des paliers supérieurs de développement économique et social. L’Etat social a, de ce fait, besoin de cerveaux et de bras pour se refaire une santé ; sa devise doit être l’excellence et le mérite.
L’Etat social doit être celui qui se base et se construit sur la méritocratie, – les meilleurs occupent les postes les plus importants et les plus stratégiques et dirigent -, sur la valorisation des compétences – plus on travaille plus on gagne et les meilleurs sont mieux servis – pour motiver les jeunes talents et les dissuader de quitter leur pays qui a besoin d’eux pour produire, se développer et remplir ses caisses.
Contrairement à une idée reçue, le service public n’est pas la cinquième roue du carrosse, c’est la locomotive, il devrait être le garant de la qualité et de la durabilité de tout produit, de tout service, de tout projet et de toute entreprise.  Aux côtés du secteur privé. Cet incontournable moteur de croissance et d’émulation qui, contrairement à une autre idée reçue, se renforce et se consolide en présence d’un service public fort et d’un Etat fort.
La Tunisie est désormais tout ouïe pour les doléances des plus vulnérables dont certaines ont été bien entendues et traduites en dynamique et stratégie nationales. Les ouvrières agricoles, les enseignants et ouvriers sous le régime de la sous-traitance, les sociétés communautaires, etc. Un bon bout de chemin. Mais il reste l’élite. Les élites. Le vrai et intarissable trésor de la République. Ce trésor qui attend d’être lustré pour briller et rayonner.
C’est son rayonnement de l’intérieur de la Tunisie qui illuminera l’avenir du pays et son image.

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